Citations sur Un dernier verre avant la guerre (142)
Angie était chez elle, maintenant, à esquisser quelques autres pas de cette grotesque danse de douleur qu'elle appelait un mariage. Un mot dur, une claque ou deux, quelques accusations hurlées, et au lit jusqu'au lendemain. L'amour. Je me suis de nouveau demandé pourquoi elle était avec lui, qu'est-ce qui pouvait pousser une personne de sa qualité et de son discernement à se laisser traiter comme de la merde.
- C'était un mec sympa. Tu te souviens?
J'ai hoché la tête, parce que je me souvenais. Phil avait été un mec super, autrefois. Avant que les factures arrivent, avant que les boulots partent et que l'avenir devienne un sale mot pour rire jaune, désignant tout ce qu'il n'aurait jamais. Phil n'avait pas toujours été le Connard. Il l'était devenu.
— Alors, il y a anguille sous roche, inspecteur ?
J'ai haussé les épaules :
— Ce sont des élus. Le jour où ils diront toute la vérité, les putes feront des passes à l'œil.
Elle a souri.
— Comme toujours, tes métaphores sont superbes. Le pur produit d'une bonne éducation, voilà ce que tu es.
Bubba est un anachronisme absolu à notre époque [...] Il mesure 1,90m pour 105 kilos d'adrénaline brute et de colère discordante. Et il tuerait quiconque me ferait un clin d'oeil torve.
PS : torve, se dit d'un regard oblique et menaçant, pour les incultes comme moi.
J'avais servi de punching-ball à mon père pendant dix-huit ans, sans jamais riposter. Je continuais à croire, je continuais à me dire : « Ça va changer, il va s'arranger. » C'est dur de fermer la porte à l'espérance quand on aime quelqu'un.
Le bar était petit et exigu, et les dalles de caoutchouc noir du sol sentait la bière éventée, la suie mouillée et la sueur. C’était un de ces paradoxes fréquents dans cette ville : un bar blanc et irlandais dans un quartier noir. Les hommes qui buvaient là le faisaient depuis des décennies. Ils se muraient à l’intérieur avec leurs pressions à un dollar, leurs œufs marinés et leurs attitudes figées, et faisaient comme si le monde extérieur n’avait pas changé. C’était des ouvriers du bâtiment qui travaillaient dans le même rayon de huit kilomètres depuis qu’ils avaient leur carte syndicale, parce qu’il y a toujours quelque chose en cours de construction à Boston ; c’étaient des contremaîtres des docks, de l’usine de General Electric, de Sears ans Roebuck. Ils faisaient passer leur whisky bon marché avec de la bière excessivement froide à onze heures du matin et regardaient la cassette du match Notre-Dame-Colorado, à l’Orange Bowl, au nouvel an dernier.
A la hauteur du hangar à bateaux, j'ai vu un groupe d'étudiants d'Emerson ou de B.U., coincés en ville pour l'été, qui se partageaient une bouteille de vin. Folle jeunesse. Ils avaient sans doute aussi du brie et des crackers dans leurs sacs à dos.
J'ai de nouveau tourné en prenant Myrtle Street, une rue pas plus large qu'un bout de fil dentaire, avec de hauts bâtiments coloniaux qui se serraient contre moi. Il est impossible de suivre quelqu'un dans Beacon Hill sans se faire repérer. Les rues ont été construites avant les voitures et, je suppose, avant les gros ou les grands.
Au temps où Boston était ce monde mythique et merveilleux de profs d'aérobic nains, les hauteurs de Beacon Hill devaient paraître spacieuses. Mais maintenant, elles sont exiguës et étroites, et ont beaucoup en commun avec une vieille ville provinciale française : très agréable à l'œil mais un désastre du point de vue fonctionnel.
La violence des gangs avait fini par atteindre nos portes et il fallait faire quelque chose, à tout prix.
C'est toujours quand elle atteint « nos portes » que nous finissons par considérer que c'est un problème. Quand elle se confine à nos arrières-cours pendant des décennies, il n'y a personne pour la remarquer.
Si je n’avais pas été moi, je n’aurai pas reconnu mon visage. Mes lèvres avaient doublé de volume, et on aurait dit que j’avais roulé un patin à une moissonneuse-batteuse. Mon œil gauche était bordé d’un épais liseré de sang brun, et la cornée striée de filets rouge vif. Le long de ma tempe, la peau s’était ouverte quand Casquette Bleue m’avait frappé avec la crosse de l’Uzi, et, pendant que je dormais, le sang s’était caillé dans mes cheveux. Le côté droit de mon front, avec lequel je présumais avoir heurté le mur, était à vif et écorché. Si je n’étais pas du genre détective viril, j’aurais peut-être pleuré.