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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Aujourd'hui les amis ça va encore cailler, le souffle sibérien du Moscou-Paris est en passe de nous congeler les arpions, qu'ils disent à la météo. J'ai donc (à nouveau) penché pour une oeuvre venue du froid, histoire d'être raccord (ou maso, j'hésite encore).

Immersion dans l'immensité blanche de l'Oural. Une gare assoupie, des voyageurs en attente du train pour Moscou paralysé par la neige, voilà le point de départ d'une rencontre et d'un autre voyage, dans le temps celui-ci.

Comme dans « L'archipel d'une autre vie » le narrateur prête sa plume à la mémoire d'un homme. Cet homme âgé croisé par hasard fut, dans les années quarante, un jeune pianiste prometteur. Fracassé par les purges staliniennes et la deuxième guerre mondiale, son destin ne sera qu'une interminable errance en un douloureux exil de soi.

Témoignage imaginaire aux allures de conte cruel, ce triste réquisitoire contre les fureurs idéologiques est aussi une ode magnifique à la résistance et à la dignité de l'âme russe chère à l'auteur, cette alliance particulière de fatalisme et de pugnacité, portée ici en filigrane par une musique, la musique des phrases de Makine, la musique d'une vie, celle qui au-delà de l'absurde aura le dernier mot.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Aux environs des années 80, dans le hall de gare d'une ville, située au fin fond de la Russie, dans l'immensité blanche des montagnes de l'Oural, le narrateur patiente. Il attend son train pour Moscou qui ne vient pas. Il observe ses compatriotes et entretient un conciliabule intérieur auquel, il nous convie. Devant cette masse humaine qui accepte sans broncher, sa condition d'individu rééduqué, prêt à tous les sacrifices, il juge avec lucidité mais aussi colère et compassion ses semblables, totalement conscient de sa propre servitude. Il regarde ce magma humain que l'engourdissement rend indifférent, habitué à la passivité. Il détaille, avec rigueur, les comportements, les attitudes de toutes ces personnes qui attendent, assises dans l'inconfort, quel que soit leur âge comme ce vieux monsieur affalé sur le sol souillé de mégots et de neige fondue sur des feuilles de la Pravda ou cette prostituée qui parle avec des soldats. le narrateur contemple et médite. Il s'apitoie sur le sort de ces corps entassés qui tentent malgré tout de trouver leur place. Cette gare, minuscule point noir dans cette l'immensité blanche, n'est jamais que le reflet de tout un peuple rendu docile sous le joug d'une idéologie dominante.

Soudain, dans le haut parleur qui grésille, une voix annonce un retard de six heures
« Six heures de retard … Ce pourrait être six jours ou six semaines ». La formule du philosophe dissident Alexandre Zinoviev lui apparait dans sa toute puissance évocatrice :

« En deux mots latins, le philosophe avait réussi à décrire la vie des deux cent quarante millions d'êtres humains qui peuplaient, à l'époque, le pays où je suis né. « l'Homo soviéticus ».

Il a besoin de bouger et c'est à cet instant qu'il lui semble entendre, au loin, des notes de musique. Perdu dans le noir de ce hall de gare, se dirigeant les mains contre les murs, enjambant les corps, il découvre un homme assis devant un piano.

C'est ainsi qu'il va faire la connaissance d'Alexei Berg qui par petites touches au début puis ensuite, la confiance aidant, va lui raconter sa vie et remonter jusqu'à l'époque des purges de Staline dont ses parents ont été victimes.

Tout jeune pianiste, Alexeï se rappelle le jour où ses parents ont souhaité se débarrasser du violon de leur ami, le maréchal Toukhatchevski qui avait été exécuté en 37. Redoutant l'arrestation, son père avait jeté le violon dans le feu de la cheminée. Dans son affolement, ce dernier avait oublié de relâcher les cordes qui avaient émis quelques notes au contact du feu. Mais cette scène avait marqué Alexeï. Soulagés, persuadés d'être délivrés de tout risque d'emprisonnement, la vie avait repris son cours jusqu'au 24 mai 1941, date du premier concert d'Alexeï mais jamais il n'oublierait les quelques notes qui s'étaient échappées du pauvre violon qui se consummait.

Andréï Makine possède une écriture d'une puissance évocatrice qui me fascine. En cent vingt sept pages, il est capable de démontrer l'absurdité de la destinée lorsque celle-ci se trouve l'otage de la Grande Histoire. Il m'impressionne par son écriture visuelle qui me transporte, par la poésie qui s'en dégage ainsi que par la profondeur de son récit. D'un style épuré, il décrit méticuleusement l'âme de ce peuple russe, durement touché par L Histoire. Il révèle sa part d'ombre, avec empathie. Les mots font mouche : c'est ce qui rend son style si beau, si personnel, si émouvant et ce mélange de culture franco-russe qui lui donne, certainement, cette sensibilité pleine de charme. Il y a quelque chose de Stefan Zweig dans Andréï Makine, cette façon de pénétrer l'âme humaine. A chaque livre, je ressens comme l'empreinte d'un vécu douloureux qui affleure du récit. La façon dont l'auteur raconte l'histoire de ce pianiste rencontré dans un hall de gare permet de mesurer ce que ce peuple a pu endurer, comment il a été broyé sous le joug du stalinisme pour ensuite l'envoyer à l'abattoir. Il nous donne à réfléchir sur le sens du tragique que seul un russe est capable de raconter avec autant d'acuité. Malgré les épreuves qui vont jalonner l'existence de ce virtuose et malgré la période historique en question, Andréï Makine nous parle avec tendresse du peuple russe, c'est un hommage qu'il lui rend.

Récit d'une grande intensité où l'amour, la passion côtoie la répression, la guerre, la peur, la musique, en une phrase : « la musique d'une Vie » selon le ciel sous lequel nous naissons.

« La souffrance existe avant les hommes mais le mal n'apparaît qu'avec eux » Jean d'O

« Avoir souffert rend tellement plus perméable à la souffrance des autres « L'Abbé Pierre
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Nous sommes à la fin des années 1970, des voyageurs attendent dans le froid, la neige et dans une gare vétuste d'une grande ville de l'Oural un train qui n'arrive décidément pas. Le narrateur observe ces « homo sovieticus », âmes fatiguées et résignées qui l'entourent. Dans ce tableau son attention est captée par un vieil homme, qui profite de la présence d'un piano abandonné pour jouer quelques notes. Une fois installés dans le train pour Moscou, cet ancien, Alexeï Berg, va profiter des longues heures de voyage pour lui conter son histoire.

Tout commence à la fin des années 1930, à l'époque stalinienne. Alexeï étudie le piano au Conservatoire de Moscou. C'est un jeune talent qui se révèle, probablement à l'aube d'une grande carrière. Il est à l'affiche d'un concert qui aura lieu dans huit jours…Mais tout va basculer.

Rentrant chez ses parents, il découvre qu'ils ont été emmenés. C'est que la suspicion est partout, les dénonciations, les purges impitoyables du régime communiste sont à leur paroxysme.
Il faut fuir plus à l'Est, mais ce qu'il croyait être un refuge se révèle être un piège. Il est trahi, fuit encore, est rattrapé par la guerre. Vole son identité à un soldat mort. Les femmes se succèdent, elles l'aident quand il est blessé, transi de froid, sans abri. Il conquiert ces femmes. Souvent dans l'urgence des corps qui ont faim, sans suite. Parfois c'est un sentiment plus profond, né de la solitude de deux coeurs désespérés comme cette infirmière aux doigts curatifs marqués de teinture d'iode.
Mais la guerre n'est pas propice à l'éclosion et à l'épanouissement d'un grand amour, il faut toujours batailler, fuir, il n'y a pas de repos, pas d'histoire possible.
Blessé encore, fortement marqué dans sa chair avec une grosse balafre sur le front, il s'éloigne un peu du cataclysme, enrôlé comme chauffeur d'un Général…Il connaîtra sa fille Stella.
Mais entre les contingences de classes, les non dits, les vrais faux sentiments, les hésitations, les départs trop rapides, l'histoire d'amour qu'on pensait inéluctable ne prendra pas corps. C'est qu'Alexeï reste secret, souvent comme absent à lui-même, meurtri et usé par ce destin qui s'est acharné à lui faire perdre ce qu'il avait de plus cher, ses parents, son identité. Et surtout, il n'aura vécu ni la belle carrière de pianiste promise, ni connu le grand amour.
Une fois, un soir seulement, pour le mariage de Stella avec un autre, Alexeï le cabossé aux mains abîmées de soldat, retrouvera ses doigts magiques de pianiste virtuose, bravant les moqueries des convives.

Andreï Makine adopte une construction narrative assez proche de celle qu'il adoptera plus tard dans l'Archipel d'une autre vie, avec un narrateur initial qui n'est pas le personnage objet du récit mais qui recueille son témoignage pour nous le transmettre. On retrouve ici un sens du romanesque, une acuité formidable pour nous faire saisir l'essence de l'âme russe, du stalinisme, de la guerre, mais aussi pour peut-être livrer, subtilement, par petites touches, un peu de lui-même, de son propre passé qui reste par bien des aspects énigmatique.

L'auteur magnifie la langue française comme aucun autre. Dans un style parfait, où la raison et l'émotion s'équilibrent dans une sorte de longue mélopée intérieure, il nous raconte, sans jamais s'attendrir, comment un destin peut être brisé lorsque, par des ratés, des occasions manquées, et parfois à cause de la grande histoire qui s'en mêle, on reste à la porte de ses rêves.

Andreï Makine sait nous faire rêver en nous racontant des histoires. Ils ne sont plus tant d'écrivains à le faire, surtout avec une qualité de langue pareille. Il est décidément pour moi une des figures littéraires actuelles incontournables et exemplaires.
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J'ai été gênée au début de ma lecture par l'écriture de Andreï Makine que j'ai trouvé un peu froide. Et puis le charme a agi et je dois avouer que j'aime beaucoup ce livre pudique, racontant sans pathos une existence brisée à cause du régime politique de Staline. Un auteur que je découvrais à cette occasion. Un livre mince, bien construit. Une lecture que je recommande.
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Un vrai coup de coeur pour ce bref roman, extrêmement maîtrisé dans sa composition et ses motifs entêtants, qui prennent des sens différents et plus riches à chaque fois qu'ils se présentent, pour le style épuré et d'une grande élégance, j'ai envie de dire perfection, parce que même les descriptions sont remarquables de profondeur et d'intérêt, de sens pour l'intrigue et l'atmosphère. Rien n'est perdu. En outre, le destin du personnage qui confie au narrateur le récit de sa vie, est poignant et absolument vrai, il est nôtre.

Le narrateur, intellectuel moscovite, revient de l'Oural par un temps de tempête de neige, et se trouve bloqué dans une petite gare, la nuit, au milieu d'hommes et de femmes modestes, qui se contentent de peu, dorment sur des journaux, restent en tout points résignés. le narrateur s'en vient à s'interroger amèrement sur la notion d'"homo sovieticus" que l'écrivain Alexandre Zinoviev a fait connaître. Des soldats, une prostituée, et encore l'attente... Il essaie de rester bienveillant, mais finit par voir ces êtres avilis comme un troupeau, gagné lui-même par la fatigue.

Toutefois, il est amené par hasard, dans cette même gare, à faire une curieuse rencontre, celle d'un pianiste secret, un homme assez âgé, qui pleure sur les touches du piano - est-ce à cause de ses mains maladroites, barrées de cicatrices ?
Le narrateur, gêné, doit feindre de n'avoir pas surpris les larmes de l'homme, qui le prend en sympathie et le guide lorsque le train entre enfin en gare, pour réussir à monter dans un vieux wagon, rajouté tout au bout du convoi.
Dans la cabine du train qui file dans la nuit enneigée, allongés sur des couchettes au bois dur, mais enfin partis pour Moscou, l'un écoute et l'autre raconte, d'une voix sourde, son étrange destin...

Il est important de découvrir par soi-même les étapes et aléas de cette vie, qui passe par la guerre et par un changement d'identité ; je dirai simplement que l'histoire personnelle d'un jeune homme est prise, engluée dans l'histoire de son pays, comme en une toile d'araignée, et que la tournure des événements ne facilitera pas sa recherche presqu'inconsciente d'un sens, d'une clé musicale, pour assembler tous ces motifs épars, leur rendre une unité. L'amour aura sa place, à travers plusieurs figures, et ce n'est pas la moindre qualité que le respect ému des femmes dont il témoigne, et la douceur des évocations de l'amour, qu'il soit timide, emprunté, ou concubin, physique.

C'est bel et bien "la musique d'une vie", musique qui atteindra un point culminant tragique, bien qu'il s'agisse d'un moment absolument, purement beau, et remplira son existence au détriment de tout, dans une solitude poignante, par-delà les immensités froides du nord du pays...

L'enchantement est durable, il m'est aussi difficile de sortir de la magie des mots qui m'ont transportée que de choisir un (seul) passage pour témoigner de ce sentiment. En fait, c'est tout le livre que je devrais recopier !
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Alexeï Berg, pianiste ; alors qu'il s'apprête à donner son premier concert, il devra fuir Moscou. (nous sommes en 1941)

Un air de piano dans l'immensité poudreuse d'une journée étrange -
Harmonie tragique et lumineuse !

Y a t'il une "clef" pour chaque chose, chaque évènement dans la vie ?

Alexeï en cherchera , toute sa vie, la réponse.

Un roman-destin où la vie se jouera sur une partition !

Ce livre a tenu toutes ses promesses, il m'a transporté dans le temps, à travers les paysages froids et enneigés au son d'un piano , où les doigts du pianiste devenus hésitants mais toujours en osmose avec l'instrument m'ont ému.
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Un court roman russe : la vie d'un « homo sovieticus ».

Un vieil homme rencontré dans une gare, un homme gris, terne. À un compagnon de voyage, il raconte sa vie. le jeune musicien prometteur qu'il a été, puis, lorsque son père a été en disgrâce, la difficulté de subir le détournement du regard de ceux qui ne le voyaient plus, qui n'osaient plus être ses amis.

Puis, les choses semblent s'arranger, mais à la veille d'un premier concert public, il doit fuir pour éviter une rafle. Il réussira à s'échapper et même à prendre une autre identité, jusqu'à ce qu'après la guerre, une recherche pour retrouver ses parents le conduise en Sibérie.

Il n'a plus jamais fait de musique…

Dans ce texte, ce ne sont pas tant les événements qui me frappent que l'atmosphère, la résignation de l'homo sovieticus devant son inéluctable destin. Cet homme qui aurait dû vivre de la beauté de l'harmonie n'a pas de haine ou de révolte, il suit simplement la triste musique de sa vie…

Une belle écriture qui transporte ailleurs et dans un autre temps.
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Un court roman, 130 pages, qui nous conte avec sobriété et émotion la vie cabossée d'un homme pris dans les pièges du totalitarisme stalinien et de la seconde guerre mondiale.

Makine utilise le mode «zweigien » du récit enchâssé pour que défile devant nos yeux, par touches brèves, la « musique d'une vie ». D'ailleurs, mon amie babeliote enje77, dans sa magnifique critique de ce livre, note très justement « qu'il y a quelque chose de Stefan Zweig dans Andreï Makine, cette façon de pénétrer l'âme humaine » et je partage tout à fait son avis.

Un narrateur bloqué dans quelque part dans l'Oural par une tempête de neige et l'attente d'un train qui ne vient pas, va entendre une musique qui va l'amener à rencontrer un vieil homme, Alexeï Berg,qui va progressivement lui raconter sa vie.
Celle d'un jeune pianiste promis à un grand avenir qui devra fuir la persécution stalinienne qui s'abat sur sa famille, prendre l'identité d'un soldat mort, être pris dans les horreurs de la seconde guerre mondiale, devenir après la guerre le chauffeur d'un général, dont la fille Stella cherchera à le séduire, il résistera, malgré son amour réciproque, considérant cet amour comme impossible. Plus tard , lors du mariage de Stella, se produit un moment saisissant et sublime où, malgré lui, il déploie son talent de pianiste devant les invités au mariage. Ce qui va l'amener à être rattrapé par son passé et connaître dix ans de camps.

Ce récit, raconté avec une grande sobriété, une grande économie de moyens, mais dans une langue si fluide et si belle, est absolument poignant, car l'auteur nous fait réaliser à quel point Alexeï Berg fait preuve d'une extraordinaire capacité à accepter toutes les souffrances et tous les malheurs, sans faire preuve d'indifférence mais avec une résilience qui serre le coeur.

Cet homme est sans nul doute l'illustration de ce que le narrateur pense de tous ses compatriotes russes présents avec lui dans cette gare de l'Oural et résignés dans leur attente d'un train qui est annoncé « avec six heures de retard », mais, nous dit-il, ce pourrait être six jours ou six mois.
C'est à dire d'un être humain, qu'Alexandre Zinoviev, philosophe russe en exil avait, dans les années 1970, qualifié par ces deux mots devenus célèbres d' «Homo Sovieticus ».

Oui, c'est cette attitude d'Alexeï Berg à l'égard d'un destin qui l'a pourtant broyé, et qui pourtant continue à faire preuve de générosité, de qualité d'accueil à l'égard du narrateur, qui m'a ému profondément et m'a fait réfléchir.
J'ai pensé au livre bouleversant de Svletana Alexeïvitch « La fin de l'homme rouge », au peuple russe sous le joug de Poutine après avoir connu celui de Staline, et auparavant la tyrannie des Tsars.
La résignation, le fatalisme, l'aptitude à tout supporter, s'héritent-ils chez les Russes de génération en génération?; comme on pourrait dire que l'esprit de contestation, la révolte contre tout pouvoir, se seraient transmis au cours de l'histoire du peuple français depuis la révolution?
Ce n'est pas si simple, bien sûr.

Mais, avant tout, « La musique d'une vie » est un récit magnifiquement construit et écrit, une histoire humaine qui touche le coeur.
En peu de mots, par touches impressionnistes, Andreï Makine nous fait saisir un destin unique, et pourtant si représentatif de « l'âme russe », inaltérée par le malheur.

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La musique enchanteresse et nostalgique du Testament Français (1995) se poursuit dans le titre même de ce roman de 130 pages. Une mélodie obsédante et discrète comme l'âme russe, au fond de laquelle résonnent en sourdine deux mots révoltants et blessants, homo sovieticus, l'homme russe indifférent et résigné sous les brimades du stalinisme.

Dans la petite gare enneigée perdue au coeur de l'immensité glaciale qui s'étend entre l'Oural et Moscou, des passagers résignés attendent un train indéfiniment retardé par les intempéries. Civils et militaires tentent de dormir, engourdis par la fatigue et le froid. Un des voyageurs s'assied à un piano perdu dans un local à l'étage: les larmes aux yeux, il joue un air qui suspend le temps. Andrei Makine raconte l'histoire de ce musicien et extirpe l'homo sovieticus d'une connotation dévalorisante pour l'élever à une dignité rare qui rend justice à un peuple meurtri. Ce livre est avant tout l'histoire bouleversante d'une résistance stoïque contre les entraves d'un régime.

À la veille de la seconde guerre mondiale, Alexis Berg, jeune pianiste prometteur, s'apprête à jouer son premier concert à Moscou. Ses parents sont arrêtés le même jour et il doit fuir en Ukraine chez une tante où il se terre jusqu'à l'arrivée de l'armée allemande. Il prend alors l'identité d'un soldat russe mort et s'engage dans les combats aux côté des siens, solitaire et en marge, discret au point de refuser les honneurs pour ne pas se faire remarquer. La guerre terminée, les passés de l'homme qu'il n'est pas et de l'artiste qu'il ne peut revendiquer, menacent à chaque instant de le rattraper.

Les récits d'Andreï Makine se déroulent comme dans un songe, il voit tout à travers un flou artistique délicat, comme en contemplation. Sans perdre une lucidité qui touche à l'essentiel.

Ce livre est un hommage aux artistes qui n'ont pas le droit d'exister. La terreur ou la censure ont mis et mettent en danger la vie même de celles et ceux qui veulent s'exprimer par la beauté[1]. Il est intolérable de devoir brûler un violon par crainte ou de soulever le couvercle d'un piano avec un sentiment de culpabilité. Ce beau roman rappelle que les victimes des bourreaux ne sont pas le troupeau d'idiots du sociologue anti-conformiste Alexandre Zinoviev.

La Musique d'une vie a reçu le prix RTL-Lire en 2001.

[1] Andreï Makine, né en Sibérie, a obtenu l'asile politique en France en 1987.

Lien : http://www.christianwery.be/..
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Je viens de terminer «La musique d'une vie».
C'est un très beau texte, court et très bien écrit.
Une écriture classique et dépouillée.
J'ai trouvé que l'expression «Homo Sovieticus» appliquée aux contemporains de Staline en URSS est à la fois adaptée en non adaptée : en effet à travers les comportements de ces hommes, on retrouve ce que d'aucuns appellent «l'âme russe éternelle», celle qu'on respire aussi chez Dostoïevski.
Une sorte de fatalisme un peu oriental et en même temps un ancrage à la vie, très instinctif. Une volonté de continuer toujours malgré tout.
Avec en plus la terreur, accrue par rapport à celle qui régnait sous le tzar ; mais ça, c'est propre à tous les régimes dictatoriaux : nazisme, régimes de colonels, coups d'état à Haïti et ailleurs…
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Le pianiste Berg a vécu 5 grands amours dans sa vie :
- celui de la musique ;
-ceux de l'infirmière et de la paysanne : amours de survie des existences qui se mènent au fil du rasoir, pareils à celui de l'enfant qui cherche protection et chaleur auprès d'une femme-mère ; le premier plus passionné peut-être que le second ;
- l'amour romantique, plus rêve que réalité envers Stella, la fille du général ;
- l'amour paternel envers son "presque fils", (celui de Stella), aux besoins duquel il survient, et qui est sans doute celui qui se produit au concert de la maison de la culture des chemins de fer à la toute fin du livre.
La boucle est bouclée : sa vie commence et finit avec la musique. D'où le titre.

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