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3,8

sur 489 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Bref.
J'ai découvert Verre cassé.

J'étais au resto chinois, un midi. Pause déjeûner vite fait avec une collègue. J'hésite entre rouleau de printemps et nems. Donc je prends une salade chinoise: une pousse de soja et une crevette. Mais taille xxl. Deux crevettes.

J'entends glousser à la table voisine.
Une femme, seule. Des nems dans l'assiette, un livre dans la main.
J'enquête. Pas longtemps, car je regarde les Experts: je suis une pro.
J'me dis: "C'est pas le nem qu'est drôle".
Je comprends que c'est le bouquin qui la fait rire. J'ai prévenu. Je suis une pro.
J'attends, l'ouïe en éveil. Elle rit encore.
J'me dis: "Mmmm... une nouvelle mission. Trouver le titre de ce bouquin."

Je me transforme en Horatio Caine. Rayban sur le nez et tête penchée. Incognito.
J'essaie de lire le titre à l'envers. J'vois pas le titre.
Je me contorsionne sur ma chaise pour voir le titre. J'vois pas le titre. 
Je fais tomber un truc par terre pour mieux voir le titre. J'vois pas le titre.
Je demande à ma collègue de lire le titre. Elle me dit: "Salade vietnamienne aux crevettes".

Plan B. Je décide de passer à l'interrogatoire direct. Je me donne une contenance, je la joue pro. Je garde mes lunettes de soleil et je continue à pencher la tête. Horatio Caine à s'y méprendre.
Je dis: "Echcusez moi m'dame, ch'est quoi che bouquin qui vous fait rire?" J'avais une crevette coincée entre les dents. Horatio Caine croisé avec Isabelle Mergault.
Elle dit: "Euh... c'est un petit livre conseillé par ma libraire."
Je dis: "Hey calmos. T'emballes pas. J'te demande pas de me raconter ta vie, j'veux juste le titre."
Bon j'dis pas vraiment ça en fait. Je suis polie.
Je dis plutôt: "Ah sympa votre libraire. Et le titre?"
Elle dit : "Verre cassé d'Alain Mabanckou. L'auteur qui a écrit Mémoires d'un porc-épic."
Je voulais pas avoir l'air cruche. Je pense: "Porc-épic et colégram?" Mais je dis: "Ouais ouais, je vois bien."

Bon je voyais que dalle en fait. Enfin si, je voyais. Mais de loin. Jamais lu Mabanckou, mais le nom me parlait vaguement. Donc je voyais sans voir. Je voyais plus le petit piment que le porc-épic mais je voulais pas entrer en terre inconnue. J'avais pas la tenue de Lopez.
Un hochement de tête, un clin d'oeil, un sourire, je fais genre on se comprend. J'ai quand même eu l'air cruche.

Je dis: "Ça parle de quoi?"
Elle dit: "C'est compliqué à expliquer. Mais c'est drôle. Enfin pas que drôle. Faut le lire."
Super. Elle joue aux énigmes l'insolente. J'avance à rien là. Je patine dans le canard laqué. Et elle se fout de moi en plus.
Du coup, j'abrège.
J'enfourne la deuxième crevette et je dis: "Merchi, bon appétit." Je suis polie.
Je remets ma tête droite, j'enlève mes Rayban. Et j'ai plus de crevettes.

C'était il y a un mois. J'ai trouvé le bouquin, j'ai lu le bouquin.
J'avais pas de nems mais j'ai riz aussi. Car c'est drôle. Enfin pas que drôle. Tragique, érudit, saugrenu, invraisemblable, des clins d'oeil littéraires en pagaille.
Finalement c'est vrai que c'est compliqué à expliquer Verre cassé. Elle s'est pas foutu de moi. Faut le lire.

Bref, j ai lu et adoré Verre cassé.

(Un vrai grand merci à la dame aux nems. Si elle se reconnait...)
 
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Voici un auteur manifestement fâché avec la ponctuation car, à part les virgules, il n'y a pas un seul point quelconque, ni de majuscules. Mais ne vous arrêtez pas à cela. Verre Cassé va nous conter les histoires singulières des assidus du Crédit a voyagé, un bar qui pourrait se trouver dans n'importe quelle ville d'Afrique noire.

L'auteur, Alain Mabanckou, a un talent certain de conteur. Je me suis laissée entraîner sans aucune difficulté dans les méandres des récits de vie qu'il nous présente avec infiniment de tendresse, malgré la souffrance et les malheurs que les protagonistes traversent.

Mais n'allez pas croire que l'histoire est simpliste. Car Mabanckou défie à tout moment son lecteur en émaillant son texte de références littéraires.
Ainsi un des clients raconte à Verre cassé que sa femme l'a fait passer pour un pédophile et se défend : "est-ce que tu me vois, moi, souiller le vestiaire de l'enfance, est-ce que tu me vois, moi, arracher les bourgeons, est-ce que tu me vois, moi, tirer sur les enfants, c'est impossible" et plus loin : " (un) policier de nationalité féminine (...) a dit que même mort elle me piétinerait, qu'elle irait cracher sur ma tombe, elle a dit que je ressemblais à un marin rejeté par la mer, que je devais savoir que chaque crime a son châtiment, (...)" et donc, si vous ne connaissez pas l'oeuvre du prix Nobel japonais Oé, celle de Vian, de Mishima, de Dostoïevski, vous êtes passés à côté de ses clins d'oeil.

Un coup de coeur assurément.
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J'ai d'abord dit génial, unique, inattendu, lorsqu'un dictateur africain ( Mabanckou invente, c'est sûr, personne n'a jamais eu vent qu'il existait un seul dictateur africain ce serait presque « un mensonge gros comme une résidence secondaire de dictateur africain ») parle à bâtons rompus, il ne peut pas s'arrêter, il cherche LE mot qui lui ralliera les foules. Après maintes suggestions, il trouve : Je vous ai compris. Truculent.

Bourré de références livresques, ce livre : pour cela, lire la liste exemplaire de andras, car , en plus de clins d'oeil au cinéma ( Ascenseur pour l'échafaud, la vie n'est pas un fleuve tranquille, Orange mécanique) l'auteur utilise des phrases toutes faites, et aussi des expressions comme « à la cour du roi Pétaud, les tonneaux des Danaïdes ( africanisé en tonneaux d'Adelaïde, la brousse ou la vie), les chansons de Brassens ( les vieux cons des neiges d'antan, « ce chanteur m'apprenait que les gens qui demandaient aux autres de mourir pour les idées étaient les derniers à donner l'exemple ») , des chansons de Dalida ( paroles, paroles)en plus donc chaque page pratiquement inclut un titre, une référence, une citation, sans guillemets.
C'est donc drôle, très drôle, quand on sait combien ont souffert ses prédécesseurs accusés de plagiat.
Il serait beaucoup trop compliqué de démêler les centaines de bons mots, d'expressions, de titres appartenant à d'autres écrivains. La redondance tue l'action possible.


D'abord.

Ensuite, le but visé est sûrement, venant d'un homme aussi cultivé, de citer des amis à lui. Dans le roman, Verre cassé se voit confier les histoires des autres. Il doit écrire, pour immortaliser les aventures vécues, et chacun se prétend le plus digne d'être raconté, le plus indubitablement exceptionnel. Mabanckou a-t-il été, au cours de la rédaction, contacté par d'autres auteurs africains ? Verre Cassé cite ces auteurs, en ayant l'air de n'être qu'un instituteur sans diplômes, remercié par la hiérarchie, vieillissant. Il raconte, sur un air de Zao, les histoires des hommes qui hantent le café des bas fonds de Pointe Noire, tous se vantant de leur passé en France ou en Amérique, et tous trompés et rabaissés par une femme, qui les ont expédiés en prison.

Pas une pour rattraper l'autre.

J'ai ensuite applaudi le couplet sus Paris Match « Tout ce qui est dedans est vrai, et c'est pour ça que tout le monde l'achète, les hommes politiques, les grandes vedettes, les chefs d'entreprise, les acteurs célèbres se battent tous pour être dedans avec leur famille, devant leur maison, avec leur chien, avec leur chat, avec leur cheval et même, je vais te dire, quand ces hommes politiques de là-bas sont condamnés ou mis en examen dans de sales histoires de corruption, de fausses factures, d'attribution de marchés publics, de trafic d'influence et tout le bazar, ces hommes politiques veulent poser avec leur famille dans Paris Match pour montrer qu'ils sont des hommes bien et que ce sont les jaloux et les adversaires politiques qui leur cherchent noise pour qu'ils ne se présentent pas aux prochaines élections, est ce que tu vois le problème. »

J'aime cette écriture aux longues phrases qui ne se concluent pas, un peu comme dans la vie, où l'on met rarement des points.
Petit bémol tout de même : ce mélange d'érudition, de critique politique, d'humour pur, de récits de vie tragiques aussi bien écrits, de mots drôles aussi bien trouvés, n'avait pas besoin à mon sens d'un détail saugrenu et sans rapport avec l'histoire, les histoires..

Ceci dit, chef d'oeuvre.
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C'est parce qu'il aime raconter des histoires qu'un jour, Verre Cassé s'est vu remettre un cahier à remplir par le patron de son bistrot préféré le Crédit a voyagé. Bistrot congolais ouvert vingt quatre heures sur vingt-quatre et où se croisent une multitude de personnages hauts en couleurs. Plus question que les histoires s'envolent, le patron se méfie des anciennes traditions orales et veut pouvoir relire les tribulations de ses habitués quand il veut et pour son seul plaisir.

Et pour le nôtre aussi !
C'est ainsi que nous rencontrerons, et toujours sous couvert d'humour bienveillant, Pampers un père de famille chassé de chez lui, L'imprimeur qui a fait la France, Mouyeke escroc féticheur, Robinette la plus douée des pisseuses, l'Escargot entêté patron du bistrot, sans oublier bien sûr Verre Cassé qui nous narre aussi ses propres aventures. Tous ces personnages qui auraient pu être des héros...

Et dans toutes ces histoires, sont pointées, l'air de rien, de petites attaques contre les autorités gouvernementales françaises ou congolaises, les intellectuels à cravate, les maux dont souffre la population africaine... le tout truffé de références littéraires. On s'amuse autant du récit qu'à retrouver les perches tendues vers d'autres lectures, aussi bien que vers des films et autres chansons. C'est drôle sans être cynique et finement construit. Et contrairement au voeu du patron du café, sont célébrés ici autant la tradition orale que l'écrit : d'ailleurs l'écriture ici est une longue narration presque sans point, ni virgule, ce qui rend le texte très vivant et très particulier.

Bref, un vrai plaisir de lecture et un vrai cri d'amour à la littérature de tous pays !
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La vie en Afrique au travers des aventures rocambolesques des clients d'un bar “Le Crédit a Voyagé”. Les personnages se confient à Verre cassé, chargé de recueillir les aventures mi tragiques mi comiques de la "bande d'éclopés " qui désaltèrent leur soif d'échange. Au delà des brèves de comptoirs, les récits charrient de nombreuses références, Et pas uniquement les clins d'oeil à la littérature africaine qu'y glisse Alain Mabanckou. Ce sont des contes universels, magnifiés par le verbe haut des narrateurs.
Le style est surprenant : ponctuation réduite à des virgules, pour coller à la tradition orale. On s'y fait rapidement

Beaucoup plus drôle, malgré le tragique, que les “Mémoires d'un Hérisson” du même auteur.


Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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"Verre Cassé",publié en 2005 est le cinquième roman de l 'écrivain frano-congolais Alain Mabanckou .Il a remporté de nombreux prix et a fait
l 'objet de plusieurs lectures et adaptations au théâtre .Verre Cassé est le nom d 'un des clients les plus assidus d 'un bar de Brazzaville : "Le Crédit a voyagé".Ce dernier est le lieu de rencontre des "éclopés", des marginaux et autres gens vivant au ban de la société .Verre Cassé s 'est vu confié par l''Escargot Entêté ,le patron du bar , une mission un peu spéciale : il doit immortaliser dans un cahier les aventures fantastiques des "éclopés" qui fréquentent le bar .
l''originalité de ce roman est ce clin d 'oeil subtil aux oeuvres littéraires africaines telles "L 'enfant noir"de Camara Laye ,et d 'autres de Aimé Cesaire, d 'Amadou Hampata Bâ ,Tchicaya Utamsi, Labou Tansi Sony ,Emmanuel Dongola ...
l''auteur témoigne ainsi son estime à ces grands auteurs , véritables maîtres à penser pour lui .Il fait même une référence à Céline , écrivain français auteur du célèbre roman :"Voyage au bout de la nuit"sans oublier
"Mort à crédit" .
l''auteur congolais examine les sociétés africaines "dans leur vie quotidienne du dehors ", sous l' angle de la rue , des marginaux ou des victimes du système familial .
Pour se mettre à la porté d' un large lectorat , l 'auteur n 'utilise pas de ponctuation exceptée la virgule et tout cela pour coller à l 'oralité .
Verre Cassé est un roman écrit dans un style léger ,ludique ,mordant et truculent.
On doit saluer , Alain Mabanckou pour ce beau roman .
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Un bar à Brazzaville , le Crédit a voyagé. Un narrateur, Verre Cassé, à qui le patron , l'Escargot Entêté , a demandé d'écrire l'histoire du bar et de ses habitués, et ils sont nombreux..
C'est un monologue , une seule phrase, jamais de points , un torrent de paroles.
Mais en fait, tout est construit à partir de citations utilisées telles quelles, ou tronquées ( le Crédit a voyagé est déjà une référence à Céline que l'on retrouve beaucoup) ,déformées mais complètement intégrées dans le texte , et ça devient un vrai jeu de les deviner, elles sont innombrables et viennent de toute la littérature . Beaucoup d'auteurs africains, mais tout y passe!
Verre Cassé va donc nous raconter sa vie et celle d'autres personnages de cette Cour des miracles africaine. C'est au Crédit a voyagé que se déversent tous les griefs, et Verre Cassé est un ancien instituteur déchu du corps enseignant car il boit beaucoup..
Ce n'est pas un roman très gai sur le fond,c'est même profondément pessimiste, il contient une critique sociale très forte et surtout une dénonciation des dictatures africaines.
Mais c'est un roman , c'est vrai, assez jubilatoire à lire , un tour de force littéraire, une fresque picaresque et un hommage assez extraordinaire à la littérature mondiale.

" j'ai pris la résolution de ne plus écouter son histoire de merde, j'étais à deux doigts de la retirer de cette histoire de merde, de brûler les pages consacrées à sa mort à crédit.."
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"j'avais pas bien vu, mais c'est vraiment le désordre dans ce cahier, y a pas de points, y a que des virgules et des virgules, parfois des guillemets quand les gens parlent, c'est pas normal, tu dois mettre ça un peu au propre, tu crois pas, hein, et comment moi je peux lire tout ça si c'est collé comme ça"
Je me souviens de la sortie de "Verre cassé" en 2005, j'en ai entendu parler à la radio et je m'étais dit "Ouah ça a l'air bien il faut que je lise ça", je l'avais noté dans mon carnet, pas un Carnet d'or mais un carnet bleu tout bête que j'ai traîné des années, j'avais écrit dedans "Verre cassé" avec le nom d'Alain Mabanckou mais avec une faute d'orthographe, sans le C vu que je l'avais entendu à la radio comme je vous disais plus haut, et à chaque fois que j'ouvrais le carnet je voyais ce titre coupant et ce nom qui me poursuivaient, me regardaient d'un air à me faire sentir coupable tel L'oeil était dans la tombe et regardait Caïn, mais il y avait toujours un autre nom, un autre titre qui passait en premier et "Verre cassé" je l'avais toujours pas lu malgré les trompettes de la renommée, ça fait donc 18 ans On n'est pas sérieux quand on a 18 ans
Verre cassé c'est ce gars aux Troublantes racines qui écrit toujours dans son cahier, qui passe sa vie au bistrot "Le crédit a voyagé" dans ce Quartier perdu des Trois-Cents, et puis le soir sur Les vestiges du jour il écrit la vie des clients, Robinette, le gars aux Pampers, c'est vraiment des Histoires bizarroïdes avec urine et merde, tout le monde m'appelle soûlard mais je ne suis pas soûlard, et Verre cassé vous dit Tout sur ma mère et là c'est Toujours la tempête dans sa tête
alors moi Adieu Zanzibar même si ça se passe au Congo, je l'ai terminé et j'ai adoré
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« … il a commandé une bière Flag… »

La Flag… il m'en faut pas plus pour transporter mon esprit de l'autre côté de la Méditerranée, mais n'essayez pas de la goûtez dans notre contrée froide, elle ne paraîtra que trop fade car pour bien apprécier cette bière, il faut avoir pris la bateau, sentir la moiteur du port de débarquement, respirer cette air moite et cette chaleur qui vous colle à la tunique, transpirer et suer à grosses gouttes et surtout avoir en bouche ce goût âcre de la latérite, poussière rouge qui vous assèche le gosier, à ce moment-là, le bonheur n'est qu'à une capsule de Flag, et qui dit bonheur, dit jubilation

« … il a commencé par critiquer les pays européens qui nous avaient bien bernés avec le soleil des indépendances alors que nous restons toujours dépendants d'eux, puisqu'il y a encore des avenues du Général-de-Gaulle, du Général-Leclerc, du Président-Coti, du Président-Pompidou, mais il n'y a toujours pas en Europe des avenues Mobutu-Sese Seko, Idi-Amin-Dada, Jean-Bedel-Bokassa et bien d'autres illustres hommes qu'il avait connus et appréciés pour leur loyauté, leur humanisme et leur respect des droits de l'homme, donc nous sommes toujours dépendants d'eux parce qu'ils exploitent notre pétrole et nous cachent leurs idées, parce qu'ils exploitent notre bois pour bien passer l'hiver chez eux, parce qu'ils forment nos cadres à l'ENA et à Polytechnique, ils les transforment en petits Nègres blancs… »

je jubile, tu jubiles, nous jubilons tous ensemble avec Alain Mabanckou et surtout ce « Verre Cassé », l'âme africaine, l'écrivain qui écrit sur ce bar que je fréquentes assidûment depuis les premières pages depuis que j'ai soif depuis que j'ai envie ce besoin de boire une Flag depuis que je veux voir du monde, des comiques et de belles gazelles noires, des gazelles avec des nichons énormes et un cul encore plus

« … j'avais croisé Céline au Timis, c'est une boite de nuit black très connue et qui se situe vers Pigalle là-bas, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, je ne sais pas ce qu'elle foutait au milieu de cette forêt de Nègres en rut et sans manières même si on dénombrait quelques autres Blanches dedans, mais ces autres Blanches se coltinaient des fesses si plates qu'on pouvait repasser sa chemise dessus, or Céline m'avait flashé avec son derrière, sa taille, ses deux énormes pastèques greffées à la poitrine… »

j'aime les pastèques, ça rafraichit, ça désaltère, j'aime les filles fraiches, ça désaltère aussi quand je m'accroche à leurs pastèques, je suis comme ça, un obsédé de la pastèque, grosse et mure car j'ai toujours soif, une soif sans fin et sans faim, jamais rassasié, j'en veux toujours plus et ces filles qui fréquentent le « Crédit a voyagé », ce bar malfamé de Brazzaville sur lequel j'écris mes quelques chroniques me font bander, à mon âge, faut me comprendre, je suis seul, vieux et sale et j'ai plus que le sexe et la flag pour me faire passer quelques frissons à mon âme grisonnante

« … c'est vrai que j'aime les filles du quartier Rex, oui, j'aime le goût des jeunes filles du Rex, de vraies belles du Seigneur, elles savent manier la chose en soi, elles sont nées avec ça autour des reins, jamais un homme ne vivra de telles stupeurs, de tels tremblements sous son toit conjugal, et puis les petites-là sont terribles, je te dis, Verre Cassé, c'est des volcans, ces petites, elle tes promettent le ciel et te l'offrent enroulé dans du papier cadeau alors que nos femmes de la maison ne réalisent plus aucune promesse, or les petites du quartier Rex, c'est tout chaud, c'est à la fois du caoutchouc et de l'élastique, c'est tout piquant, tout sucré, c'est fiévreux, elles te parlent à l'oreille, elles accompagnent ton érection au millimètre près, elles savent où te toucher pour réveiller l'alternateur endormi, elles savent comment ne pas te faire caler au rond-point, elles savent faire tourner la turbine, passer les vitesses, accélérer, on est heureux, on a la vie devant soi… »

un proverbe congolais dit qu'il ne faut pas mettre la turbine avant les boeufs, c'est ça l'Afrique, prendre son temps, se faire plaisir et sentir la fièvre monter en toi, sentir ce mélange de musc et de sueur, sentir ton sexe se gonfler, renifler son sexe, entendre le bruit des gamins dans la rue, le bruit des ivrognes traînant leurs loques, le bruit d'un Fanta orange qu'on décapsule, le bruit d'une Mama aguicheuse aves ses grosses fesses et son pagne autour, et le bruit de Robinnette, sacrée Robinette, qui pisse des litres et des litres de bières

« … Robinette boit plus que moi, elle boit comme les tonneaux d'Adélaïde que les Libanais vendent au Grand Marché, Robinette boit, boit encore sans même se soûler, et quand elle boit comme ça elle va pisser derrière le bar au lieu d'aller aux toilettes comme tout le monde, et quand elle pisse derrière le bar elle met au moins dix minutes à uriner sans s'arrêter, ça coule et coule encore comme si on avait ouvert une fontaine publique, c'est pas du bluff, c'est incroyable mais vrai, tous les gars qui ont essayé de la concurrencer en matière de pisse à durée indéterminée ont fait l'adieu aux armes, ils ont été vaincus, écrasés, laminés, ridiculisés, roulés dans la poussière, dans la farine de maïs… »

je l'aime cette Robinette, faut pas lui tchatcher ces paroles, mais putain quel effet elle me fait cette gazelle, avec son derrière de mammifère périssodactyle, c'est peut-être la femme de ma vie, allez savoir, qui sait, personne, pas même moi, ni même le bon Dieu qui me regarde pisser de là-haut, parce que après tout la Flag, ça fait quand même sacrément pisser et je sens qu'il va falloir que je me soulage bientôt, faut que je trouve un arbre

« … et donc Robinette a d'abord ôté sa chemise en pagne, il faut dire honnêtement que ce spectacle était loin de celui d'une Margot qui dégrafait son corsage, elle a ensuite soulevé son pagne jusqu'à la naissance de ses reins, et on a vu son derrière de mammifère périssodactyle, ses grosses cuisses potelées de personnage féminin de peinture naïve haïtienne, on a vu ses mollets de bouteille de bière Primus, elle ne portait pas de slip, la garce, c'est peut-être parce qu'il n'existe pas de slip qui puisse domestiquer sa montagne de fesses, et donc elle a poussé un long rot qui nous a rebutés, et elle a dit à haute voix « au plaisir de Dieu, la vérité va se voir à la lueur de l'aube, en avoir ou pas, c'est ce que nous allons vérifier, mes amis », et puis on a vu son sexe lorsqu'elle a écarté les tours jumelles qui lui servent de fesses, tout le monde a applaudi, et curieusement, j'ai même bandé à mort comme les autres témoins, faut être honnête et ne pas cacher la vérité, oui j'ai bandé parce qu'un derrière de femme c'est toujours un derrière de femme, qu'il soit petit, gros, plat, potelé, avec des zébrures, avec des pigments qui vous causent des névralgies, avec des tâches de vin de palme, on bande d'abord et on décide ensuite si on y va ou si on n'y va pas… »

sacrée Robinette, elle m'émeut cette gazelle, elle a tout pour me plaire, faudra qu'un jour je l'invite à boire une flag autour d'un poulet Maffé peut-être qu'après elle me laissera caresser ses cuisses, je lui proposerai une nouvelle Flag qu'elle s'empressera d'accepter alors j'irai lui ploter les nichons, une autre flag, oui, bien sur, et là j'irai même jusqu'à lui passer la main dans sa culotte humide et qui sait avec une dernière flag elle se mettra nue devant moi, mon bangala fera le fier, il se redressera au garde-à-vous prêt à fusiller prêt à libérer sa décharge, oui je crois que je l'aime cette Robinette

« … et moi je dis que je n'ai pas encore bu, que depuis ce matin j'ai pas bu une seule goutte d'alcool, et je ris en débitant ce mensonge gros comme une résidence secondaire d'un dictateur africain… »

des paroles, paroles, paroles, pas de mensonge, une vérité crue, celle de mon âme, celle de ma bouteille, celle de l'Afrique, de ses gens, de son peuple, noir, fidèle, perdue, amoureux, ivre, heureux, l'Afrique sous toutes ses coutures dans un bar et moi qui l'observe, la dissèque, oui j'ai tant adoré ce Verre Cassé que je l'amènerai avec moi si je devais partir là-bas et je garderai toujours une pensée pour ce livre tant il m'a marqué lorsque je sentirai les gorgées de Flag venues désaltérer mon gosier rougi par la sècheresse et la poussière de latérite, oui ce livre est un chef d'oeuvre à déguster et à puiser comme un bon Bukowski

« … « Verre Cassé, sors-moi cette rage qui est en toi, explose, vomis, crache, toussote ou éjacule, je m'en fous mes ponds-moi quelque chose sur ce bar, sur quelques gars d'ici, et surtout sur toi-même », ces paroles m'avaient cloué un moment le bec, j'avais failli verser des larmes, je ne me souvenais plus de quel écrivain ivrogne nous avions discuté, de toutes les façons y en avaient plusieurs qui buvaient, et y en a qui boivent à mort parmi les contemporains… »

je suis essoufflé, point.
Lien : http://leranchsansnom.free.f..
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Alain Mabanckou régale à chaque fois. Petit Piment, si j'ose dire, avait été un délice. Lorsque Lecteurs.com a demandé qui voulait tenter sa chance pour lire Verre cassé, j'ai postulé et j'ai eu le grand plaisir de recevoir cet autre roman, antérieur à Petit Piment mais publié cette année par les éditions Points que je remercie.

D'emblée, il faut se laisser emporter par l'auteur qui nous emmène dans ce bar au nom improbable : le Crédit a voyagé, tenu par un propriétaire au nom tout aussi étonnant : L'Escargot entêté. Cela peut gêner ou on peut très bien ne pas s'en rendre compte tout de suite, mais il n'y a pas de point, pas de majuscule dans tout le livre.

Verre Cassé tient un journal et raconte tout ce qu'il voit dans ce bar, ce que quelques clients lui racontent tout en évoquant sa propre vie, ses déboires familiaux extraordinaires et les habitudes du pays.
Le récit déborde d'humour dès le début avec le Président de la République, Adrien Lokouta Eleki Mingi, qui veut à tout prix répondre au discours du ministre Zou Loukia diffusé sur Radio Trottoir FM. Pour cela, il fait travailler ses nègres toute la nuit, en appelle à L Académie Française. Il veut à tout prix une formule qui marque mais sans l'emprunter à un autre : « …les gens oublient malheureusement qui en ont été les vrais auteurs et ne rendent plus à Césaire ce qui est à Césaire. »
Finalement, pour répondre au « j'accuse » de son ministre, le président choisit : « je vous ai compris » et Verre Cassé note : « le ministre accuse, le président comprend. » le récit est bien lancé car Verre Cassé est volubile, truculent, critique et il note bien que, dans son pays, la pire insulte est d'être traité de… capitaliste !
L'Imprimeur, personnage rencontré au Crédit a voyagé, nous ramène en France car il raconte le sort des Africains installés chez nous. Il parle de nos hommes politiques condamnés ou mis en examen qui sont tous dans Paris-Match. Je note au passage qu'il est possible de manger un poulet-télévision (au micro-ondes) ou un poulet-bicyclette (sur des braises).

La mort de sa mère taraude Verre Cassé qui boit de plus en plus du vin rouge de la Sovinco tout en écoutant L'Escargot entêté qui fait un magnifique éloge de la littérature et des écrivains...
Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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