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Brooklyn
Dans un décor de cinéma, rue sombre,boutique vieillotte et épicier fatigué, le jour se lève. Morris,debout à l'aube,se dévoue à sa tâche tel un Sisyphe consciencieux.Ses journées s'enfilent comme les perles d'un collier jamais terminé.Les affaires sont mauvaises.Morris n'a plus guère d'espoir,sa femme le houspille sans cesse,mécontente de sa vie mesquine, et leur fille Helen a dû interrompre ses études pour travailler et aider à payer le loyer.Morris se réfugie dans le passé,pensant à son défunt fils et constatant son échec face aux commerces modernes et florissants de son quartier : " On ne peut pas s'appeler Morris Bobber et être riche ".
Un soir,des holdupnicks (voleurs) s'introduisent dans son épicerie.Il est agresssé physiquement,son état se dégrade.
Et Franck Alpine entre en scène.Cet homme,venu de nulle part,va surgir dans cette famille et proposer son aide désintéressée. Méfiant,Morris va pourtant l'héberger et constater l'amélioration de son affaire ...
A l'instar de ses compatriotes, Saul Bellow et Philip Roth,Malamud est un romancier juif américain du XXe siècle mais le moins connu des trois.Homme discret et rigoureux, son roman ressemble au personnage de Morris ,tiré de son père lui aussi épicier au bord de la faillite.J'ai lu cette histoire comme un conte qui parle et interroge la destinée,la religion,le vice et la vertu,la souffrance,la punition, la rédemption. Une telle leçon,tragi-comique, à la Charlie Chaplin,ne peut qu'emporter celui qui lira ce livre.
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New-York, Brooklyn, dans les années 50 un couple d'épicier juif âgé peine à survivre avec une épicerie misérable dans un quartier tout aussi misérable.
Un soir, un petit hold-up destiné au voisin finit chez eux. L'épicier est blessé. L'un des malfrats " pris de remords", y retourne et aprés maintes détours s'y fait engager comme commis.....une ambience au parfum des pièces de Tennessee Williams.
On se croirait dans une pièce de théâtre. L'histoire confinée à une épicerie et sa rue se déroule dans un décor figé. Mais l'intensité dramatique de l'histoire nourrie par maintes détails qui nous renvoient à l'histoire des juifs, au rêve américain des immigrés, au quotidien banal des personnages qui subissent leur vie, n'arrivant pas à contourner leur destin, nous ancre dans un récit qu'on lit d'une traite. C'est le génie narratif de Malamud, qui s'est fortement inspiré de son enfance. Lui-même, fils d'immigrés juifs, est né et a grandi à Brooklyn, dans l'arrière-boutique de la petite épicerie familiale.
La figure centrale de l'histoire est le commis, le personnage le plus intéressant du récit.Un homme, mal parti dans la vie, qui oscille constamment entre le Bien et le Mal, et une fois le mal fait essaie d'y remédier à tout prix. Il est intelligent, a des ambitions, mais il est victime de son destin et tombe amoureux d'une juive, la fille du couple..........Il n'est pas juif, et même légèrement antisémite sans vraiment savoir pourquoi, et cette vie parmi eux, va lui faire prendre conscience de l'identité juive ("En faites qu'est-ce qu'un juif ? Voilà ce que je voudrais savoir.....mais expliquez-moi pourquoi les Juifs souffrent tant. On dirait qu'ils aiment ça."). Au début, il ne suscite ni sympathie ni d'empathie, mais par la suite......Malamud jouant sur l'ambiguïté du personnage nous manipule aussi nous lecteurs, jusqu'à la fin (......il y avait chez lui quelque chose de fuyant, de caché. Il paraissait tantôt meilleur et tantôt pire que ce que l'on croyait.").
C'est aussi la rencontre de deux mondes, celui de la famille juive encastré dans ses "Lois" et celui du commis dans la seule loi est sa propre conscience souvent perturbée par les circonstances.
La vraie littérature est intemporelle, ce qui vaut pour ce livre publié pour la première fois en v.o. en 1957, et en français en 1961. Il vient d'être réédité dans les éditions Rivages de chez Gallimard. Un seul mot pour résumer mes sentiments, Brillant !

P.s.Si vous auriez l'intention de lire le livre , je vous déconseille de commencer par la Préface d'Adam Thirlwell, qui à mon avis se référant aux points culminants de l'histoire y compris la fin, gâche le plaisir de la lecture.
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« Il continuait de penser qu'il méritait une meilleure destinée, et que le sort tournerait en sa faveur si seulement, pour une fois, il faisait le bon choix ».

New-York ; un épicier juif émigré de Russie avec sa famille ; une petite affaire qui sombre et qu'une agression n'arrange pas ; un braqueur un peu piteux qui tente de se racheter en se mettant au service de l'épicier ; et un goy qui tombe progressivement amoureux de la fille du patron.

Une vie familiale simple et banale, au coeur de ce petit quartier de Brooklyn dont l'épicerie fut longtemps le point de passage obligé ; un temps qui se ralentit au rythme des clients qui ne passent plus et un monde qui bascule pour Morris, l'épicier dont les repères vacillent.

Morris et un homme qui souffre. D'ailleurs, a-t-il déjà un jour cessé de souffrir entre sa jeunesse violentée, son exil forcé, la mort prématurée d'un enfant et le déclin de ses espoirs professionnels qui devaient faire de sa famille des Américains à part entière ?

« C'est drôle, se dit-il, pour les Juifs la souffrance est une pièce de tissu : ils s'en drapent comme dans un vêtement ».

Ida, sa femme et Helen, sa fille. L'une est furie, aiguillon injuste qui pique là où cela fait mal, vengeance expiatoire à la hauteur de ses espoirs déçus. L'autre est à la fois rangée, résignée, mais secrètement porteuse d'encore un peu d'espoir, que tout pourrait changer si...

Et au milieu de tout ça, apparaît Franck Alpine, jeune rital en déroute mais en mal de rachat. Un seul être débarque, et tout est chamboulé.

Ce qui frappe chez Bernard Malamud, c'est que tout est apparemment simple, et le commis – traduit par J. Robert Vidal et révisé par Nathalie Zberro - n'y échappe pas.

Mais cette histoire – basique -, ce rythme – lent -, cette atmosphère - familiale - ou cette écriture – apaisée – ne sont là que pour créer le contexte idéal pour passer au révélateur des éléments de messages plus profonds.

La petite boutique de Brooklyn n'est ainsi rien d'autre que le théâtre d'une tragédie, où l'amour et la mort se confrontent à la destinée, où l'alternance du bien et du mal traduisent la quête du rebond, où la violence des coups du sort témoigne des hésitations entre résignation et possibilité d'un pardon ou d'un ailleurs.

Et c'est là qu'intervient la religion, juive en l'occurrence. Si Morris a trouvé sa ligne entre accommodation et compromis dans le suivi général du principe de la Loi, Ida en fait un guide absolu, Helen une hésitation permanente et Franck une découverte initiatrice.

« “Si vous voulez la vérité, dit-il, je n'aimais pas beaucoup les Juifs (…) Je veux dire autrefois… avant de les connaître (…) Je me faisais toutes sortes d'idées…
- C'est souvent comme ça, dit Morris“ ».
Quitter ce petit microcosme du Commis ne se fait pas sans regret, ni sans un prolongement de pensées qui dure quelques jours. Mais que ce livre est puissant, profond et apaisant !

« Et puis un dimanche après-midi le temps s'adoucit assez pour qu'elle put sortir et, soudain, elle pardonna tout à tout le monde. »
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J'avais été impressionnée par " L'homme de Kiev", ce roman, le deuxième publié par l'auteur en 1957 m'a plu encore davantage. Et effectivement, comme d'autres l'ont remarqué avant moi, ne lisez pas la préface avant la lecture, plutôt après, elle en dit trop!

Le personnage central de cette histoire est fascinant, imprévisible, tourmenté par le Mal qu'il commet et son désir intense pourtant de s'amender. Il s'agit de Franck Alpine, américain pauvre d'origine italienne, au parcours cahotique, qui tente de survivre grâce à des petits boulots, des larcins aussi.

Et voilà qu'il participe avec un voyou , mouchoir sur le visage, au braquage d'une petite épicerie juive de Broocklyn , tenue par Morris . Ce dernier est blessé. Franck désire ensuite se réhabiliter en devenant le commis du vieux juif, dont il essaie de faire remonter le chiffre d'affaires bien bas. Et il tombe amoureux de la fille de Morris, Helen.

Je n'en dirai pas plus mais ce livre est passionnant à la fois parce que ses personnages, surtout Franck, sont complexes, tout en intériorité, et que des thèmes universels sont soumis à notre réflexion: les souffrances qu'on s'inflige, l'idée de rédemption, les méandres de l'âme humaine, le racisme primaire, qui ne sait pas vraiment se définir, ici concernant les Juifs, l'identité religieuse, les difficultés sociales des immigrés.

On suit avec grand intérêt le chemin semé d'embûches de Franck et sa recherche d'idéal, d'absolu, lui qui est obsédé par l'image de Saint François d'Assise... Un roman que je conseille vivement!
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Peu connu en France, Bernard Malamud est, comme Saul Bellow et Philip Roth, une figure emblématique de ce que, à tort ou à raison, on appelle l'école juive new-yorkaise de littérature. Lui-même aurait préféré qu'on le présente tout simplement comme un écrivain américain - virgule - juif.

Le commis, considéré comme un chef d'oeuvre en Amérique, date de 1957. Il vient de faire l'objet d'une nouvelle publication en français, après des années d'oubli. On peut le lire comme un roman classique ou comme un conte philosophique.

Il est courant pour Malamud de mettre en scène des familles juives immigrées d'Europe de l'Est, menant des vies besogneuses et modestes dans les quartiers périphériques de New-York. Un monde qu'il connaît bien, car ses parents, nés en Russie, tenaient une petite épicerie à Brooklyn. Dans ce microcosme, être juif a un sens. Pourtant, on n'y observe très peu les pratiques religieuses ; il est rare que l'on parle de la Shoah, ou d'Israël. On s'exprime en anglais – on est Américain ! – probablement avec un accent ... mais dans un livre, ça ne se voit pas... Juste quelques mots ou expressions en yiddish, quand leur équivalent exact est introuvable en anglais.

Morris Bober et son épouse Ida tiennent depuis des années une petite épicerie misérable qui leur permet à peine de survivre. Dans le quartier pauvre de Brooklyn où ils sont installés et dont ils ne sortent jamais, leurs conditions de vie se dégradent encore après une agression par des malfrats qui s'emparent de la caisse, pourtant bien maigre. A soixante ans, Morris est prématurément vieilli. Ida, pourtant moins âgée, est usée, elle aussi, par une vie d'anxiété et de privations.

Morris et Ida survivent grâce à l'emploi de secrétaire de leur fille, Helen, une très jolie jeune femme de vingt-quatre ans qui aurait rêvé suivre des études de littérature. le manque de moyens et son dévouement filial l'amènent à se replier sur elle-même. Est-elle destinée à rester vieille fille ? Sa mère veille : il y a aux alentours quelques commerçants juifs dont les fils... Pourvu surtout qu'elle ne tombe pas amoureuse d'un goy !

Le goy inattendu, c'est Franck, un bad boy loqueteux. Des raisons qui lui sont propres – des remords, tout simplement ! – le poussent à s'imposer dans l'épicerie et à suppléer Morris dans un rôle de commis, pour un salaire de misère, malgré les réticences d'Ida. le bad boy a bon fond. Il a aussi des excuses à faire valoir pour ses mauvaises actions passées : une enfance en orphelinat, une adolescence errante et erratique, des mauvais choix, faits sous pression. C'est un pauvre type, en fait.

Comme tous les pauvres types, il n'aime pas les Juifs, sans savoir pourquoi... Mais ça, c'était avant ! Car Franck est un jeune homme intelligent, capable de se remettre en question. Et il a un certain charme. Helen n'y est pas insensible. Lui tombe raide dingue... Ida est morte d'inquiétude.

Le récit est plutôt captivant. Les situations évoluent sans cesse. Dans sa charge de commis, Franck se donne un mal de chien. L'épicerie qui périclitait, se redresse, puis re-périclite... On lui trouve un repreneur, qui se défausse, qui revient... Des évènements qui ne sont pas sans incidence sur le quotidien matériel et moral de chacun. Instabilité aussi dans les états d'âme d'Helen et de Franck, dans leurs relations et dans ce que chacun représente pour l'autre... Jusqu'à la dernière page, que j'ai bien relue vingt fois pour tenter de découvrir un sens caché à une conversion aussi précipitée qu'absolue.

Est-ce ce simplement un geste, une offrande, à l'intention d'Helen ?

Est-ce, à l'inverse, un acte purement spirituel, une renonciation définitive, l'aboutissement d'un parcours de rédemption par la pauvreté et la bienveillance, inspiré par Saint François d'Assise, dont on avait raconté l'histoire à un pauvre gosse, jadis, dans un orphelinat ?

Est-ce un hommage à Morris, cet homme qui savait accorder sa confiance en dépit des apparences, cet homme soucieux d'« être un bon Juif ». Ce n'était pas question de pratique religieuse – Morris n'en observait aucune – mais de ce qu'il appelait respect de la Loi. Avoir des Valeurs – être honnête, bienveillant, généreux – et transmettre ces Valeurs à ses enfants.

Pauvre Morris : son honnêteté n'était-elle pas de la naïveté, sa bienveillance de la faiblesse ? Sa générosité n'a-t-elle pas fait obstacle au bien-être de son épouse et à l'avenir de sa fille ?

Les êtres les meilleurs seraient-ils forcément voués à des destinées perdantes ? Pour Malamud, les Juifs auraient une sorte de monopole de la bienveillance et de la souffrance.

On n'est pas obligé d'avoir le même avis, tout en trouvant beaucoup de plaisir à lire le commis.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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+++ Lu en VO +++

Bernard Malamud est un écrivain profondément humain qui écrit avec compassion et qui a une faculté naturelle pour nous parler des grands drames de vies minuscules.

Le roman se passe vers les années 50 dans une petite épicerie de Brooklyn tenue par Morris Bober et sa femme, un couple de juifs immigrés d'un certain âge qui assistent impuissants au déclin de leur épicerie face à la concurrence de supérettes plus modernes qui s'installent dans le voisinage. Morris recueille, malgré l'avis de sa femme, un homme errant qui s'était réfugié dans sa cave. En échange d'une chambre et de nourriture, Frank aide à l'épicerie alors que Morris se trouve temporairement alité. C'est un ‘goyim' (un non-juif), un personnage énigmatique, à la moralité trouble, en errance, dont on ne sait s'il précipitera la chute de l'épicerie ou si au contraire il contribuera à lui faire remonter la pente. Toujours est-il qu'il convoite Helen, la fille des épiciers et qu'il s'emploie à la séduire, ce qui ne peut que causer des problèmes puisqu'il n'est pas juif.

Ce très beau roman arrive à nous faire ressentir le désespoir de vies manquées, de gens qui sont passés à côté de leurs existences à force d'occasions manquées, de mauvaises décisions, de faiblesses, de procrastinations ou de malchance. Mais il fait également la part belle à l'espoir, celui qui les fait rebondir en essayant de sauver ce qui peut l'être du passé pour construire un avenir plus heureux. Les deux personnages principaux sont magnifiques, l'un à cause de sa bonhommie résignée, c'est Morris et l'autre, Frank, parce qu'il est continuellement déchiré entre son envie de se racheter et ses mauvais penchants acquis dans un passé accidenté.

Malamud est un écrivain magnifique, un peu oublié, qui sait raconter et camper des personnages aux émotions complexes avec une économie de moyens remarquable. J'ai bien du mal à lui rendre justice, en peu de lignes sans dévoiler plus de l'intrigue qui aborde de nombreux thèmes.
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J'ai lu, ou plutôt avalé ce livre étonnant, d'une traite.

L'épicier juif, dont Bernard Malamud nous narre les mésaventures, est originaire de Russie. Son père, victime des pogroms, envoie son fils en Amérique où celui-ci sera loin de vivre le rêve américain, coincé ainsi que sa femme et sa fille, dans une vieille boutique où il ne parvient qu'à survivre en vendant du jambon aux Gentils.
Un sans domicile italien vient trouver refuge dans l'épicerie et tombera amoureux de la fille de la maison.

L'auteur en profite pour questionner l'anti-sémitisme, ce qui caractérise un Juif, et qui n'est pas la réussite dans les affaires pour notre épicier désargenté, ce qu'est réussir dans la vie ou réussir une vie.

Il ne s'agit pas d'un roman américain au style habituel. J'ai davantage eu l'impression de me trouver devant un livre de littérature allemande ou autrichienne du début du vingtième siècle - le livre date de 1957-.

Le livre, qui était introuvable en français, vient d'être réédité dans une nouvelle traduction. Courrez l'acheter, c'est un petit chef-d'oeuvre classique.
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Après "L Homme de Kiev", il me fallait faire un tour dans cette petite épicerie juive, sujet du livre de Malamud "Le commis".
4,5, c est pour une longueur (me semble-t-il) au milieu de l histoire, entre Helen et Franck. Mais je fais mon difficile, tant l histoire est prenante, les personnages crédibles et la lecture addictive. J ai ressenti derrière ces lignes bcp de sentiments russes, qu on retrouve chez Dostoïevski. A ce titre, ce livre répond en écho à "Crimes et châtiments". le commis est un personnage qui restera, c est mon avis, dans la littérature comme l est Raskolnikof. l'Expiation reste le thème principal d un livre superbement bien écrit, simple comme toute la gamme de sentiments qui traversent les 4 personnages principaux. On le referme un peu meilleur....peut-être :)
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Morris Bober semble être un homme sur lequel le destin a décidé de s'abattre. Modeste épicier juif de Brooklyn (comme l'était le père de l'auteur), il travaille presque nuit et jour pour quelques rares clients qui viennent pousser la porte du petit commerce tandis que d'autres préfèrent les épiceries plus fines et plus modernes, les delicatessens, qui se multiplient dans le quartier en ce début des années 50. Morris Bober se tuerait à la tâche pour que sa fille Helen puisse enfin faire des études, hélas trop coûteuses, et pour que sa femme Ida sorte de la dépression dans laquelle elle s'enfonce de plus en plus.
Mais à son grand désespoir, les clients se raréfient chaque jour davantage, l'épicerie se délabre et ils ont de plus en plus de mal à payer leurs dettes et à vivre décemment. Et ce désastre dure depuis presque vingt-et-un ans. Il faudrait vendre le plus vite possible mais qui achèterait une échoppe aussi misérable ?
À ce grand malheur va venir s'ajouter un autre drame : Morris va être attaqué ! Eh oui, un hold-up!Deux hommes masqués vont s'introduire dans le petit commerce pour voler de l'argent que Morris... ne possède pas. Au mieux, quelques dollars traînent dans la caisse enregistreuse, trois fois rien, comme d'habitude... Très en colère, les malfrats se vengeront en lui assénant des coups qui provoqueront des blessures telles que Morris ne pourra plus se lever ni donc travailler. le malheur chez l'épicier est sans fond et sa chute infinie.
Or, un jour, tandis que le vieil homme tente de rentrer deux caisses de lait dans sa boutique, il fait un malaise et est retenu par un individu comme tombé du ciel, un certain Frank Alpine, émigré italien, qui rôde dans le quartier depuis quelques jours sans que personne puisse dire exactement d'où il vient ni où il loge. Cet homme étrange semble affamé, il tremble de froid ou de peur et jette des regards inquiets dans tous les coins de la boutique. Morris Bober va éprouver de la pitié, de la compassion pour cet homme démuni qui cherche du travail. Dans un sens, l'arrivée plutôt inattendue de ce Franck est une aubaine pour l'épicier : il va pouvoir être aidé. En même temps, il ne peut honnêtement « exploiter » indéfiniment ce garçon en le payant très peu, voire pas du tout. D'autant que Morris Bober est un être parfaitement intègre et droit qui ne peut vivre sans respecter la morale, la Loi. Comment peut-il faire ? Chasser Franck, c'est le remettre à la rue, et le garder revient à exploiter un homme, ce qui est insupportable… Et puis, l'épicier a beau avoir un grand coeur, il se demande quand même qui est cet étranger.
En effet, qui est Franck Alpine ? Voilà certainement la question centrale du roman. Qui est cet homme fasciné par la figure de Saint François d'Assise ? Que veut-il ? Doit-il expier quelque faute ? Il semble très intéressé par Helen, la fille de l'épicier, et va placer naïvement tous ses espoirs dans cette relation amoureuse, sans penser qu'en tant que non juif, il peut toujours rêver : jamais les parents de la jeune fille n'accepteront qu'un goy épouse la chair de leur chair…
À la lecture de ce roman , j'ai très vite eu l'impression d'être du côté de l'univers de Dostoïevski , mais aussi de celui de Kafka: on sent qu'au fond ce texte est une parabole dont le sens est à chercher autour des thèmes de la faute, du pardon, de la notion de judéité. Très souvent, revient la question : qu'est-ce qu'être juif ? Cette interrogation semble obséder l'auteur. « Quel genre d'homme fallait-il être pour s'enterrer du matin au soir dans ce cercueil géant sans jamais sortir pour respirer une bouffée d'air, à part pour acheter un journal en yiddish ? C'est bien simple, il fallait être juif. Ils sont nés prisonniers. Il fallait avoir la patience inlassable ou l'endurance ou la résignation de Morris comme l'avaient aussi al Marcus, le marchand de sacs en papier et ce vieux coq décharné de Breitbart qui trimballait de porte en porte son chargement d'ampoules électriques. » s'interroge l'épicier. Quant à Frank, ses questionnements portent sur les mêmes sujets : «  En somme, ces gens-là ne vivent que pour souffrir. Et le plus honoré d'entre eux, le pur des purs, le Juif modèle est celui qui supporte le plus longtemps la douleur qui lui ronge les tripes avant de se précipiter aux toilettes. » « C'est drôle… pour les Juifs la souffrance est une pièce de tissu ; ils s'en drapent comme dans un vêtement. »
Si l'on s'en tient à ces définitions, on peut dire que même si Franck n'est pas juif, tout se passe comme s'il l'était : il souffre, s'épuise, donne tout ce qu'il peut de lui, cherche à se faire pardonner ses fautes, à se racheter, à être meilleur… Ses remords pèsent lourd sur sa conscience et son besoin d'expiation semble vital. Et pourtant, il ne parvient jamais à se fixer définitivement du côté du Bien ou du côté du Mal et oscille sans cesse d'un point à l'autre comme si sa vie, finalement, était une lutte constante pour parvenir enfin à être ce à quoi il tend, selon moi, depuis le début sans jamais en avoir vraiment conscience… Je n'en dis pas plus, vous le verrez à la fin… Son parcours ressemble à une quête, une espèce d'initiation et on pourrait discuter longuement de ce qui la motive chez Franck...
Finalement, il ressemble assez à l'épicier qu'il plaint… au point d'aller parfois jusqu'à le remplacer totalement ou d'être pour Morris comme un fils adoptif.
Le texte, assez mystérieux (et c'est ce qui en fait toute ia richesse), s'offre à des interprétations multiples et le personnage très ambigu du commis crée un véritable suspense… Quant à son acte final (ah, je sens que j'attise votre curiosité… mais c'est bien, c'est bien!), on pourrait passer une nuit à tenter de l'analyser et proposer différentes interprétations possibles. Oui, c'est là que l'on voit qu'il s'agit d'un grand livre !
J'ai beaucoup aimé aussi l'unité de lieu : tout se passe effectivement quasiment dans une petite épicerie dont on s'éloigne rarement. Cela confère à l'oeuvre une dimension théâtrale et met bien en évidence les « vies cloîtrées » (l'expression est de Roth) des personnages de Malamud toujours coincés dans un espace réduit dont ils ne parviennent jamais à sortir malgré leurs tentatives. Ces petites gens finissent par devenir le symbole de la condition humaine, des figures à la Beckett, engluées dans des espaces dont ils sont prisonniers, aspirant à un ailleurs (géographique ou métaphysique) dont ils ne verront jamais la couleur. Ils ont quelque chose de fondamentalement tragique, ce qui les rend particulièrement touchants.
Un texte complètement essentiel, à lire et à relire.
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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Premier livre de Bernard Malamud que je lis. Avec le commis, je découvre un véritable bijou de sensibilité et d'humanisme. La vie de cette épicerie juive qui subit les hauts et les bas du petit commerce m'a véritablement porté au fil des pages sans effort et avec un plaisir constamment renouvelé. Les personnages sont en nombre limités, l'espace est réduit à un quartier – même pas, une rue ! -, les événements sont des plus simples – un concurrent apparait, disparait, les amourettes de la jeune fille et les soucis de Morris, l'épicier. Avec cette économie de moyens, Malamud nous fait ressentir toute la complexité humaine, les hésitations et les difficultés, les erreurs que l'on veut rattraper, les occasions ratées et toujours le doute de bien faire ou non. Tous les personnages, même ceux que l'on pourrait qualifier de second rôles, ont une étoffe et un intérêt exemplaire, chacun parait digne d'un développement qui restera à imaginer : Ward Minogue, par exemple, cette petite frappe à la dérive, toujours prêt à faire un sale coup minable, et qui évite son père policier qui n'a que la solution d'une bonne dérouillée pour l'éduquer… on imagine le milieu familial, l'enfance... ça m'a pris aux tripes, ce personnage qui finit brulé dans un incendie qu'il a lui-même provoqué, coincé dans un vasistas en essayant de fuir ! Des vies toujours en réduction, des ratages partiels ou complets et, malgré tout cela, des efforts dignes de cafards pour essayer de survivre…
Bon, le personnage central, quel est-il ? Il y en a au moins trois, voire quatre : Frank, un italien égaré à tous points de vue qui, en voulant racheter un braquage ridicule, va donner un sens à sa vie (et tomber amoureux au passage) ; Morris, un émigré russe qui a « sacrifié toute une vie pour rien » et vend du porc aux goys en restant un pur juif à l'intérieur ; Ida, sa femme, qui ne cesse de lui répéter qu' « elle lui avait bien dit que… » et Helen, sa fille, qui ne peut poursuivre ses études de littérature parce qu'il faut aider les parents à ne pas sombrer dans la misère. Tous sont dans une posture de sacrifice, mais rien de vraiment positif n'en ressort et la situation matérielle précaire de l'épicerie ne cesse de dévorer leur âme.
Dans ce contexte où chacun aurait besoin d'une psychanalyse approfondie (mais là, je m'égare), la rédemption finale sous forme de conversion au judaïsme m'a complètement interloquée, au point que je me suis presque demandé la part d'humour juif qu'il fallait y chercher !
Honnêtement, c'est un livre qui m'a transporté et marqué avec des personnages d'une complexité bien supérieure aux petits événements qui jalonnent leur quotidien. Il faut pour combiner cela dans un roman qui se lit d'une traite avec grand plaisir un talent rare, celui de Bernard Malamud.
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