C'est un joli livre à la couverture épaisse déclinée en noir, blanc et une teinte cuivrée. Au premier plan, des petits personnages lèvent les yeux en direction d'un avion semeur de bombes. A l'arrière-plan, le paysage évoque des montagnes et une jungle stylisée. Quelle que soit la violence que contient cette histoire, la rondeur du trait au pinceau viendra en contenir l'impact.
C'est que de la violence, il y en a. Depuis des millénaires, le peuple
Hmong, une ethnie minoritaire parmi tant d'autres habitant sur les terres chinoises, est en butte aux persécutions et aux tentatives d'assimilation ou d'extermination. Depuis toujours aussi, ils sont chargés par le pouvoir oppresseur du moment (français y compris) de cultiver le pavot dont la vente permettra de financer les guerres successives au fil des siècles. Retranchés dans les montagnes indochinoises puis au Viêt-Nam, les
Hmong parviennent malgré tout à vivre selon leurs rites et culture. Mais leur devenir est indissociable de celui de la colonisation. Etablis sur un territoire que se sont arrogés les Français, certains décident de pactiser avec eux tandis que d'autres restent résolument indépendants. Au moment de la décolonisation, les
Hmong du Laos sont alliés des Français et des Américains. Ils sont formés par l'armée secrète américaine, se livrent à des actions héroïques et sauvent bien des vies de soldats. Pourtant, l'évolution du conflit va les laisser isolés, sans armes ni vivres, au fin fond de la jungle, assiégés par l'armée vietminh. Abandonnés de leurs anciens alliés. Des milliers d'entre eux parviendront à prendre la route de l'exil et entameront une vie qui n'aura plus rien à voir avec celle qui étaient la leur auparavant.
Vicky Lyfoung est la fille d'un de ces couples venus en France fuir l'extermination. Née en région parisienne, elle est tellement ignorante de l'histoire de son peuple qu'elle demande à sa mère pourquoi on ne peut pas juste dire qu'ils sont chinois.
Hmong, « l'histoire vraie d'un peuple méconnu » va retracer le fruit de ses recherches, amener le lecteur à partager les nouvelles connaissances de l'autrice et réaliser avec elle les intrications qui existent entre l'identité farouchement autonome de son peuple et la violence des volontés hégémoniques successives.
J'ai été d'abord déconcertée par le profond hiatus qui existe entre le dessin de
Vicky Lyfoung et le propos de son livre. Son trait évoque les figurines pop, ces petits personnages en plastique que collectionnent les enfants (et les adultes si j'en crois les prix de certaines et le fait qu'elles aient leur propre indice de cotation !). Les attitudes croquées sont elles aussi évocatrices d'un univers manga naïf et innocent : de grands yeux écarquillés, un sourire un peu crispé et les mains en avant en signe de dénégation, ce n'est pas vraiment ainsi que j'aurais représenté le refus de se soumettre à une force oppressive ! Jusqu'aux répliques dont l'aspect décalé apporte une légèreté étonnante : « Libérés, délivrés ! on est les Japonais ! » dit le petit personnage qui incarne l'invasion japonaise de 1945 en Indochine.
Mais finalement, il faut bien toute cette douceur un peu mièvre pour contrebalancer le tragique de l'histoire. Qu'elle n'ait pas été exposée sous une forme grandiloquente a d'autres avantages aussi : celui de nous la rendre facilement sympathique et, surtout, celui de nous rassénérer. Aussi traumatiques soient les origines des
Hmong exilés en Europe, il semble qu'ils vont assez bien pour partager avec nous leur histoire de manière distanciée et même souriante. Cela n'invalide en rien la cruauté des vagues oppressives, de l'abandon dont les armées françaises et américaines se sont rendues coupables. Mais cela permet au moins d'y réfléchir sans que le trop plein d'émotions (culpabilité, déni, remords) obscurcissent tout.
Je remercie vivement Babelio et les éditions Delcourt/encrages pour cette découverte.