Quand le western se met en place, les bons et les méchants s’apprêtent à solder les vieux comptes, et Laurentin, comme un shérif désavoué par le préfet inquiet d’un territoire en sécession, subit la colère dont sont souvent victimes les justiciers
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Son roman Écorces vives a été choisi par un jury d’auditeurs de la Première. Il se démarque totalement de la production française habituelle.
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Avec Écorces vives, Alexandre Lenot impose une voix singulière et des personnages totalement originaux dans le roman français.
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Les amateurs de polar pur et dur ne trouveront sans doute par leur compte dans ce roman d'atmosphère plus que d'intrigue, souvent elliptique. Mais l'écriture est belle, très travaillée. Politique aussi, mine de rien.
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Avec ce premier livre, Alexandre Lenot, auteur également pour le cinéma, la radio et la télévision, entre avec éclat dans le cercle des nature writers et agrandit encore un peu la famille du polar français. Pour notre plus grand plaisir.
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ELI
Il aurait voulu avoir de la dynamite. Il n’avait que de l’alcool, dans lequel il tentait de se noyer tout entier. Il avait pris un bus, puis un train, puis un autre train, puis un car, puis il avait volé un vélo qui avait déraillé puis il avait marché. Il s’était éloigné sans même y penser, mû par le simple refus de l’immobilité. Il avait balancé son téléphone par la fenêtre, quelque part après Moulins.
L’appareil venait de lui apprendre l’extinction, totale et définitive, du léopard d’Égypte. Il était venu dans le Nord du Cantal, sur ces terres que tout le monde s’évertuait à fuir depuis au moins trois ou quatre générations, et il était aussi seul qu’il avait souhaité l’être, enfoui au bout de la vallée, pris entre des massifs noirs qui ne laissaient pas passer grand-chose.
Seul avec ses épaules voûtées, sa barbe blanchissante, à l’heure de poser sa hache, de s’asseoir enfin. Seul accroupi dans la terre humide et les odeurs d’humus.
Seul avec tout ce qu’il portait : la mémoire de ses combats, les douleurs de ses défaites, les cicatrices de leurs rêves. Ses rêves et les siens, à elle qui ne viendrait plus ici. Il avait le sentiment d’être le dernier de sa tribu, le dernier de son espèce, et que plus personne ne viendrait raviver ses feux. Siskiyou partie, personne ne lui dessinerait plus la carte du ciel-qui-tombe, personne ne lui chanterait plus l’or du matin et la pluie du soir,
personne ne lui tiendrait plus les mains quand elles tremblent. Personne ne songerait à soigner sa voix brisée.
Personne ne lui ferait de parade digne d’un soleil ou d’une comète. Personne ne descendrait jamais de lui, et personne ne l’appellerait vieux père au crépuscule de sa vie. Personne ne lui embrasserait les yeux au soir du grand sommeil et personne n’égrènerait ses poussières à sa mort.
Il avait passé la nuit-là, le cul crotté, entre la maison de Siskiyou, une toute petite réserve à grains aux murs épais qu’on avait transformée en habitation, et l’ancien corps de ferme en ruine qui lui faisait face. L’aube n’était plus très loin, le noir se teintait de gris et les étoiles ’éteignaient.
Tout était blafard, à cette heure. Il se leva d’un bond, maladroit. Il trouva les clés de la remise, et là le réservoir d’essence de la tondeuse. Il rassembla des bouteilles de verre vides et des chiffons graisseux. Y ajouta du liquide vaisselle et du vinaigre.
À l’impact, le toit prit feu instantanément. Le deuxième cocktail Molotov passa par un grand trou dans la façade de la vieille ruine. Il enflamma le parquet du premier étage. Pour la dernière bouteille, il se retourna et s’approcha au plus près de la maison de Siskiyou, vit par une fenêtre ouverte le canapé élimé, la table ronde couverte d’une toile cirée fleurie et le joli poêle à bois vert foncé. Il ferma les yeux pour ne pas pleurer, et lança son engin, à l’aveugle, de toutes ses forces. La chaleur lui sauta au visage comme une bête affamée.
En quelques minutes, la ruine entière se transforma en torche et hurla. Du métal grinçait, du vieux bois explosait. Les ronces qui grimpaient sur les murs se rabougrirent et prirent feu à leur tour. De l’autre côté, c’était moins spectaculaire, de la fumée surtout, du gris et des bouffées de noir.
Il revint à sa station, accroupi entre les deux maisons, ramena sa capuche sur son visage. Il avait entendu quelques animaux s’aventurer près de lui dans la nuit, une chouette dans un merisier et sans doute quelques biches dans le champ en contrebas, près de la rivière. Lui revinrent à l’esprit ces rituels indiens où on se couvre le visage de cendre en guise de deuil. Ça sentait le feu de bois, et par-dessus la peur, sa propre peur, alors que les flammes fleurissaient, que la végétation tout autour était prise à son tour. Le feu bondissait, joueur ayant perdu la raison, se propageant dans tout le hameau. Le grand peuplier au bord de la rivière s’embrasa d’un coup, les flammes partant de la base et se précipitant à son sommet comme si elles se livraient une course sans merci, et il sursauta, peut-être pas aussi stoïque qu’il espérait l’être. Avait‑il crié ? Il refusa de se lever, s’agrippa à l’idée de ne pas bouger, de rester là, advienne que pourra, le visage en plein dans le brasier. C’est qu’il voulait désespérément être courageux, plus courageux qu’il ne l’avait jamais été. Il s’imaginait sans doute qu’alors la chaleur sécherait ses larmes, que le feu l’apaiserait enfin, se disait que sinon il n’avait qu’à se laisser réduire à néant une bonne fois pour toutes.
C’est là qu’il la vit, dans la clarté étrange de ce minuscule matin gris parcouru par le feu, en haut de la butte qui surplombait le hameau, là où le bitume s’arrêtait et où il ne restait plus qu’un petit chemin de terre.
Une silhouette fine, pas bien grande, peut-être une enfant, dont on ne distinguait pas les traits, juste des cheveux roux qui s’échappaient d’une capuche de laine grise. Elle se tenait en silence au début du chemin, pas surprise et pas effrayée, mais pas non plus tranquille, le corps comme ceux des chiens en arrêt, fixe et tendu.
Peut-être voulait‑il l’éloigner, ou alors l’attraper : il se mit à courir vers elle. Il jeta un œil sur la maison qui partait en fumée et quand son regard revint vers le chemin, il n’y avait plus personne.
Elle entend le murmure du pays, tout près d’elle. Des questions ressassées des centaines de fois, au creux des jours et au soir avant de s’endormir, par ces hommes fatigués et brutaux, avides et peinés, qui sentent leur vieux monde s’embrumer peu à peu, parcouru par les vents et la mort, raviné par les pluies, isolé par des contreforts noirs, des routes trop peu nombreuses et trop difficiles à entretenir, des voies ferrées déficitaires et sans cesse menacées par des comptables dont les visages ignorent tout des morsures du vent. Un vieux monde qui leur a été légué mais que leurs doigts gourds et tordus n’arrivent plus à retenir. Un monde qui semble ne plus faire partie de rien, un pays entier relégué en périphérie. Tous ces murmures s’enroulent autour d’elle, autour de la maison, autour de la ferme jusque au-delà des arbres et de la rivière, autour des enfants, autour de ses mains, comme autant de liens effilochés. Elle regarde ses poignets, incapable de déchiffrer ses propres envies, ses désirs et son jugement obscurcis, sa raison un caillou englouti par la rivière, juste là sous la surface et tout à fait inatteignable.
Le capitaine Laurentin a mal en permanence. Toutes les circonstances de la vie le lui rappellent. Mais il se souvient que cette douleur n’est que résiduelle. Elle n’est pas grand-chose par rapport à sa lointaine cousine, celle qui s’était installée à demeure au temps où des chirurgiens s’acharnaient sur son genou désarticulé pour en refaire quelque chose d’à peu près fonctionnel, et où des infirmières la nuit venue se montraient généreuses en morphine.
Dans les souvenirs de ce temps-là, il y a ceux de Jeanne. Elle avait décidé de ne pas le lâcher. Cette belle femme au front calme et aux joues rosées l’avait agrippé avec douceur et fermeté pour l’empêcher de sombrer.
Des questions ressassées des centaines de fois, au creux des jours et au soir avant de s'endormir, par ces hommes fatigués et brutaux, avides et peinés, qui sentent leur vieux monde s'embrumer peu à peu, parcouru par les vents et la mort, raviné par les pluies, isolé par les contreforts noirs, des routes trop peu nombreuses et difficiles à entretenir, des voies ferrées déficitaires et sans cesse menacées par des comptables dont les visages ignorent tout de la morsure du vent. Un vieux monde qui leur a été légué mais que leurs doigts gourds et tordus n'arrivent plus à retenir. Un monde qui semble ne plus faire partie de rien, un pays entier relégué en périphérie.
Nous dirons que nous sommes devenus mauvais. C'est l'alcool. C'est le labeur qui effrite les hanches et brise le dos. C'est qu'on se souvient de nous tous les cinq ans, et que le reste du temps il faut se taire, se terrer et se taire, en espérant que le vent mauvais nous laissera du répit. (...) C'est que plus aucun docteur n'accepte de venir jusqu'à nous, et que c'est à nous de franchir des cols et traverser des plateaux pour espérer qu'on soigne nos rages de dents et qu'on prenne des clichés clairs de nos articulations rompues. (...) C'est d'être de la montagne mais plus vraiment, forcés de quitter les contreforts pour s'agglutiner au pied de l'autoroute d'où devait nous arriver la prospérité, à quelques jets de pierre de la frontière du département et pourtant déjà à l'étranger. C'est de constater que la chimie nous a menti, qu'elle a empuanti nos sols et détruit de l'intérieur même les plus fort d'entre nous. (...) C'est de se prendre à guetter l'avènement de temps catastrophiques, partagés entre la peur et l'envie que tout brûle enfin. (...) C'est de savoir que nos fils et nos filles partis servir servent encore et serviront toujours demain, maintenus des deux mains dans la servilité, et que s'ils reviennent c'est uniquement parce qu'ils ont été brisés, rejetés, jugés inaptes. C'est que tout le monde a démissionné. C'est qu'on nous abandonne. (pp.106-107)
Alexandre Lenot est un auteur français.
"Écorces vives" (2018) est son premier roman. Écorces vives est construit sur une tension souterraine, un entrelacs de préjugés dé?nitifs et de ranc?urs séculaires. de ce roman noir ? qui est aussi fable sociale, western rural, hommage aux âmes mélancoliques et révoltées ? sourd une menace : il faut se mé?er de la terre qui dort?
Il vit à Paris et écrit également pour le cinéma, la radio et la télévision.