Certes, cette somme de recherches, de par sa fluidité, est un voyage en soi dans le temps.
Amin Maalouf est un romancier et ça se sent dans sa prose essayiste.
Mais ses croisades – le possessif prend ici tout son sens – ne sont pas LES croisades.
Bien entendu, chaque historien, selon ses convictions ou son origine, aura une lecture différente d'un événement historique. Pas sûr que les Espagnols aient la même approche dithyrambique au sujet de Napoléon que les Français !
Mais ce qui est reprochable à Maalouf c'est son enfermement idéologique, en postulant l'agression franque comme origine de la décadence du monde musulman, étant donné le traumatisme qu'il sous-tend de nos jours encore.
Les croisades ne sont pas nées d'une lubie conquérante. Jérusalem avait du sens pour la chrétienté, laquelle était – ou avait été – à l'époque éprouvée, de son côté, par les invasions arabes. Les pèlerins qui accomplissaient le voyage en Terre sainte étaient par ailleurs souvent attaqués.
Evidemment, ce livre contribue grandement à la légende qui voudrait que les l'islam fut un vecteur de paix et d'érudition, là où le monde chrétien n'était qu'obscurantisme, peuplé de barbares. Sylvain Guggenheim l'a durement éprouvé lorsque, tentant de calmer les ardeurs de beaucoup sur les apports de la civilisation islamique en chrétienté, il publia
Aristote au mont Saint-Michel.
Je ne prétends pas que Maalouf a réalisé un mauvais travail – c'est indéniablement un lettré –, mais ses anecdotes méprisantes – celle d'un médecin arabe, s'exclamant, devant « l'incompétence » de ses collègues francs, qu'il n'avait jamais vu mourir quelqu'un aussi vite, par exemple – égrenées au fil de son livre lui font oublier un peu vite que l'Occident n'avait pas attendu après l'Orient pour évoluer. La renaissance carolingienne ne date pas des croisades, sauf erreur de ma part ?
Prétendre que l'islam aurait été durablement abîmé par cet épisode historique – d'environ deux siècles – c'est se défausser un peu hâtivement sur l'autre. Et sans nier les crimes francs, il faudrait aussi évoquer sans ambiguïté ceux du camp d'en face et ne pas les mettre systématiquement sur le compte d'une légitime vengeance. Enfin, au nom de quoi l'islam avait-il plus de légitimité à posséder Jérusalem que la chrétienté ?
Ces Croisades vues par les Arabes participent d'un mythe, lequel est, hélas, pris pour argent comptant, voire enseigné comme une vérité révélée.
Qu'il y ait eu incompatibilité entre deux civilisations antagoniques, c'est une réalité, mais il n'y avait pas un agresseur et un agressé. L'Histoire est plus complexe.
Aussi, j'ai lu ce livre manichéen avec intérêt, mais beaucoup de prudence. J'en aurais fait de même avec un livre du camp d'en face se positionnant en victime !