CAMBRIEN
Passer les limites changeantes,
les eaux noires, les seuils friables,
traverser les défilés boisés, les lignes douces des montagnes,
les éboulis, les nuages neigeux, trouver les pierres choisies
et arriver à la région
emplie de paires de traces, de repaires animaux.
Voir réfractée la lumière de l’au-delà et les soucis terrestres,
manger le fruit amer sous l’arbre à pain
et connaître la faim ;
se lever et marcher, user à fond les chaussures tressées,
chercher le courant et arriver à la berge d’humaine facture,
se laver les mains, les cheveux, boire l’eau des jusants
et rêver pesamment du jugement dernier :
pouvoir commencer aux débuts d’une mare boueuse
pleine de petite malice primitive, comme le Dystique ou
l’humain tardif.
Marcher, marcher sans rien atteindre
à travers la saleté et la neige, la touffeur épisodique
et le terrible passé et la glaciation,
celle qui fut, et celle qui viendra ;
dormir dans la neige et faire fondre avec son corps
une plaque nue du grand glacier commun,
apprendre l’art des mains, la lente espérance,
construire une maison éventée et laissez entrer les pluies,
trouver un chemin révolu et des pierres polies,
muette densité de la pierre ; des humains aussi,
et haïr son prochain comme soi-même ;
manger des glands et des pignes, de la provende d’oiseau,
partager son repas avec les animaux
et apprendre leurs figures, leur langue et leurs traces
rapides.
Apprendre les comparaisons, et les mélanger aux choses du corps,
apprendre les secrets, et les oublier à nouveau,
perdre le savoir
dans l’errance à travers le temps et les chroniques stratifiées,
les livres abscons de la pierre et des dynasties manquantes.
Se vider et renoncer à la superstition, à la croyance
qui est sagesse, héritée des animaux
et des plantes nouées avant leur animalisation.
Se vider et renoncer-
comme est pesante l’errance sans fardeau,
la solitude sans la communauté des animaux,
la différence que les loups fuient et redoutent.
Arriver enfin
léger, fatigué,
dépourvu de mots, de tente et de compassion animale
au rivage maritime, pour voir avec son corps tout ceci :
La lumière coagulée et les longues vagues rudes,
le dur espace qui tourne, grince,
et les lents vents glaçants,
lancer par habitude
une barque vide, un cri dans le vent
en sachant que seuls les fragments parviendront au but,
ou bien aucun.