- Tu as raison, je crois que je suis chiant. Mais c'est plus fort que moi.
- Tu m'as demandé de te réapprendre à vivre, tu te souviens ? Alors commence par te détendre. Tu donnes trop d'importance aux choses qui n'en ont pas. [...] Tu ne crois pas que de temps en temps le souvenir d'une belle soirée d'enfance vaut tous les cours d'histoire du monde ?
- Antoine, pourquoi tu fais tout ça ?
- Parce que ça me fait plaisir.
- Tu n'en as pas marre de t'occuper de tout le monde ? Quand vas-tu enfin te décider à décrocher le tonnelet que tu as sous le cou ?
- Quand j'aurai fini de le boire.
J'ai envie d'une maison avec des enfants qui rient, je veux de la vie quand je rentre chez moi, je ne veux plus de dimanches sinistres, je veux des week-ends avec des enfants qui rient.
- C'est au Royaume-Uni ou au royaume de Gulliver que tu m'as fait immigrer ?
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Il y a qu'un rayon de soleil est entré dans ma cuisine et qu'on ne tenait pas à deux dans la pièce, alors je suis venu prendre mon petit-déjeuner chez toi ! Tu as du miel ?
- Devant toi !
- En fait, je crois que j'ai compris, reprit Mathias en mordant dans sa tartine. Ici les kilomètres deviennent des miles, les degrés Celsius des Fahrenheit et petit est converti en minuscule.
- Je suis allé prendre le thé deux, trois fois chez mon voisin, j'ai trouvé l'endroit plutôt cosy.
- Eh bien, ce n'est pas cosy c'est minuscule.
- Bien dormi ? demanda Antoine.
- Mon côté gauche a bien dormi, le droit n'avait pas assez de place.
- Si le bonheur se présente, ne le laisse pas passer.
- Je ne suis pas sûr qu'il ait ma nouvelle adresse ton bonheur...
- J'ai passé toute ma vie dans ce lieu, dit-il.
- J'en prendrai bien soin, vous avez m parole d'homme, répondit Mathias solennel et sincère.
Le vieux libraire s'approcha de son oreille.
- Je venais d'avoir vingt-cinq ans, je n'ai pas pu les fêter, mon père ayant eu la regrettable idée de mourir le jour de mon anniversaire. Je dois vous confier que son humour m'a toujours échappé. Le lendemain, j'ai dû reprendre sa librairie, elle était anglaise à l'époque. Ce livre que vous tenez dans les mains, c'est le premier que j'ai vendu. Nous en avions deux exemplaires en rayon. J'ai conservé celui-ci, me jurant que je ne m'en séparerais qu'au dernier jour de mon métier de libraire. Comme j'ai aimé ce métier ! Etre au milieu des livres, côtoyer tous les jours les personnages qui vivent dans leurs pages...Prenez soin d'eux.
- Tu rentres à Londres demain ? demanda Mathias.
- Ce soir.
- Alors on ne dîne pas ensemble ?
- Sauf si tu prends le train avec moi.
- Je travaille, demain !
- Viens travailler là-bas.
- Ne recommence pas. Qu'est-ce que tu veux que je fasse à Londres ?
- Etre heureux !
Au printemps suivant, une rose remporta le grand prix de la fête de Chelsea. Elle avait été baptisée Yvonne. Dans le cimetière d'Old Brompton, elle fleurissait déjà sur sa tombe.
- Paris n'est qu'à deux heures quarante. Et puis toi aussi tu peux venir me voir, non ? Enfin, si tu en as envie.
- Bien sûr que j'en ai envie. J'aurais encore plus envie que tu ne partes pas, que nous puissions nous revoir dans la semaine. Je ne t'aurais pas poposé de dînér avec moi lundi, la date aurait été trop proche, je n'aurais pas voulu te faire peur, ou être trop présent, mais je t'aurais dit mardi ; toi tu m'aurais répondu que ce mardi-là, tu étais malheureusement prise ; alors nous aurions choisi de nous revoir mercredi. Mercredi aurait été parfait pour nous deux. Bien sûr, la première partie de la semaine nous aurait paru interminable, la seconde un eu moins car nous nous serions retrouvés pendant le week-end. d'ailleurs, dimanche prochain, nous aurions brunché , à cette même table, qui serait devenu notre table.
Audrey posa ses lèvres sur celles de Mathias.
-Tu sais ce que nous devrions faire, maintenant ? murmura-t-elle. Profiter de ce dimanche-là, puisque nous sommes assis à notre table, et que nous avons encore toute une après-midi , rien qu'à nous.