S'il fallait juger un livre aux nombres de pages qui en finissent cornées, signe de mon intérêt, voire de ma fascination, pour ce qu'elles expliquent, décrivent, racontent,
Les identités meurtrières auraient obtenu les 5 étoiles admiratives réglementaires facilement.
Leur nombre décroît pourtant à mesure que l'essai se déroule, qu'
Amin Maalouf égrène ses questions, son point de vue, ses arguments, ses réponses. Ces dernières viennent peu à peu noircir le constat précédent, celui qui m'était venu à la lecture des premières pages : si ces évidences étaient partagées par tous, ne vivrions-nous pas dans un monde meilleur ? Mieux encore : ce livre ne devrait-il pas être mis à disposition de tous, afin d'assurer la diffusion de ces idées, afin de montrer à chacun d'entre nous que l'identité ne peut être unique, qu'elle est nécessairement plurielle, et que la diversité est une richesse plutôt qu'un boulet que l'on traîne ? Ou tout du moins, qu'elle devrait l'être, une richesse, plutôt qu'un poids sur le dos de ces milliers de jeunes ou de plus vieux qui la vivent comme telle.
Les premières pages du livre, qui consacrent à la notion d'identité des lignes nombreuses et pertinentes, sont donc à mon sens les plus intéressantes du bouquin. Les plus visionnaires, oserais-je dire ? Il n'est pas certain que Maalouf en soit particulièrement heureux aujourd'hui mais ses propos sont un écho triste à ce que l'actualité française et - surtout ? - internationale nous livre, chaque jour désormais.
Mon coeur s'est serré, particulièrement, lorsque, évoquant la pression sociale - consciente ou inconsciente - qui nous "somme" de choisir parmi l'une de nos "identités", l'une de ces caractéristiques qui font de nous un tout, Maalouf explique que "c'est ainsi que l'on fabrique des massacreurs".
Et c'est avec encore davantage de tristesse que je lui ai donné raison, non pas seulement à cause de ce qui s'est passé récemment en France, mais également parce que, en tant que bi-nationale, issue de deux cultures drastiquement différentes et qui se méprisent souvent l'une l'autre, je suis régulièrement (mais pas nécessairement quotidiennement) confrontée à des questions, telles que Maalouf les énumère en introduction ; confrontée à des choix qui pourraient facilement me faire dériver vers une espèce de schizophrénie identitaire ; assise, le cul entre deux chaises, au risque de me casser méchamment la gueule.
Je n'irais pas jusqu'à dire que j'en ressens un malaise. Au contraire, j'aborde la chose comme une richesse et relativise, avec succès le plus souvent, toutes ces contradictions qui s'imposent parfois à moi, ou que les autres cherchent, d'un côté comme de l'autre, à m'imposer. Il n'en demeure pas moins qu'une telle situation, aujourd'hui, mène parfois à des situations dramatiques, des situations qu'
Amin Maalouf pointe avec justesse du doigt.
J'ai trouvé, toutefois, les réponses apportées par l'auteur gentiment utopistes, voire carrément naïves. le passage sur la mondialisation, avec ses avantages et ses inconvénients, passait encore ; celui sur les langues, celles qui meurent et qui devraient survivre (certes, mais comment ?), celles qui s'universalisent et que chacun devrait connaitre pour pouvoir communiquer, celles enfin qu'on devrait apprendre, en plus, comme une richesse, une façon de s'insérer dans un nouvel environnement, d'enrichir son horizon, de s'imposer tous autant que nous sommes comme des "citoyens du monde". Dieu que cette expression m'énerve !
Bien sûr, il serait stupide de demander à Maalouf de trouver les réponses miracles aux problèmes pointés, en 1998, et encore existants en 2015 ; il n'en demeure pas moins que la réflexion laisse un léger goût d'inachevé, un goût amer en vérité.
Ce livre demeure pourtant une jolie leçon d'humanité, de tolérance et de respect, donc.
Et c'est pleine d'espoir que je me joins au voeu final de l'auteur : celui que son petit-fils (ou le mien ?) trouve un jour par hasard ce livre dans la bibliothèque familiale, le feuillette un peu, avant de le reposer, "en s'étonnant que du temps de son grand-père, on eût encore besoin de dire ces choses-là."
(Challenge Variétés 2015 - dans la catégorie "Un livre qui ne soit pas de la fiction")