Les croisades vues par les Arabes

Amin Maalouf dépoussière les images d'Épinal des croisades que m'avait inculquées mon instituteur, je devais avoir 10 ans. Il apporte un témoignage contrasté au sujet de Godefroy de Bouillon et de Richard Coeur de Lion considérés en Occident comme des modèles idéaux du chevalier pieux et brave à l'image de l'imposante statue de bronze érigée sur la place royale à Bruxelles représentant Godefroy de Bouillon à cheval et de celle de Richard Coeur de Lion devant l'abbaye de Westminster à Londres.

Amin Maalouf s'est imprégné pendant plusieurs années des principaux textes historiques de l'époque des croisades de source arabe et nous dresse un tableau de deux siècles de conquêtes au carrefour des mondes occidentaux, byzantins, turcs, mongols et arabes avec le talent incontestable de conteur qu'on lui connait. La présence des colons chrétiens en terre arabe pendant près de deux siècles après la prise de Jérusalem par les Francs en 1099 n'a été rendue possible que par le morcellement des territoires arabes et l'incapacité de leurs dirigeants, sultans, émirs ou califes à bâtir un état uni s'appuyant sur des institutions stables, résultat de leur division, rivalité et trahisons récurrentes. le récit se termine par la prise de Saint Jean d'Acre par les Mamelouks et l'expulsion des chrétiens du Moyen-Orient en 1291.

La lecture du récit d'Amin Maalouf m'a passionné, mais il me laisse une impression assez confuse de la chronologie des faits. Les références historiques mentionnent par exemple qu'il y a eu 9 croisades au total ce qui n'est jamais indiqué dans le récit d'Amin Maalouf. On peut également regretter qu'il n'ait pas introduit une analyse plus fouillée des causes et conséquences principales des croisades en terres orientales, tout comme on peut reprocher à l'ouvrage qu'il ne mette pas suffisamment l'accent sur le fait que les Arabes étaient les maîtres du monde en mathématique, en médecine, en astronomie, en chimie, en géographie du VIIIe au XIe siècle et que leur rôle de passage de témoin entre la civilisation antique gréco-romaine et la civilisation occidentale a été absolument fondamental dans l' essor que prendra la culture européenne à l'aube de la renaissance. Il est vrai qu'Amin Maalouf n'est pas historien et qu'il s'agit d'un récit.

J'ai d'emblée ajouté ‘L'épopée des croisades' de René Grousset, éminent historien du monde oriental à ma liste de lecture en espérant pouvoir combler ces lacunes. Ce livre est un condensé d'un autre ouvrage en trois tomes du même auteur paru en 1934-1936, mais n'exagérons pas, il y a d'autres oeuvres à découvrir et le temps nous est compté!

Février 2014

L'adage dit que l'histoire est écrite par les vainqueurs. Traduction : lorsque l'occident est concerné, c'est son point de vue qui est pris en compte. Et si pour une fois, la parole était donnée au camp adverse ?
Les croisades, de l'arrivée des francs à leur départ, deux siècles plus tard, est relatée ici du point de vu des arabes et non plus, comme nous en avons l'habitude, par les chroniqueurs occidentaux. Ici les héros ne sont pas les templiers ou les chevaliers mais les simples citadins et leurs seigneurs essayant de protéger leurs biens contre des envahisseurs.
Au vu du sous-titre "la barbarie franque en Terre Sainte", je craignais un livre trop partial, le bien contre le mal. Mais dès le début, le ton est différent : les francs sont barbares, violents, sans pitié mais courageux et organisés. En face se trouvent les arabes cultivés et raffinés mais sans politique de cohésion. A partir de ce constat, nous avons plusieurs centaines de pages décrivant les batailles, les échecs ou les reconquêtes des deux camps ainsi que les alliances contractées. C'est certes très bien documenté mais ressemble trop à une chronologie : une date équivaut à un fait sans vraiment approfondir l'acte et les conséquences. En cela, nous sentons bien une oeuvre de vulgarisation. La narration est également ambigüe, tenant parfois plus du western que d'un essai historique, suivie souvent d'une liste de roitelets ou militaires essayant tant bien que mal de protéger leurs intérêts. Tout change lorsque l'ère de Saladin arrive. L'auteur commence par annoncer son arrivée avant même sa naissance et continue sa gloire bien après sa mort. Nous sentons, à ce moment du livre, sa véritable passion pour le personnage, comme si tout le début du livre n'était qu'une introduction pour arriver à ce moment. La lecture en devient plus agréable, plus intéressante. Au point de se demander si une biographie plus approfondie n'aurait pas eu un plus grand intérêt que ce livre. Tout au moins, le livre en aurait gagné, à mon humble avis, en se fixant sur des dates clefs avec explications des implications et analyse des principaux personnages ou perception de la population plutôt qu'une liste années par années. Dommage, à la fin de cet ouvrage, il ne reste pas grand-chose à retenir !