J'enchaîne par hasard deux livres avec "idiots" dans le titre, ici l'étant dans le titre de la première nouvelle, un idiot pathologique beaucoup moins amusant que ceux du livre précédent .
Douze nouvelles, sur fond de grisaille et de tristesse.... et souvent de sexe non ou mal assouvi. Comme dans le Tonneau Magique, la plupart se passe à New-York, éventuellement en Italie, et les personnages principaux sont exclusivement des juifs américains. Des bonhommes seuls, souvent dans une misère morale ou matérielle , en quête d'une femme qui généralement ne veut pas d'eux; ou simplement affublé d'une femme, source de leurs problèmes, sans connotation sexuelle.
Ces récits malheureusement, bien que non dénués d'intérêt, après ceux
du Tonneau Magique et ses superbes romans "L'homme de Kiev" et "Le Commis " m'ont légèrement déçue, un peu avec leurs chutes et surtout par la morosité de leurs personnages, infestés de "loosers". L'un des récits étant une pièce de théâtre en un acte, dont je n'ai pas saisi du tout la portée, et sa chute, si c'en est une.
Deux récits font quand même l'exception. Celui de "L'oiseau-juif", l'histoire d'un misérable corbeau répondant au nom de Schwartz, qui s'installe chez un couple de juifs ayant un jeune fils. Schwartz parle, ne mange que du hareng et du pain de seigle, surveille les devoirs du gamin qui du coup s'améliore à l'école.... bref tout serait parfait si Cohen, le type du couple ne l'avait pas pris en grippe.....et même si ici la chute est intéressante, elle est trop moribonde. L'autre "Un nu tout nu", une histoire de fausse copie d'un tableau de Titien, intéressante et une chute cette fois-ci un peu plus amusante.
Comme quoi même les grands écrivains ne pondent pas toujours des chef-d'oeuvres.
A propos de ce recueil, une critique professionnelle américaine va jusqu'à dire ( le titre v.o. étant "Idiots first"), que les vrais idiots, concernant ce livre, sont les éditeurs qui l'ont publié, vu la qualité des récits qu'ils ont choisi de rassembler.
Bref si vous n'avez jamais lu Malamud, surtout ne pas l'aborder avec ce livre qui vient d'être publié chez Rivages.
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Le passé n'intervient que dans la mesure où on le laisse faire. Les gens le craignent parce qu'ils croient y voir une préfiguration de l'avenir. Mais cela ne se produit pas si l'on prend conscience que l'existence est sans cesse soumise au changement et qu'on se concentre sur ce qui en résulte , en le vivant.
( Le choix d'une profession)
Quand je suis sorti de l’hôpital, ma mère était morte. C’était une femme extraordinaire. J’avais perdu mon père quand j’avais treize ans, et c’était elle, toute seule, qui avait maintenu la famille en vie et unie. J’ai passé les sept jours de la shiv’ah assis, à la revoir vendant des sacs de papier empilés sur sa charrette, à songer à ce qu’avait été son existence et à ce qu’elle avait essayé de m’enseigner. « Nathan, a-t-elle dit, si jamais tu oublies que tu es juif, il se trouvera toujours un goy pour te le rappeler. » « Maman, j’ai répondu, repose en paix, ne t’inquiète pas de ça. Mais si jamais je fais quelque chose qui ne te plaît pas, souviens-toi que sur terre c’est plus dur que là où tu es. »
("J’ai toujours préféré le noir", p. 36)
Il n’avait jamais connu de femme comme elle, et il lui sembla soudain qu’il y avait quelque chose d’étrange à être ainsi, maintenant, en sa compagnie. Mais le temps présent n’était-il pas lui-même étrange ? Au présent, une personne est ce qu’elle est en train de devenir, non pas ce qu’elle a été. Elle était cette fille en robe jaune, aux jambes un peu lourdes mais bien galbées, assise à ses côtés comme si cette place lui revenait de droit. Voilà une leçon intéressante pour moi, songea Cronin. Le passé n’intervient que dans la mesure où on le laisse faire. Les gens le craignent parce qu’ils croient y voir une préfiguration de l’avenir. Mais cela ne se produit pas si l’on prend conscience que l’existence est sans cesse soumise au changement et qu’on se concentre sur ce qui en résulte, en le vivant.
("Le choix d’une profession", p. 98-99)
« Pour l’amour du ciel, pourquoi ne te laves-tu jamais ? Pourquoi faut-il toujours que tu pues comme du poisson pourri ?
– Monsieur Cohen, avec votre permission, si quelqu’un mange de l’ail, il sentira l’ail. Or je mange du hareng trois fois par jour. Donnez-moi des fleurs à manger et je sentirai la rose.
– Rien ne nous oblige à te donner quoi que ce soit comme nourriture. (…) Et en plus de ça, même depuis ton balcon, je t’entends ronfler la nuit comme un porc. Ça m’empêche de dormir.
– Ronfler n’est pas un crime, Dieu merci, répondit Schwartz.
– Tout compte fait, tu es une sacrée calamité doublée d’un resquilleur. Bientôt tu voudras coucher dans mon lit à côté de ma femme !
– Soyez rassuré sur ce point, monsieur Cohen, un oiseau est un oiseau. »
("L’oiseau-juif", p. 129)
Nous avons dû aller au cinéma ensemble cinq ou six fois en tout peut-être ce printemps-là et l’été qui a suivi, mais sitôt la séance terminée, il rentrait seul chez lui.
« Pourquoi tu ne m’attends pas, Buster ? demandais-je. Nous allons dans la même direction. »
Mais il marchait devant sans m’entendre. En tout cas sans me répondre.
Un jour, alors que je ne m’y attendais pas le moins du monde, il m’a envoyé un coup de poing dans les dents. J’avais envie de pleurer, mais pas de douleur. Je me suis exclamé, crachant le sang : « Pourquoi tu m’as frappé ? Qu’est-ce que je t’ai fait ?
– T’es qu’un putain de Juif, voilà pourquoi. Ton cinéma juif et tes bonbons juifs, tu peux les reprendre et te les foutre à ton cul de Juif. »
Puis il s’enfuit en courant.
Comment pouvais-je savoir qu’il n’aimait pas le cinéma ? ai-je pensé. Par la suite, devenu adulte, je me suis dit que ça ne se commandait pas.
("J’ai toujours préféré le noir", p. 31-32)
"Quand je parle du dernier juif d'Europe, je parle de l'imaginaire juif. ll y a beaucoup de juifs en France aujourd'hui mais pas un seul ne raconte sa légende à venir comme une légende européenne."
« Je ne me doutais pas que l'histoire de mon père me mènerait à faire équipe avec Ionas, un vampire centenaire et amoureux, Rebecka, sa copine psy divorcée d'un fantôme, et une rabbine. Mais quand c'est arrivé, j'ai trouvé ça normal. Presque.
Ces pages racontent aussi comment mon père a tenté de ne plus être juif, et comment, avec tout ce que l'on me mettait sur le dos, j'ai eu le sentiment d'être le dernier juif d'Europe. »
Joann Sfar ressuscite le fantastique et l'humour désespérés de Kafka ou de Malamud dans cette fable où les monstres offrent un miroir hyperréaliste à la singerie moderne.
https://www.albin-michel.fr/ouvrages/le-dernier-juif-deurope-9782226438744
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