Pierre MacOrlan ! Encore un comme
Francis Carco, ou Paul Vialar, ou
Jean Hougron ou tant d'autres, qui sont passés à la trappe des éditeurs parce que « ne répondant plus au goût des lecteurs » (traduction « langue de bois » du terme – français moderne - « bankable »). Et pourtant quel auteur, et quel personnage attachant que ce bonhomme immédiatement reconnaissable avec sa pipe et sa casquette à pompon, qui lui donnaient un air de vieux baroudeur, en fait d'un personnage de ses romans !
Pierre MacOrlan (1882-1970) est un de ces écrivains qui, dans le sillage de
Blaise Cendrars, ont eu une vie pleine d'aventures, d'imprévus, de rencontres diverses, qui constitue le socle de leur oeuvre : les romans de MacOrlan sont souvent nés des souvenirs de l'auteur (réels ou réinventés), de ses reportages, et des personnages hors du commun qu'il a croisés au cours de son existence tumultueuse (à l'image d'un
Joseph Kessel, par exemple). Il nous laisse une oeuvre aussi prolifique que diversifiée : aux
contes humoristiques de ses débuts se sont rajoutés des romans d'aventures, imprégnés d'un « fantastique du quotidien » qui allait inspirer des cinéastes comme Carné, Renoir, Duvivier ou Grémillon, puis de textes de chansons qu'allaient immortaliser Germaine Montero, Monique Morelli, Catherine Sauvage ou
Juliette Gréco.
«
L'Ancre de miséricorde » (1941) est le dernier d'une trilogie de
romans maritimes situés au XVIIIème (bien que ces romans n'aient aucun point commun entre eux) : « A bord de l'Etoile matutine » (1921) et «
Les Clients du Bon Chien Jaune » (1926) étant les deux premiers.
Avertissement au lecteur : vous êtes ici en face d'un faux roman. Non pas qu'il ne soit pas authentiquement, écrit, ni qu'il ne respecte pas les canons du romanesque, non, ce que je veux dire c'est que si vous attendez un roman d'aventure, style « L'Ile au trésor », ça l'est, et en même temps ça ne l'est pas ; si vous attendez un roman maritime ; même topo : la mer est omni présente mais on n'est quasiment pas dessus ; d'apprentissage, style « le Grand Meaulnes », vous vous y reconnaîtrez et par moments vous serez un peu perdus : bref, avant d'ouvrir ce bouquin, n'ayez pas d'idées préconçues : il y a de tout ça dans «
L'Ancre de miséricorde », mais dilué dans une re-création romanesque d'un roman d'aventures à l'ancienne : MacOrlan joue avec maestria des clichés de la piraterie, et on sait pas dans quelle mesure il joue (ou au contraire est sincère) avec ceux de l'adolescence : la sienne nous est complètement inconnue : aucune archive n'a survécu ; tous les écrits concernant cette période pont été détruits, soit du fait de l'auteur, soit de ses proches.
Petit-Morgat, un jeune breton épris d'aventures, est fasciné par Jérôme Burns, un ancien pirate qui essaie de lui montrer le côté fallacieux des épopées maritimes. Mais ses récits, au contraire ne font que lui enflammer l'imagination. Et ce n'est pas la fréquentation de Jean de la Sorgue (Jean de la nuit, en argot), un bagnard, qui va l'en dissuader. Et quand l'Aventure se présente à lui, sous la forme d'une chasse au secret de Petit-Radet, un pirate légendaire, il risque fort de s'en mordre les doigts.
MacOrlan est un montreur d'images : celles que Jérôme Burns imprime (consciemment ou pas) dans l'imagination de Petit-Morgat ont l'éclat ensoleillé des paradis exotiques et des voyages au long cours, on sent le vent dans les voiles, on respire l'air salé, on écoute
le chant de l'équipage (tiens, un autre titre de MacOrlan) et ces images contrastent avec les descriptions d'un
Brest inattendu, pas forcément sous la pluie (rue de Siam, par exemple) mais envahi par des
brumes nocturnes, mystérieuses avec des relents de danger, qui sont un écho à l'adolescence terne et insipide de Petit-Morgat.
Pas « L'Ile au trésor » donc, ni « le Grand Meaulnes », mais un bon roman de distraction bien ficelé, très bien documenté, qui ne vous enthousiasmera peut-être pas, mais qui ne vous décevra pas non plus, pour peu que vous ayez gardé un peu de votre âme d'enfant.