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Citations sur Kaputt (36)

Or voici que l'odeur de la charogne entra de nouveau, s'arrêta sur le seuil. Je n'étais pas complètement éveillé ; j'avais encore les yeux fermés et je sentais que l'odeur me regardait. C'était une puanteur molle et grasse, une odeur dense et gluante, une odeur jaune mais toute tachée de vert. J'ouvris les yeux, c'était l'aube.
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eh;que voulez-vous,Monsieur,ce sont les mouches qui ont gagné!
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Le ministre Braun von Stum était fier que sa femme partageât les misères, les souffrances et les privations imposées par la guerre à toutes les femmes allemandes. Il n’avait pas voulu que Joséphine jouît des privilèges consentis aux femmes des diplomates et des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères du Reich.  « Je veux que ma femme serve d’exemple, qu’elle suive la destinée commune », avait-il dit. Les privations, les fatigues, les souffrances, le muet désespoir de sa femme couronnait sa journée de loyal et fidèle fonctionnaire prussien. Il était fier que Joséphine travaillât et peinât comme n’importe quelle autre femme allemande. Le baron Braun von Stum, ministre, était fier que sa femme fît la queue devant les magasins, transportât elle-même jusqu’à chez elle son sac mensuel de charbon, lavât le parquet, fît la cuisine. Lui prenait ses repas au club du ministère des Affaires étrangères quand il ne participait pas aux luxueux et fréquents banquets officiels.
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Et je jugeais qu’il était bon, que l’élément fondamental de son caractère était une humanité simple et généreuse, faite de timidité et de charité chrétienne. J’eus l’impression d’un homme capable de supporter sans sourciller d’atroces souffrances physiques, des fatigues et des tortures terribles, mais absolument inapte à endurer la moindre douleur morale. Un homme bon, voilà ce qu’il me parut, et cet air de stupidité me sembla de la timidité, de la bonté, de la simplicité, une façon à lui - toute paysanne - de se placer en face des faits, des gens et des choses comme en face d’éléments physiques, concrets et non point moraux, en face d’éléments de son monde physique, non pas de son monde moral.
[…]
- Le peuple croate, disait Anton Pavelic, veut être gouverné avec bonté et avec justice. Et moi, je suis là pour garantir la bonté et la justice.
Tandis qu’il parlais, j’observais un panier d’osier posé sur le bureau, à la droite du Poglawnik. Le couvercle était soulevé : on voyait que le panier était plein de fruits de mer. Tout au moins c’est ce qui me sembla : on eût dit des huîtres, mais retirées de leurs coquilles, comme on en voit parfois exposées sur de grands plateaux, dans des vitrines de Fortnum and Mason, à Piccadilly, à Londres. Casertano me regarda et me cligna de l’œil :
- Ça te dirait quelque chose, hein, une belle soupe d’huîtres ?
- Ce sont des huîtres de Dalmatie ? demandais-je.
Ante Pavelic souleva le couvercle du panier, et me montra ces fruits de mer, cette masse d’huîtres gluantes et gélatineuses, il me dit avec un sourire, son bon sourire las :
- C’est un cadeau de mes fidèles oustachis : ce sont vingt kilos d’yeux humains.
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Il était peut-être deux heures du matin. Il faisait froid, et la lumière métallique pénétrant par la fenêtre grande ouverte blêmissait à tel point le visage des commensaux que je priais de Foxà de faire fermer la fenêtre et allumer. Nous avions tous l’aspect de cadavres, car rien ne fait tant penser à un mort qu’un homme en tenue de soirée en plein jour, ou une jeune femme fardée, les épaules nues, couverte de bijoux scintillants, au soleil. Nous étions assis autour de la table somptueuse comme des morts célébrant dans l’Hadès un banquet funèbre : la lueur métallique du jour nocturne donnait à nos chairs un livide éclat mortuaire. Les domestiques fermèrent les fenêtres et allumèrent. Alors quelque chose de tiède, d’intime, de secret pénétra dans la pièce. Le vin scintilla dans nos verres, nos visages reprirent la couleur du sang, nos yeux brillèrent joyeusement, et nos voix redevinrent chaudes et profondes, comme des voix de personnes vivantes.
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C’était maintenant les jours clairs et les nuits blanches de l’été finlandais ; et les heures me semblaient interminables dans les tranchées et les boyaux du front de Leningrad. L’immense ville grise, sur le fond vert des bois, des prés et des marais, jetait, au soleil nocturne, de bizarres reflets métalliques ; parfois on aurait dit une ville d’aluminium, tant sa lueur était éteinte et douce, parfois une ville d’acier, tant sa lueur était froide et cruelle, parfois une ville d’argent tant sa lueur était vive et profonde. Certaines nuits où je la contemplais des petites hauteurs de Bielostrowo, ou du bord du bois de Terioki, elle me semblait réellement une ville d’argent gravée dans le délicat horizon par le ciseau de Faberger, le dernier grand argentier de la cour de Saint-Pétersbourg.
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Il y a d'innombrables familles d'oiseaux magnifiques, en Ukraine. C'est par milliers qu'ils volent en gazouillant dans le feuillage des acacias, qu'ils se posent légèrement sur les branches argentées des bouleaux, sur les épis de blé, sur les cils d'or des tournesols pour becqueter les graines de leurs grands yeux noirs. On les entend chanter sans répit au-dessous du tonnerre du canon, au milieu du crépitement des mitrailleuses, à travers le vrombissement puissant des avions sur l'immense pleine ukrainienne. Ils se posent sur les épaules des soldats, sur les selles, sur la crinière des chevaux, sur l'affût des pièces d'artillerie, sur le canon des fusils, sur la tourelle des panzers, sur les souliers des morts. Ils n'ont pas peur des morts. Ce sont des oiseaux de petite taille, vifs et joyeux. Certains sont gris, d'autres verts, d'autres rouges, d'autres encore jaunes. Certains n'ont de rouge ou de bleu que la poitrine, d'autres le cou, d'autres la queue. Il en est de blanc avec la gorge bleue, et j'en ai vu certains (tout petits petits et très fiers) entièrement blancs, immaculés. Le matin, à l'aube, ils commencent à chanter doucement dans le blé et les Allemands s'éveillent de leur triste sommeil et lèvent la tête pour écouter leur chant heureux. C'est par milliers qu'ils volent sur les champs de bataille du Dniester, du Dnieper et du Don ; ils gazouillent librement, joyeusement. Ils n'ont pas peur de la Guerre, ils n'ont pas peur de Hitler, des S.S, de la Gestapo. Ils ne s’arrêtent pas sur les arbres pour contempler le massacre mails ils planent en chantant dans l'azur et suivent de haut les armées en marche dans l'interminable plaine.
Ah ! ils sont vraiment beaux, les oiseaux de l'Ukraine !
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Vers l'aube, une compagnie de Honved hongrois, sanglés dans leurs uniformes jaunes, passèrent sous mes fenêtres en chantant. Les soldats hongrois ont une façon de chanter discontinue, et qu'on dirait distraite. De temps en temps, une voix s'élevait, entonnait un chant, puis se taisait. Vingt, trente voix répondaient brièvement, puis se taisaient tout à coup. On entendait pendant quelques instants un pas cadencé, un tintement de fusils et de gibernes. Une autre voix reprenait le chant, s'interrompait : vingt, trente voix esquissaient une réponse, se taisaient tout à coup. Et, de nouveau, la cadence drue et lourde du pas, le tintement des fusils et des gibernes. C'était un chant triste et cruel, quelque chose de solitaire résonnait dans ces voix, dans ces reprises, dans ces brusques arrêts. Et c'étaient des voix pleines d'un sang amer, ces tristes, féroces, lointaines voix hongroises montant des profondes plaines distantes que sont la tristesse, la cruauté de l'homme.
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Les Allemands nus sont extraordinairement désarmés. Sans mystère. Ils ne font plus peur. Le secret de leur force n'est pas dans leur peau, dans leur os, dans leur sang, mais dans leur uniforme. Ils sont tellement nus qu'ils ne se sentent vêtus qu'en uniforme. Leur véritable peau, c'est l'uniforme. Si les peuples d'Europe savaient la nudité flasque, sans défense et morte qui se cache sous le feldgrau de l'uniforme allemand, l'armée allemande n'effrayerait pas le peuple le plus faible et le plus désarmé. Un enfant oserait affronté tout un bataillon allemand. Il suffit de les voir nus pour comprendre le sens secret de leur vie nationale, l'histoire de leur nation. Ils étaient nus devant nous comme des cadavres timides et pudibonds.
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La mystérieuse noblesse des opprimés, des malades, des faibles, des gens désarmés, des vieillards, des femmes, des enfants, l'Allemand la perçoit, la sent, l'envie et la redoute, peut-être plus qu'aucun peuple d'Europe. Et il en tire vengeance. Il y a une sorte d'avilissement voulu dans l'arrogance et la brutalité de l'Allemand, un profond besoin d'auto-dénigrement dans son impitoyable cruauté, une fureur d'abjection dans sa "peur" mystérieuse.
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