"La vie est dure, Danny.
Le monde ne nous veut pas de mal,
mais il ne nous veut pas de bien non plus.
Il se fiche de ce qui nous arrive."
--
Stephen King,
Shining.--
"Un jour le dessin m'a quitté.
Le même jour qu'une poignée d'amis chers.
A la seule différence qu'il est revenu, lui. (...)"
--Luz, Préface de
Catharsis.--
Les attentats du 7 janvier ont secoué tout le pays.
Certains s'indignèrent, d'autres adoptèrent l'indifférence, d'autres ne surent pas comment réagir, il est vrai que le choc avait presque limite séparé le pays entre les pour et les contre, ramenant sur le devant de la scène le manque de recul et de demi-mesure qui s'empare souvent du peuple devant un sujet trop fort pour lui : le terrorisme, la politique, la religion, le prochain star wars, l'abus de super-héros ou de game of thrones. Une poignée pointa le cynisme qui pouvait découler de tout ça sans qu'on ne sache s'ils étaient eux-même cyniques ou foncièrement sincères. Certains tentèrent d'informer dans le cadre de la course au buzz en se désignant d'eux-même comme les défricheurs de l'immoralité et de la bêtise de l'époque. Beaucoup eurent une sale boule dans la gorge, l'estomac voire le pleur facile : L'amérique avait été touchée en son coeur une décennie avant, deux artères gigantesques décapitées nettes; la France était touchée dans ses idées et sa liberté d'expression, donc sa tête, siège de la raison comme de l'imagination.
Enfin une poignée frôla la mort. Luz est donc de ceux-là.
Même si beaucoup de ses pages furent publiées dans
Charlie Hebdo, une telle oeuvre qui concentre une bonne partie du drame, entre allers-retours de celui qui a survécu par un infime coup de chance au passé et présent à évacuer et reconstruire, ne peut décemment pas se résoudre à nouveau à un stupide dilemme du pour ou contre : Il n'y a ici pas à "être
Charlie" ou ne pas l'être, quitte à faire preuve de sa bêtise devant une BD qui annonce d'emblée son but à travers son titre et sa couverture. "
Catharsis" donc et son bonhomme, riquiqui, impersonnel et en même temps universel, les yeux écarquillés, recouvrant la majeure partie du corps par ce qui reste une fois qu'on évacue les sens qui dans cette affaire n'ont pas été essentiels, la vue.
Ou plutôt le regard. Luz ici livre son regard, comme toujours subversif, comme toujours plein de brillante auto-dérision mais avec une part de vertige monstrueux sur les attentats et ce qui a suivi.
Et comme jamais auparavant, Luz se livre.
Dans toute sa crudité, sur le regard des autres, sur lui-même, sur l'indifférence du monde qui continue sa course, ne laissant que la douleur et les souvenirs. La citation de
Stephen King qu'il donne en ouverture du livre juste avant un prologue très personnel (repris aussi en ouverture) est une clé non seulement liée au fait qu'il se replonge dans le livre du maître de l'horreur dans les mois qui suivent pour décompresser (une oeuvre d'horreur pour en chasser une autre pourrait on écrire si l'on faisait de la psychanalyse de bazar) mais surtout pour témoigner de l'incompréhension qui le tenaille et lui et nous. Mais surtout lui. L'horreur au fond c'est ce qui surgit du monde sans même qu'on y prenne garde et qui un jour se révèle dans toute sa dimension et la banalité de ce qui l'entoure à ce moment là.
Souvent le trait de Luz bute, la main tremble.
Sismologie du graphisme. Parfois le style des petits bonhommes est abandonné pour l'anecdote. Tel cet homme observé qui lit tranquillement "idées noires" de
Franquin. Une BD assez représentative de l'humour (noir justement) érigé comme dernier rempart à la face d'un monde de saloperies. Luz lui-même le remarque en lui-même avant que sa compagne ne lui rétorque qu'en même temps ce genre d'humour désespéré, "c'est tellement drôle". Eh oui.
Tout passe par la
catharsis. le vide, la panne (qu'elle soit d'inspiration ou sexuelle, l'auteur s'en amusant heureusement avec un brin de malice), le cul aussi. Unique bouée pour ne pas se foutre par la fenêtre, l'amour. C'est généralement un cliché mais l'on vous dira que dans ces cas là c'est surtout parce que la notion même d'amour est galvaudée, ramenée vers le bas, en dehors de sa propre transcendance qui ramène elle-même vers le respect de son prochain, sa prochaine. Ici l'amour, c'est cette femme à qui est dédié l'ouvrage en toute fin, celle qui a retenu l'auteur un peu plus au lit le jour de son anniversaire. Par amour.
Et l'a donc fait arriver au retard au boulot ce jour là, un 7 janvier.
Et l'a donc sauvé.
Tout est déversé d'un coup, dans une colère contenue, une tristesse et une mélancolie, des pointes d'humour (tout le monde en prend pour son grade) et parfois quelques pétages de plombs que Luz n'exclut pas et montre également. du noir et blanc et comme seule couleur, le rouge, celui du sang, du désespoir, du coeur, de l'amour, la seule couleur qu'il était possible de voir pendant plusieurs mois.
On ne ressort pas indemme d'une BD comme ça. Trop personnelle, trop noire. Trop vraie, de cette vérité qui tâcle sévèrement l'humeur quotidiennement. On aura pu entendre parler d'un pigeon qui philosophait sur l'existence en salles de cinéma dernièrement. Chez Luz, le pigeon a vu l'horreur, il en a été constipé et n'a réussi à chier que quelques jours après... sur un certain président de la république.
Ou comment expliquer un phénomène qui tient de l'absurde et a été vu sur les télés et youtube d'en France et par le monde en ramenant le fait à une dimension encore plus étrange et en même temps très drôle. On pourra dire que le pigeon aura bien évacué le trauma sur le coup. Luz, lui, il lui a fallu chier toute une BD et si on la lit, on se prend tout en pleine gueule.
Avec cette BD, même s'il est trop tôt pour juger de savoir si elle pointe un aspect historique et un tournant du pays sur plusieurs points, elle a le mérite de pointer ce qui fait mal pour ne pas oublier de sitôt.
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