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Brûler un symbole de beauté et d'humanité ultime pour faire prendre conscience de l'urgence écologique…

Les combats écologistes de la génération des années 80/90, la génération Tchernobyl, sont d'une troublante actualité. J'ai choisi ce livre « Partout le feu », premier roman d'Hélène Laurain publié en janvier 2022 chez Verdier, suite à la magnifique critique de @Charybde2 afin de toucher du doigt ce sujet. Je vous invite à aller lire sa critique qui est très complète, érudite et enthousiaste.

« le 26 avril 1986
A minuit 44
Je naissais à la maternité des Orangers
3 minutes avant la Soeur
39 minutes avant la libération
A 2108 kilomètres de là
Des 200 bombes d'Hiroshima
Milliards de milliards de becquerel
C'est chouette
De fêter chaque année l'avènement
De la génération Tchernobyl »

Ce roman, très décalé dans sa forme, met en effet à l'honneur une jeune femme en proie à la solastalgie, angoisse profonde et existentielle, voire détresse, liée à la prise de conscience de l'urgence écologique, qui tente d'agir comme elle peut dans ce monde où déjà des feux brûlent partout. Actions vaines, à toute petite échelle, actions marquées par la rage, la révolte et l'angoisse : attaques de SUV, feux d'artifice dans les centrales nucléaires, violence des mots pour juger les comportements de sa soeur et de son beau-frère qui vivent une vie normale dans un certain luxe…en attendant mieux, en attendant l'action ultime, nichée dans une cave avec sa bande, Fauteur, Taupe, Dédé et Thelma, à boire, fumer, faire l'amour, cuisiner des graines, faire pousser des plantes, écouter Jeff Buckley, Cure, David Bowie, Depeche Mode, Fatboy Slim, entre autres. le film Wild plants en filigrane, sorte de mantra hypnotique toujours présent dans le roman guidant les comportements et les pensées. Lætitia est surdiplômée pourtant et était promise à une brillante carrière. Elle a tout laissé en plan, incapable de mener sa vie dans ce monde en déclin. Seule l'action militante a du sens même si dans sa famille personne ne comprend son errance, son absence de repère, cette façon de mener des actions à réinventer chaque jour.
La région où Lætitia a grandi a pu contribuer à cette sensibilité écologique et ce militantisme. Nous sommes en effet en Lorraine dans lequel le projet d'enfouissement des déchets nucléaires, le projet Cigéo, terrifie les consciences et est tout simplement inadmissible pour une partie de la population.

« Il disent qu'il faut que je fasse
Mon deuil
Mes deuils
Ils ont un nom
Solastalgie il parait
Moi j'appelle ça mes deuils
De la baignoire remplie de mousse
De la vie à 20° en toutes saisons
De la volupté de la voiture
Du bonheur d'accumuler
Le deuil des forêts humides
D'une vie sans cancer
Le deuil du désir d'enfant
De la légèreté
Des lacs gelés en hiver
De se savoir actrice d'au moins quelque chose le
Deuil
D'une vie consommée
De relations consommées
D'un travail consommé
Et de ces deuils
Presque
Vient le désir d'embrasement
L'envie qu'on m'effondre
Plus rapide
Plus net
Le désir de savoir
Et d'en finir tout à fait
Pour de bon
Le désir de me fondre dans les chiffres
Et qu'on a tous oubliés sitôt lus
Pourcentages et fractions
Qui additionnés font
Beaucoup trop
Ou vraiment plus rien du tout
Ça s'appelle
Bruler de douleur et faire avec… »

L'écriture est très particulière comme on peut le voir, marquée par des phrases entrecoupées, des scansions, des mots qui reviennent à la ligne, tel un long poème, voire du rap tant c'est nerveux et percutant par moment, forme littéraire qui nous permet une plongée sensible et poétique au coeur de l'activisme de cette poignée de jeunes ultra sensibles, cette vie placée entre espoir et désespoir, entre sens ultime et inutilité.
En tant que lectrice, de l'extérieur, cela m'a à la fois semblé vain et si important, inutile et nécessaire, dangereux mais beau, mystérieux et sacré…Les monologues de Lætitia où sont entraperçus les lassitudes, les espoirs, les convictions, les haines face à notre monde et nos habitudes, son dégout de nous voir hésiter à enfiler tel ou tel maillot de bain alors que le tsunami approche sont émouvants le plus souvent, énervants parfois…
Mettre partout le feu pour faire prendre conscience, secouer l'opinion publique, la choquer, alors qu'en faisant ainsi c'est parfois précisément l'inverse qui se produit : rejet et incompréhension.
Quant à devenir le feu, je suis restée circonspecte, distante, triste. La fin m'a plombée. Serait-ce que ce ressentent ces jeunes ? Sans doute et en cela, ce petit livre est très communicatif et immersif. Percutant. Hélène Laurain a vraiment réussi à nous faire ressentir l'angoisse de nos jeunes en la matière. Rien que pour cela, ce livre mérite d'être lu.

Mais je suis partagée. Confusément partagée. L'émotion a été au rendez-vous, je pense que j'aurai longtemps ce livre en tête et pourtant, cette forme particulière m'a à la fois beaucoup plu puis lassée au bout d'un moment, oui touchée par ce roman tout en lui trouvant une certaine facilité.
Et la fin, terrible, m'a laissée dubitative. La question étant : est-ce que saccager la beauté et le symbole de la beauté peut faire prendre conscience de l'urgence écologique ? Personnellement, je n'en suis pas certaine et cette façon de faire me trouble...peut-être, remarquez, est-ce là son objectif premier ? Troubler pour faire évoluer les consciences de façon insidieuse, troubler en dévoilant le désespoir et l'angoisse profonde. Rien que ça.

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Les combats de la génération Tchernobyl

Dans un roman à l'écriture très originale, Hélène Laurain met en scène une militante écologiste dans une Lorraine polluée. Elle mène un combat difficile sur une planète qui brûle alors que le monde regarde ailleurs.

Impossible de ne pas commencer par parler de la forme de ce roman très original. Il est composé de lignes sans ponctuation, que l'on pourrait assimiler à des vers d'un long poème, mais qui donne surtout à Hélène Laurain une liberté de construire une oeuvre à base de punchlines, de paroles de chansons, de SMS, de citations, de post-it, de formules qui font souvent mouche, sans pour autant empêcher la fluidité de la lecture.
Laetitia, la narratrice, est une militante écologiste qui, au début du livre, vient de se faire arrêter encore une fois par la police, après avoir pénétré illégalement sur un site nucléaire avec sa bande pour y déployer une banderole dénonçant les dangers de l'atome. Il semblerait du reste que dès sa naissance, elle était la prédestinée à endosser ce costume de militante:
«le 26 avril 1986
à minuit 44
je naissais à la maternité des Orangers
3 minutes avant La Soeur
39 minutes avant la libération
à 2 108 kilomètres de là
des 200 bombes d'Hiroshima
milliards de milliards de becquerel
C'est chouette
de fêter chaque année l'avènement
de la génération Tchernobyl.»
La région où elle a grandi aura aussi contribué à cristalliser son engagement. Car en Lorraine, outre la centrale nucléaire de Cattenom, se dessine le projet d'enfouissement de tous les déchets nucléaires. le projet baptisé Cigéo vise à stocker en couche géologique profonde les «déchets radioactifs de haute activité et à vie longue produits par l'ensemble des installations nucléaires françaises, jusqu'à leur démantèlement». Pourquoi cet endroit? L'explication d'Hélène Laurain peut faire froid dans le dos, car il y a sans doute une part de vérité dans la décision des autorités:
«Vous la connaissez celle-là
c'est l'histoire de trois énarques et quatre polytechniciens
dans une salle de réunion
ils disent beaucoup de choses
en écrivent beaucoup moins
dans leur rapport aux N +2
Nous nous inscrirons dans une démarche
de revalorisation des territoires ruraux ils écrivent
On n'a plus de colonies alors on va fourrer la merde
dans le trou du cul de la métropole ils disent
ils se demandent
s'ils devaient choisir une région bien pourrie
pour y déverser un torrent de déchets laquelle ils choisiraient
après un top 3 rapide
Nord - Picardie - Lorraine
ils remarqueront
qu'ils ont tous un faible pour la Lorraine
une région
triste comme une salle de cinéma vide
en pleine projection
ils se diront
Avec la sidérurgie ils sont habitués à se faire bien polluer
ils sont endurants
à défaut d'être résilients
les hommes s'intéresseront à la Meuse
presque vide.»
Face aux risques encourus et face à une planète qui se dérègle un peu plus tous les jours, elle se devait d'agir, même si pendant longtemps, elle aura cherché une autre voie. Après des études brillantes, classe prépa puis ESC Reims, elle a travaillé dans la communication, puis dans les relations publiques, mais sans s'épanouir. «puis j'ai fait une dépression j'ai arrêté
maintenant je fais des petits boulots
et je milite
j'essaie de trouver du sens à ce que je fais voilà.»
Après avoir vu le film Wild plants de Nicolas Humbert, qui agira pour elle comme un mantra et dont des scènes jalonnent le roman, elle choisit d'oublier ses brillants plans de carrière et part grenouiller à Thermes-les-Bains, où un espace balnéaire essaie de faire illusion tout près des anciennes aciéries et se lance dans l'action militante avec sa bande, avec Fauteur, Taupe, Dédé et Thelma. Mais au fil du temps, ils comprennent l'immensité de leur tâche. Refaire le monde en buvant des bières, en s'attaquant aux SUV, en se réfugiant à La Cave pour écouter Nick Cave ou faire l'amour, c'est bien loin de leur objectif. Expédients vite expédiés. Feux vite éteints. À moins que...
Hélène Laurain réussit son entrée en littérature dans un style qui n'est pas sans rappeler À la ligne du regretté Joseph Ponthus. La force des mots, scandés et alignés comme des paroles de rap, fait naître une étonnante poésie, teintée à la fois d'humour et de désespoir. le tout dans un rythme qui dit l'urgence. Comme une danse au bord du volcan.



Lien : https://collectiondelivres.w..
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Ce roman est une vraie claque, tant au niveau de son rythme, de sa musicalité, que du portrait qu'il fait de la génération catastrophe climatique et des deuils qu'elle se traine. On passe de scènes loufoques et drôles à d'autres, très émouvantes. Une boule d'énergie et de rage à lire absolument !
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D'une lutte écologique  radicale théoriquement perdue d'avance, extraire la poésie d'un espoir paradoxal et décapant.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/11/02/note-de-lecture-partout-le-feu-helene-laurain/

Laetitia appartient à une génération pour laquelle le désastre écologique n'est plus quelque chose qui fera mal « après notre disparition », mais bien « de notre vivant ». du fait d'un sentiment d'urgence si insuffisamment partagé du plus grand nombre, face à la force d'inertie du confort consumériste renforcé par le travail inlassable des lobbys industriels ralentisseurs d'action salutaire et accélérateurs de profit ponctuel, elle est parfois saisie, comme d'autres militantes et militants de son entourage ou de plus loin, par un mélange de découragement et de dépression, toujours à surmonter, pour rejoindre un état d'esprit qu'il vaut mieux en effet désigner du mot fureur que du (en l'espèce) trop mou anxiété, selon la remarque efficace de Jonathan Bouchet-Petersen dans Libération (à lire ici). Avec ses compagnes et compagnons de lutte, vivant comme elle à proximité immédiate d'un site lorrain sélectionné pour un enfouissement massif et « éternel » de déchets nucléaires (on peut lire chez le fabuleux John d'Agata de « Yucca Mountain » les tours et détours de cette notion d'éternité lorsqu'il s'agit d'éléments hautement radioactifs à longue demi-vie), elle imagine néanmoins au quotidien des moyens de retourner les liquides et les brumes cyniques du spectaculaire marchand contre le capitalisme tardif et jusqu'au-boutiste qui les alimente et les encourage.

Plongée poétique au coeur d'un activisme chaque jour à réinventer, mélange subtil d'un espoir et d'un désespoir qui se ré-enracinent au quotidien d'une manière échappant toujours aux classifications trop rapides, confrontation de discours et désamorçages de storytellings si bien rodés (la Claire Vaye Watkins des « Sables de l'Amargosa » n'est peut-être pas si loin), « Partout le feu », premier roman d'Hélène Laurain, publié chez Verdier en janvier 2022, compte parmi ces textes qui frappent immédiatement. En assemblant dans un même flot, à la scansion à la fois minutieuse et résolument étonnante, les doutes monologués intérieurement, les convictions, les lassitudes, les résidus de langue de bois technocratique, les injonctions de pré-violence policière (celle-là même qui fait s'étouffer métaphoriquement un ministre de triste renommée et pas du tout métaphoriquement quelque éventuel contrevenant « malchanceux »), les réflexions écologiques de première main et les élans de révolte plus sophistiquée qu'il n'y paraît d'abord, la complainte rageuse de Laetitia devient vite tout autre chose, mystérieux et combatif en diable.

Rythmé sans aucune gratuité, mais au contraire en développant une belle osmose avec sa narratrice, sous les signes de Tchernobyl et de Fukushima, de Svetlana Alexievitch et de Genichiro Takahashi, par les paroles (et musiques induites) de Bronski Beat, de The Cure, de David Bowie, de Depeche Mode, de The Verve, de Eurythmics, de Fatboy Slim, de Lykke Li, de Florence + The Machine et de bien d'autres encore, et naturellement du documentaire « Wild Plants » de Nicolas Humbert, dont on découvrira dans l'entretien cité ci-dessous qu'il se trouvait bien largement à la racine du projet, « Partout le feu » mobilise l'inattendu d'une pop culture tous azimuts, réagencée en dehors des canons du spectaculaire marchand pour fournir carburant et comburant secrets d'une autre mise à feu.

Comme le dit l'autrice dans son très bel entretien avec Johan Faerber dans Diacritik (à lire ici), à propos du personnage de Laetitia : « Par quoi remplacer la fiction capitaliste dans laquelle elle a grandi et qui s'avère inopérante et délétère ? ». Comme Alain Damasio dans « La horde du contrevent » et comme le collectif italien Wu Ming (lorsqu'il s'appelait encore Luther Blissett) dans « Q » et dans « Altai », par exemple, en recourant à un agencement très différent des métaphores vis-à-vis du réel contemporain, il s'agit bien d'inventer un autre récit du collectif, dans le creuset de la lutte, pour instiller une vibration différente et prometteuse, une embolie dans la déliquescence, un espoir paradoxal là où règne seul en apparence le désespoir.

Lien : https://charybde2.wordpress...
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Attention talent ! Qu'elle est belle, la littérature, quand elle nous arrive ainsi.
Le sujet n'est pas des plus doux. Un quotidien, fragile et heurté, raconté par les détails. Une lucidité désenchantée, alors l'activisme. Sinon quoi, l'amitié ? la nature ? l'art ? Un livre comme une voix sensible que l'on écoute et que l'on suit pour ressentir en profondeur quelle vie possible, quelle poésie possible quand partout le feu.
Ainsi résumé, on pourrait croire à un classique roman social. Non. Car la forme choisie, ramassée, éclatée, restitue une force et une densité que peu d'entre eux atteignent. Fortement sensorielle, la prose d'Hélène Laurain se déploie en multiples précipités. C'est une réduction extrême, cette prose-là. du puissant concentré, du cuit à feu doux pendant des mois. Nul besoin de ponctuation, les impressions ne se découpent pas, les fulgurances non plus.
Un premier roman remarquable, d'une classe rare.
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une mariée en flamme s'effondre en pleurant l'absurde radioactive la chaire calcinée s'évapore faut-il espérer résurgence militante faut-il sombrer désespoir rance faut-il signer abandon en avalant l'inertie peut-on survivre écorce assoiffée ?
une torsade au vent gonfle les joues et s'étire fragile la terre patauge attend un signe
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