Olivier Lemire se présente comme un écrivain-voyageur. J'ai eu l'occasion de bavarder un peu avec lui, lors d'une journée du livre, à Montpellier par une belle journée d'été. Je n'ai vraiment lu que récemment ce livre de rencontres avec d'étonnants lieux-dits de nos campagnes, et leurs habitants.
Cette idée proustienne de découvrir le pays derrière le nom m'avait charmée, or j'ai été passionnée par cette plongée dans les vestiges d'un pays qui n'existerait plus?
Sauf que,derrière les parkings des hyper, les zones commerciales et artisanales, les lotissements, deux ou trois ronds-points après la rocade, il existe encore un monde moribond, témoin d'une France rurale d'après les deux guerres, avant le triomphe de la grande distribution et le démantèlement des deux grands services publics que furent la poste (sans majuscule menteuse) et les chemins de fer.
Les courts textes enchâssent des photos sans chichis, qui ne cachent ni n'enjolivent rien.
Les photos, en premier lieu, valent ce détour. Non qu'elles soient belles, ni même travaillées.
Pancartes boueuses et rouillées ayant échappé à la normativation européenne, bousculées par les panneaux gueulards des "grandes enseignes" mondialisées, personnes du troisième âge et du quatrième type,( je veux dire des vraies gens qui vivent vraiment à l'année dans ces lieux dits), qu'on ne rencontre guère qu'en quittant les voies de liaisons qui "comme l'avion, relient, mais ne desservent plus", devantures vides et écaillées , voilées de l'intérieur par des toiles d'araignées pousièreuses, gares désaffectées et herbeuses.
Juxtaposition féroce des personnes portant les stigmates d'une vie de travail, et des noms bibliques (Jésus, ) modernes (l'Industrie, la Bourse,l'Usine;) mais aussi : l'Autre, l'Ennui, l'Europe, la France, la Liberté, le Nouveau Monde, Les Anges et Misère (mon préféré)..
Les textes n'ont rien de littéraire, mais pourraient être insérés dans un manuel de sociologie. Rencontre entre un voyageur (j'allais dire un pèlerin) qui s'est écarté des grands axes, et des autochtones qui parfois n'ont pas dépassé le chef lieu du canton. Courts récits de vies et chroniques d'un temps partagé: le voyageur voit son assiette mise à côté des autres,le repas du jour lui être servi et le partage de son propre pique-nique gentiment refusé, les victuailles d'icelui précautionneusement rangées au frigo en prévision du départ de l'invité.
Une idée poétique, un livre- vérité, qui aide à comprendre comment la modernisation de la France dévore petit à petit la terre nourricière. Chaque année il s'urbanise (lotissements, parkings, centres commerciaux…) une surface équivalente à celle d'un département, selon l'auteur. Dis M'sieur, c'est où, la campagne?
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En vérité le coeur de bien des villages de France n'est plus la mairie, ni l'église, ni même le café souvent fermé le soir: c'est la boutique de pizzas à emporter ou le camion-pizza. L'une et l'autre sont à la fois des lieux de passage et des lieux de vie. Les échanges s'y font au rythme des dix minutes nécessaires à la préparation des plats et au bruit des véhicules qui s'arrêtent devant la porte de l'établissement : scooters des jeunes du quartier, souvent dépourvus de pots d'échappement; fourgonnette blanche tôlée de l'artisan venu après son dernier client; petite voiture de construction française tunnée des roues au déflecteur arrière (voiturette diesel pour ceux qui ont perdu tous les points de permis).
La population française n'a cessé de vieillir ces dernières décennies. A la campagne, le mouvement est bien plus rapide encore: les plus de 60 ans représentent 28% de la population du Grand Ouest, et dans certaines intercommunalités rurales, ils représentent jusqu'à la moitié des habitants.Dans certaines régions de Basse-Normandie, du Centre-Bretagne, ou de Charente, les plus de 75 ans comptent pour près de un cinquième des résidents.Les statistiques les regroupent avec les anciens agriculteurs sous l'appellation "fin de cycle".
Il est toujours triste de constater la disparition d'un monde sans que le nouveau arrive à séduire.