Ceux qui ne peuvent s'empêcher de dévorer des romans policiers à tire-larigot et à longueur de nuits insomniaques connaissent forcément cet auteur suédois; sa bibliographie est édifiante.
De deux choses l'une : ou bien les auteurs de polars sont des bourreaux de travail, passant toutes leurs journées quand ce ne sont pas leurs nuits, à noircir des pages immaculées d'intrigues tarabiscotées, de rebondissements haletants, de personnages singuliers et d'épilogues ahurissants. Ou alors, écrire un polar ne requiert pas cet investissement total et exclusif que tous ceux et celles qui ont tenté cette aventure ô combien prenante de mettre en mots leurs pensées, leurs délires, leurs fantasmes (?) connaissent si bien. A voir.
Un premier élément de réponse pourrait venir de ces chaussures sur mesure qu'un artiste italien (à ce niveau là on ne peut raisonnablement plus parler de bottier) fabrique pour les grands de ce monde, reclus au fin fond de la forêt Suédoise. Cependant le roman ne tourne pas autour de ce formidable artisan chaussier. Ces fameuses chaussures promises ne sont qu'un leurre; la trame est ailleurs.
Après avoir exercé le périlleux métier de chirurgien orthopédiste, un jeune retraité de 66 ans vit éloigné de toute vie sociale sur une ile d'un archipel de la Baltique. Son seul contact avec le monde se limite au passage du facteur : un dénommé
Jansson qui déboule tous les trois ou quatre jours à bord de son hydrocopter (rien qu‘un hélico pouvant se poser sur l'eau - ou la glace en l'occurence), ne souffrant que d'une maladie qui englobe toutes les autres : il est hypocondriaque. Mais voilà qu'un jour débarque une vieille dame poussant un déambulateur sur la mer gelée…
On se dit qu'on est parti une nouvelle fois pour une de ces chevauchées toutes scandinaves, faites de vieillards débordant de vitalité, de grandes étendues neigeuses, de situations farfelues, de circonstances burlesques, de conjonctures cocasses. Pas du tout. Pas une fois on ne se tordra de rire au fil des pages. Même pas entrainé dans un tourbillon dont seuls les auteurs nordiques ont le secret.
Au contraire, c'est une indolence qui va s'emparer du lecteur, tout comme notre vitalité s'érode à longueur de journées de neige, engourdie par le froid, terrassée par un ciel qui semble peser des tonnes, des brumes qui envahissent tout, y compris notre meilleure volonté. Cette langueur ne suppose nullement un ennui à la lecture. Bien au contraire.
Fredrik, l'ex-chirurgien, va rencontrer des femmes peu communes. Suivent alors de jolis portraits où l'on sent toute l'influence de cette société qui a déjà plus de cinquante ans d'expérience en ce qui concerne l'amélioration des rapports hommes/femmes, ce qui ne signifie aucunement qu'aucun problème ne subsiste dans cet équilibre instable qui se crée lorsqu'un homme et une femme doivent vivre ensemble.
Point d'orgue du récit, cet épisode de la mort et de l'enterrement d'une protagoniste (je ne dis pas qui!) est tout juste sublime.
Au final, on ressort de cette plongée dans le grand froid Suédois un peu désorienté avec un arrière goût d'inachevé dans la gorge. Même pas de la mélancolie, juste autre chose. D'indéfinissable. D'insaisissable. Quelque chose qui nous touche au plus profond de nous-mêmes sans pouvoir clairement l'identifier. C'est rageant. Ou bien tout simplement la marque d'un bon livre.