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EAN : 9782021442403
336 pages
Seuil (02/01/2020)
4.01/5   83 notes
Résumé :
L'Amazonie.
Perdue sous la canopée, une tribu d'Indiens isolés, fragilisés, menacés par les outrages faits à la forêt. Au-dessus de leurs têtes, un homme d'affaires seul et pressé, aux commandes de son avion, survole l'immense cercle formé par la boucle du fleuve délimitant leur territoire. Une rencontre impossible, entre deux mondes que tout sépare. Et pourtant, le destin va l'organiser. À la découverte de la « Chose », tombée du ciel, un débat agite la trib... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (33) Voir plus Ajouter une critique
4,01

sur 83 notes
Poétique et mystique, la fable écologiste et humaine de Pascal Manoukian fascine aussi bien pour sa spiritualité que son actualité.

L'immensité de la forêt amazonienne peut renfermer des trésors inespérés : cette boucle presque parfaite du plus puissant fleuve du monde qui draine le poumon de notre planète en est une. Seulement ouverte par une étroite bande terre à l'Ouest, cette figure remarquable attire immanquablement ceux qui par hasard l'apercevraient par les airs. «  À l'intérieur, une beauté primaire, unique, presque irréelle, un reste d'Eden oublié là, posé intact depuis des millénaires au milieu de l'immensité  », c'est la vision romantique qu'en a Gabriel depuis son avion privé avant de s'y écraser. Cet industriel à hautes responsabilités n'a le temps de rien, mais a les moyens de tout se payer. Son crash dans ce qu'il croit être le paradis perdu lui révélera la beauté d'une nature très différente de celle qu'il pensait y trouver : celle d'une autre humanité.
L'homme d'affaires survit à l'accident, retenu par l'épaisseur de la forêt tropicale, mais aura sérieusement endommagé son appareil. Dans sa carlingue cabossée, son corps inconscient sera bientôt retrouvé. Car la région est habitée par une tribu isolée encore inconnue des civilisations industrialisées. L'apparence de roman d'aventures se transforme alors en véritable étude ethnologique. Reconstituant la culture, les croyances et le quotidien de ce peuple imaginaire, Pascal Manoukian nous offre aussi une véritable réflexion sur nous-mêmes. Car chez les Yacou on connaît cinquante-sept mots pour décrire les nuances de vert, mais aucun pour évoquer le profit, la science ou le bonheur. Chacun a son double animal comme un «  indispensable équilibre entre toutes les vies  » chez ce peuple nomade, qui refuse de s'arrêter, car s'installer reviendrait à prendre possession et à devoir défendre ses biens. «  La nature n'a pas besoin de l'homme, il doit se faire petit et discret  » pourrait résumer les moeurs de ces hommes originels.
Mais de cette « Chose » à la peau blanche étrangement vêtue, que vont-ils pouvoir en faire ? Bien que Gabriel ressemble à un être humain, ils ne sont pas certains qu'il en ait pour autant une âme. Cette Controverse de Valladollid inversée amuse autant qu'elle interroge, nous poussant dans les derniers retranchements de nos certitudes.
Un conte captivant et original, porté par une plume où affleure la poésie et spiritualité. Alors que le seul lien des Yacou est le bruit des bulldozers rasant leur précieux or vert, quel doit être le rapport entre l'homme et la nature animale ou végétale ? Une très belle réflexion sur la nature humaine.
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Un voyage magique au coeur du poumon de la planète, celui-là même que l'âpreté au gain d'humains imbéciles est en train de détruire sans vergogne. Destruction de la nature, et ce serait un moindre mal, si cette inconséquence ne nettoyait avec la même désinvolture les tribus indiennes que l'Amazonie abrite, pour combien de temps encore.

Pour Gabriel, qui est l'un des responsables de l'exploitation de ces terres, l'atterrissage est rude, au propre comme au figuré, puisqu'il est survivant d'un accident d'avion. Recueilli par une tribu, il devra faire ses preuves afin qu'on lui reconnaisse sa vraie nature : homme ou cochon. L'un d'entre le, le chaman aveugle sait.

On vit avec cette tribu, ces us et coutumes qui peuvent paraître incompréhensibles et qui pourtant sont tellement en communion avec la nature qui l'entoure, pourvoyeuse de tout ce dont ils ont besoin, c'est à dire peu de choses : un peu de chasse et de pêche, de la cueillette, et du feu. Gabriel apprend peu à peu le dénuement, lui qui s'enorgueillissait de sa monte à 250000 euros, qui en plus de donner l'heure, le confortait dans son sentiment d'importance.


Cette immersion au coeur de la forêt avec les Yacous est un récit extraordinaire, qui allie le spirituel et l'analyse pointue de dérives stupides de notre société dite civilisée.


J'ai adoré ce voyage et la transformation progressive de Gabriel qui est allé chercher sur les lieux même de ce qu'il, était entrain de détruire, un sens à sa vie.

Superbe.

Merci à l'auteur et aux éditions du Seuil pour leur confiance.
Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Je remercie Babelio et les Editions du Seuil pour le dernier roman de Pascal Manoukian « le cercle des Hommes ». Roman d'aventure, il se révèle avant tout un vibrant conte écolo mettant en exergue les excès et dérives de notre société de consommation d'aujourd'hui. Je suis ravie de voir qu'une très grande majorité d'autres lecteurs l'ont aimé tout autant que moi.
Pour se rendre à un rendez-vous d'affaire, un riche industriel français survole l'Amazonie à bord de son avion. Il a un accident et s'écrase en pleine forêt, pas loin de la tribu d'indiens, les Yacou. Leur survie est menacée par l'exploitation et le défrichement de leur forêt. Ne le reconnaissant pas comme un homme, mais comme une « chose » tombée du ciel, ils le font prisonnier et le jettent dans un fossé parmi les cochons sauvages. Commence alors pour le français Gabriel une lutte au jour le jour pour se faire reconnaitre et accepter en tant qu'homme, bien décidé à se sauver et retrouver sa compagne Marie. Tentative bien difficile alors que tout les oppose. Alors même que la définition de l'homme les oppose. Parce qu'en plus de la langue, c'est toute une culture, une mentalité, des règles de vie qu'il va découvrir et devoir comprendre et assimiler. Une vie de frugalité, nus, parmi la nature, en respect avec la nature. Tant de règles si loin de son (de notre) monde, pour ne pas dire en complet décalage avec nos habitudes et comportements de sociétés dites « civilisées ».
Tous les matins, les Yacou régurgitent ce qu'ils n'ont pas digéré pour rendre à la terre et la nourrir comme elle les a nourrit. Tous les soirs, ils votent pour élire le chef du lendemain. Chaque matin, ils énoncent la couleur du vert qui prédomine autour d'eux et qui constituera leur journée plus ou moins active et enjouée. Ils respectent et remercient tout ce qui les entoure, la faune et la flore qui font partie de leur vie. Dès qu'il y a une source de désaccord entre eux, ils parlementent, discutent et votent. Chacun ensuite respecte ce vote, sans broncher (ou presque). Ils sont huit dans cette tribu et pas un de plus, car ils ont appris depuis des générations qu'être trop nombreux engendre des problèmes de survie et de conflits. D'ailleurs, une autre règle vitale est de ne jamais sortir du cercle dans lequel ils vivent pour leur sécurité et leur survie...
Autant de règles étonnantes pour nous, occidentaux et pourtant certaines sont si logiques, pour ne pas dire sensées et évidentes. le seul passage sur la recherche du miel nous ouvre un peu les yeux sur notre propre habitude de consommation facile, jetable... Quelle claque pour nous ‘'super-consommateurs'' ayant perdu conscience et morale (pour ne plus penser que profit et réussite) !
Chaque fois que je découvrais une de leurs « lois » et traditions, j'étais amusée, interloquée. Quelle étonnante imagination et conception de vie que cet auteur nous propose tout au long de ce roman ! Comme si, à chacun de nos problèmes et excès que connait notre civilisation occidentale, Manoukian avait soupesé les différentes solutions et choisi celle justement tellement opposée à nos habitudes, celle justement qui pourrait sauver encore notre planète avant que tout implose par notre inconscience et inconsistance. Dans ce roman, Gabriel est chacun de nous, français, européen, occidental. Loin d'être un ange tombé du ciel, il est notre miroir. A chaque page, nous sommes forcés de nous regarder bien en face, de réaliser ce que nous sommes, ce que nous sommes devenus, cherchant à posséder toujours plus, encore plus. Il nous représente, nous, ces humains individualistes avec des ornières.

On veut l'IPhone dernière génération, qu'importe son prix exorbitant, qu'importe sa durée de vie, qu'importe ensuite qu'on soit fliqué par des Big Brother, qu'ils connaissent nos comportements et nous géolocalisent, qu'ils nous proposent ensuite -lorsqu'on navigue sur internet- les produits qui nous correspondent et qu'il est bon de posséder. Ils le savent mieux que nous-mêmes, mieux que notre mère.
On veut le dernier jean, qu'importe s'il a parcouru pour cela des milliers de kilomètres. Faut avouer qu'il est trop bien, ça nous fait une belle paire de fesses quand même. J'ai réussi à l'acheter pendant le black Friday, j'avais loupé l'occas' lors des dernières soldes et des ventes privées. Et ce tee-shirt à 10€, il me tente bien aussi. Bon, j'en ai des tas entassés dans mon placard un peu pareils, mais celui-là, non quand même, il change des autres. Je sais qu'il est pas cher parce qu'il a été conçu par des petites mains asiatiques, peut-être très jeunes ou surexploitées. Mais, j'vais quand même pas acheter un tee-shirt qui vaut le double ou le triple parce que dit « écoresponsable » (je viens de m'acheter le dernier Iphone, soyons raisonnables, voulez-vous) et faut bien que les petites-mains vivent aussi. Je vais couper l'étiquette et oublier vite fait d'où il vient. Et il fera super bien avec mon jean.
Si on remet un peu les choses dans leurs contextes pratiques, quand je consomme, que je sors ma CB, je ne suis pas égoïste, c'est ma façon à moi de penser à l'économie française, au PIB, au taux de chômage. Les français économisent trop, c'est un fait. Heureusement avec la baisse du taux d'intérêt du livret A, espérons qu'ils se mettent à dépenser plus et arrêtent de s'inquiéter pour le lendemain. Si je garde mon super jean comme exemple (je sais, je focalise un peu trop dessus, mais ça passera avec le prochain), en l'achetant, j'oeuvre pour mon pays. Y'a pas à dire, il est top, mon jean. Je me sens hyper bien dedans.
Les émissions télévisées pour sauver la planète se multiplient et y'a plus vraiment de bons films sur les chaines tv (heureusement Netflix et Amazon sont là pour nous sauver de ce gouffre). Les scientifiques nous martèlent qu'il faut agir vite contre le réchauffement de la planète Terre, notre mère nourricière. Ils nous parlent de la fonte des glaces (J'en sais rien, j'suis jamais allée au Pôle Nord mais j'ai vu plusieurs fois « L'âge de glace »), des animaux et de tout l'écosystème en danger et tout le tralala. Certains écrivains de littérature blanche ou noire se mettent même à écrire des essais sur ce sujet (Fred Vargas avec « L'humanité en péril » pour ne citer qu'elle).
La jeune militante Greta Thunberg, élue personnalité de l'année 2019 par le magazine Time (et qui n'a rien à voir avec Adamsberg), est souvent citée dans les média. Certains hommes politiques se moquent d'elle et la fustigent et sont critiqués pour cela. Sérieusement, il faudrait arrêter d'ennuyer les politiques, tels que les sénateurs, à propos de leurs avantages financiers et leur retraite dorée. Rappelons qu'ils n'ont pas été élus pour ça mais parce qu'ils pensaient d'abord à leur pays. Eux, en plus de leurs longues études, ils ont pas mal bourlingué, sont bien au fait du système et connaissent quelques lobbyings fichtrement intéressants. Parce que, faut pas se mentir, la p'tite Greta de 17 ans avec ses petits yeux de cocker, ça finit par être assez agaçant, voire flippant. Elle ne pourrait pas sourire de temps en temps ? Ok, le monde va mal et tourne à l'envers. Mais est-elle vraiment obligée de faire une tête de quatre mètres de long et nous plomber le moral ?
Et, d'ailleurs, elle veut que je fasse quoi de plus ? J'en fais déjà pas mal, j'trouve, sûrement plus que la moyenne, j'ai ma conscience tranquille. Je fais mon tri hebdomadaire, je ne prends plus que des douches, j'ai réduit ma consommation de viande (je suis au courant que les cochons, en bout de chaine, créent les algues vertes sur nos plages ; que pour nourrir les vaches ça nécessite beaucoup d'eau et, en plus qu'elles pètent et sont en partie responsables du réchauffement climatique, sans parler des poulets maltraités), j'ai arrêté la pâte à tartiner avec huile de palme, et j'ai même limité ma consommation d'alcool, c'est dire...
Même les industriels s'y mettent et surfent sur les produits plus écolo, avec plein de labels environnementaux dessus, tous sains, tous beaux. Et même si on ne comprend toujours pas grand-chose à toute la liste des ingrédients, le label est là pour nous rassurer et surtout pour donner une bonne image du produit (et de l'industriel)…
Dans une récente émission, j'entendais que le 1/3 des ‘'produits'' issus de l'agriculture n'arrivait jamais dans nos assiettes parce qu'ils ne « respectaient » pas les normes imposées (et que des tonnes de pommes-de-terre trop grosses ou au mauvais calibre sont jetés par les agriculteurs). C'est sûr que pour finir en purée, j'aime bien qu'elles soient jolies et respectueuses, mes patates. Un quart ou plus des produits dans les supermarchés sont ensuite jetés car non achetés avant la date de péremption. Et, si on continue, une bonne partie de notre caddie finit aussi à la poubelle (yaourt périmé ou tristes carottes oubliées). Et entre temps, les assos caritatives essayent de se faire entendre pour dire qu'il y a de plus en plus de précaires et de moins en moins de dons… On marche un peu sur la tête, mais heureusement, on a de la chance, on est du bon côté…
Parce que, forcément, on peut pas s'occuper de ses belles petites fesses coincées dans son jean tendance, ou encore être ‘'plongés'' dans les réseaux sociaux où on a des tas d'amis virtuels et en même temps penser aux autres qu'on ne connait même pas. Ma mère m'a toujours dit de faire attention aux gens que je ne connaissais pas. (Ah, mais, j'avais pas vu ce super tuto qui m'explique comment bien me maquiller et me coiffer ! Hé, mais, c'est quoi son vernis à cette influenceuse ?! Je veux le même pour mon Noël !!...).
Durant l'hiver, plusieurs soirs de suite, j'ai vu des CRS et des membres de la sécurité de la RATP, alors qu'il faisait froid, déloger et obliger les SDF à sortir des métros. le CRS à qui j'ai demandé pourquoi ils ne s'occupaient pas d'abord des bandes de dealers à la gare St Lazare, m'a répondu qu'il n'était pas fier mais que c'était les directives. C'est sûr, ça fait plus propre... Les sans-abris dans Paris, ça casse un peu l'image d'Epinal de la plus belle des capitales. Pourtant le constat s'impose sous nos yeux : des hommes et des femmes, de tout âge, de toute nationalité, étaient de plus en plus nombreux dans la rue. Alors nous, nous marchons vite le soir, on détourne les yeux, on rentre vite dans notre logement pour préparer le dîner, en produits bio ou produits industriels qui facilitent notre quotidien.
Lors du dîner, on se dira « bon appétit » parce que c'est poli ou après, ça nous arrivera de dire « J'ai trop mangé » ou encore un « Tiens, il serait temps que je me fasse un petit régime » (cool, y'a des sociétés comme j'aime bien qui nous proposent des menus diététiques vite fait bien fait et nous garantissent de perdre dix kilos en deux mois et sûrement pour pas beaucoup plus chers, -ou si peu- qu'un repas standard qu'on aurait préparé soi-même, comme si on avait le temps avec notre rythme de vie effréné, ils nous font rire avec leur limitation de vitesse à 80 km/heure).
Et on s'installera dans notre canapé pour regarder un film sur notre TV Ecran extra large pour vite oublier ces images de la réalité. Et si une petite image désagréable nous harcèle encore sous les yeux, (oouhh, la méchante image qui fait mal aux yeux) on n'aura qu'à se rassurer en se disant qu'il y a au moins un mal pour un bien : ok, ils n'auront pas plus de patates mais avec le réchauffement de la planète, y'aura moins de SDF qui mourront de froid l'hiver (y'a qu'à voir ces records de température en janvier, ça donne du baume au coeur quand même, j'en parlais encore l'autre fois à ma voisine)… Enfin bon, j'dis ça, pas sûre que ce soit la solution. Déjà, on ne sait plus quoi faire de nos vieux, la population vieillit, les Ehpad se multiplient plus vite peut-être que les abeilles qui meurent.
Au moment des fêtes et des soldes, des opérations spéciales (pour la St Valentin, la fête des mères, la fête des grands-mères, Pâques, les vacances d'été, la rentrée, Halloween, Noël, j'en oublie ?), les boites aux lettres sont gavées comme des oies de prospectus sur toutes les bonnes affaires à ne pas manquer. Prospectus qui finiront en un rien de temps à la poubelle, dans le meilleur des cas dans la poubelle jaune… Tant pis si les forêts brûlent. Si le poumon de la mère Terre commence à ressembler à un poumon de gros fumeur de cinquante ans. Elle est plus vieille déjà, notre planète, elle a de la chance. Et tout a une fin, faut pas se leurrer, même les plus belles histoires d'amour.
A la télé, des dizaines de reportages évoquent l'évasion de Carlos Goshn. Ça change de Kim Kardashian ou de l'affaire Halliday. Y'aura sûrement un film sur la rocambolesque évasion de Goshn, sa personnalité atypique qui a gagné des millions et dépensé tout autant. D'accord, il a les dents longues, il se la joue un peu perso, il est dans son monde à penser que tout lui est dû, mais il est quand même très intelligent, il a réussi et est donc bien plus captivant que le quotidien de ces ouvriers à la chaîne de chez Nissan ou Renault qui peinent sous le labeur (CQFD). On parle déjà d'eux quand même avec les gilets jaunes, surtout quand ça pète et que ça flambe.
Et tant pis si, du coup, aux informations, on a vite oubliés (voire on passe sous silence) l'Amazonie qui brûle, les ours polaires, les guerres, les famines, les pays qui souffrent de sécheresse.
C'est moins glamour, ça nous empêche de digérer notre repas un peu lourd. Sinon, au pire, on a encore la possibilité de zapper car c'est trop triste, on a déjà assez avec nos problèmes, merci ça va bien, on ne peut pas porter toute la misère du monde sur nos épaules, j'ai déjà mal au dos.
Et puis moi, dans 20 ou 30 ans, la planète, peut-être que je ne la verrai plus, car je me serai fait écraser alors que je voulais attraper un bus, abimant au passage mon super jean que j'adorais (ch'uis dégoûtée), rongée par le crabe ou encore lobotomisée par la maladie d'Alzheimer. On nous a rabâché du « Carpe Diem » à toutes les sauces, fredonné Hakuna Matata, on nous a rappelé d'apprendre à profiter des petites joies du quotidien… Et maintenant faudrait que je pense à dans 20 ou 30 ans parce que la planète risque de ne plus supporter nos excès ? J'ai déjà mon cerveau qui fume à essayer de calculer le montant de ma retraite, alors, à force, ça risque de faire un trou dans la couche d'ozone.
Et puis si ça se trouve dans 10 ans, on aura trouvé une autre planète où aller vivre, suffira juste d'un long voyage en fusée et elle sera super aussi, la nouvelle planète. Alors qu'est-ce qu'on s'inquiète ?
S'il est très différent du précédent roman que j'avais aussi apprécié (« Ce que tient ta main droite t'appartient » qui traitait de Daesh), à bien y réfléchir, on trouve dans le dernier roman de Manoukian des thèmes récurrents sur l'identité, la différence, le respect entre les sociétés, l'humain (le pire et le meilleur) pour ne pas dire l'humanité.
J'ai trouvé que ce récit était un formidable plaidoyer écologique. Bien écrit, imaginatif, intelligent, sombre, qui n'empêche pas des passages très drôles. Je suis passée par toutes les émotions durant ma lecture. Qui plus est, il a su réveiller notre conscience durant quelques heures. C'est déjà pas mal. Forcément, on s'est senti égoïstes, individualistes, appartenant à cette société consumériste complètement folle, capable de détruire les terres des voisins d'à côté (parce qu'on ne va quand même pas se contenter de saccager uniquement nos champs ou la Méditerranée), juste pour notre petit plaisir personnel pour se croire vivre et importants, capables de s'autodétruire sans à peine s'en rendre compte. C'est à se demander qui sont les vrais sauvages et les êtres intelligents qui ont su se développer dans l'histoire.
Et au fur et à mesure qu'on tournait les pages, on s'est promis de faire un petit quelque chose pour changer un peu les choses, interpeler les politiques, voter vert aux prochaines élections ça fera les pieds aux autres, boycotter certaines entreprises, changer notre modèle économique, notre façon de consommer, notre mentalité d'énorme autruche occidentale. le tout est de ne pas les refermer aussi vite les yeux, une fois le roman terminé.
Et si, pour les prochaines bonnes résolutions des prochaines années, on se décidait à ajouter d'office une autre activité à notre liste ? En plus de faire un peu de sport, d'apprendre le suédois, pourquoi n'ajouterions-nous pas celui de consommer moins et surtout consommer mieux ? de faire un acte altruiste (un don, une heure de bénévolat, un geste écolo supplémentaire, limiter nos achats sur des sites de multinationales, que sais-je) ? Un p'tit quelque chose qui nous rendrait fier et nous donnerait un peu le sourire ?
Malheureusement, on ne peut pas toujours être de grands sages, impliqués et humanistes, verser toutes ces larmes de crocodile, se sentir coupables à chaque seconde, se dire que ce qui se passe dehors (d'autant plus, si ce n'est pas direct' sous nos fenêtres) nous concerne.
Faut que je pense aussi un peu à moi, sinon je vais péter les plombs. Comme j'ai été bien occupée à faire les soldes (j'ai pu enfin reprendre le métro après des semaines de galère et rattraper un peu le temps perdu), il me reste encore à regarder les derniers épisodes de la série qui cartonne en ce moment... C'est une série d'anticipation post-apocalyptique, un truc qui pourrait se passer soi-disant dans une cinquantaine d'années ou moins. C'est parfois un peu tiré par les cheveux, c'est vrai, mais les effets spéciaux sont incroyables de réalisme. Pas sûre que ça se finisse bien mais ça change des bouquins ou des films à l'eau de rose, pas plus crédibles d'ailleurs…
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Qui sont les Yacou ? Inutile de lancer votre moteur de recherche pour vous faire une idée plus précise sur la question. Ils n'existent que dans l'imagination de Pascal Manoukian, qui en fait les principaux protagonistes de son roman : le cercle des Hommes. Mais ils ont très probablement, au fin fond de l'Amazonie, à l'endroit où la boucle d'un fleuve forme un cercle presque parfait, des cousins germains qui leur ressemblent comme deux gouttes d'eau... Et vivre à leurs côtés tout au long du roman a été pour moi un vrai bonheur de lectrice, grâce à la magie langagière de l'auteur, son imagination et son humour.
Imaginez un petit groupe d'hommes et de femmes invisibles à tout regard humain survolant la canopée, où chaque enfant qui naît a un double animal qui partage avec lui les tétées, où chaque jour, la chasse et la pêche qui assurent la suivie du clan, ne se conçoivent pas sans un dialogue préalable avec l'esprit de l'animal qui va être tué. Car chez les Yacou, le mot "homme" se décline de trois façons : "les hommes pieds", "les hommes sans mots" (les animaux), "les hommes enracinés" (les plantes).
On ne peut donc imaginer choc culturel plus total que celui qui va se produire le jour où, dans ce petit Eden, va tomber du ciel, au sens propre du terme, puisqu'il s'agit d'un accident d'avion, Gabriel, fraîchement nommé à la tête d'un des plus importants consortiums miniers d'Amazonie.
La découverte de Gabriel par les Yacou est pour moi un des meilleurs moments du roman, car grâce au comique de décalage dont l'auteur va user très subtilement, notre fameuse supériorité d'homme blanc en prend un sacré coup ! Ces Yacou qui possèdent cinquante-sept mots pour désigner la couleur verte mais pas un seul pour le profit, vont considérer avec beaucoup de circonspection, ce qui vient de leur tomber du ciel.
Il faut dire que Gabriel, notre fringant héros, n'est plus qu'un amas de chairs sanguinolentes qui vont d'abord faire douter de son humanité et ils ne vont pas hésiter à le nommer "la Chose qui pue". Puis il accèdera au rang de "l'homme cochon" après un long séjour en compagnie des cochons sauvages capturés par les femmes du clan, chargées de la chasse. Enfin il deviendra "un demi Yacou", comme il le dit lui-même, le jour où il sera capable de prouver sa virilité en faisant un enfant à une jeune femme du clan, Reflet. L'odyssée de cet affairiste est vraiment jouissive et rocambolesque, car avant de devenir le "Moïse" qui sauvera le clan d'une façon que je me garderai bien de dévoiler, il va passer par tous les stades d'une initiation où vont se mêler le merveilleux et l'horrifique, sous la guidance d'un chaman, tour à tour "Homme-Tigre", "Homme-Jaguar" ou "Homme-Cendre", selon l'apparence qu'il revêt. Ce qui va donner lieu à de merveilleux passages oniriques ou cauchemardesques, où Gabriel va plonger dans le monde aquatique et devenir un dauphin rose pour revenir survoler l'espace et assister, impuissant au spectacle d'une humanité qui pille, détruit la planète et la souille de ses déchets de toutes sortes.
La force de ce roman est pour moi de poser le problème de l'urgence climatique et de la biodiversité d'une autre façon. Je suis entrée de plain-pied dans l'univers des Yacou grâce aux légendes, à tous ces passages qui nous font passer du réalisme le plus cru, à un réalisme magique où les Caterpillar qui quadrillent la forêt amazonienne et la dévastent, deviennent les "boas jaunes" qui "font pleurer les arbres".
Ce roman m'a marquée par sa force de dénonciation mais aussi par sa poésie et sa grande empathie pour ces Yacou "qui rient des fesses" et " applaudissent des cuisses". Je les ai quittés avec regret...
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Seul dans la jungle amazonienne

Avec son nouveau roman Pascal Manoukian nous offre bien plus qu'une fable écologiste. En suivant les pas d'un chef d'entreprise dont l'avion s'écrase au coeur de la forêt amazonienne, il touche à l'essentiel, à la raison de notre présence sur cette terre.

Que ce soit au cinéma, à la télévision ou en littérature, la recette a déjà été souvent utilisée avec succès: la rencontre de deux mondes qui à priori n'ont rien de commun. Si la variante que nous propose ici Pascal Manoukian est également très réussie, c'est que derrière le roman d'aventure se cache une profonde réflexion sur l'écologie au sens large, allant puiser jusqu'aux questions fondamentales, sur le sens même de notre vie sur terre.
Dans la forêt amazonienne vivent encore quelques poignées d'êtres humains totalement isolés de la civilisation. Appelons-les les Yacou. Ils sont à la fois extrêmement forts pour avoir survécu à des conditions extrêmes et très fragiles, car leur territoire est à la merci des «exploiteurs» qui rongent jour après jour la forêt amazonienne pour ses ressources naturelles, son bois, son or ou qui défrichent pour implanter des cultures extensives et rentables à court terme, faisant fi de la biodiversité et des équilibres naturels. Tout l'inverse des Yacou qui, au fil des ans, ont appris à composer avec la nature et à la respecter. le secret de la longévité de la tribu tient du reste dans ce respect de tous les instants pour leur environnement naturel: «ils veillaient perpétuellement sur son inventaire, remettaient chaque feuille déplacée à sa place, dispersaient la cendre des feux et les restes des repas.» Une discrétion aussi rendue possible par les règles de la communauté qui n'autorisent que des groupes de huit personnes au maximum, hommes, femmes et enfants compris. Ils ont eu l'intelligence de s'adapter au milieu plutôt que de vouloir le détruire. S'ils ne se donnent jamais de rendez-vous, ils se retrouvent toujours. Un cri suffit à se signaler. Leur langage est sommaire, mais primordial. Si pour eux l'argent et tout son vocabulaire n'existe pas, ils ont en revanche une quarantaine de mots pour définir la couleur verte, dans toutes ses teintes.
Au-dessus de leurs têtes, Gabriel est aux commandes de son petit avion. À la tête d'une grande entreprise de prospection minière, il vient de célébrer ses fiançailles avec Marie et est en passe de conclure de juteuses affaires. Seulement voilà, un vol d'oiseaux va brusquement le plonger dans le monde des Yacou. Les volatiles se prennent dans les réacteurs, causant la perte de l'appareil. Gabriel échappe à la mort, mais ni aux blessures physiques, ni aux blessures psychiques. Choqué, il ne se souvient de rien lorsqu'il se réveille. le Yacou qui le découvre est intrigué par cet être qui lui ressemble un peu, mais dont les différences physiques sont telles qu'il se méfie et le jette dans un enclos avec les cochons.
C'est au milieu des animaux qu'il va devoir survivre, se nourrir, guérir. Au bout de quelques jours de souffrance, il va pouvoir se mettre debout indiquant qu'il n'est pas comme les animaux qu'il côtoie et intriguant les Yacou qui décident de lui laisser sa chance. «Il ne faisait plus partie du monde des porcs, mais il ne faisait pas non plus complètement partie de celui des hommes».
Alors que la mémoire et les forces lui reviennent, il lui faut constamment s'adapter et, avec chaque jour qui passe, apprendre et se perfectionner, contraint à franchir les rites de passage mis au point par sa tribu, gardant désormais dans un coin de sa tête l'idée de pouvoir un jour fuir et retrouver les siens.
Pascal Manoukian, le baroudeur, a dû se régaler en imaginant les épreuves auxquelles Gabriel est confronté, en intégrant aussi dans son récit la situation du pays qui a élu Bolsonaro avec ce chiffre terrifiant – qui est malheureusement tout à fait juste – depuis son arrivée au pouvoir, de juillet 2018 à juillet 2019, la déforestation de la forêt amazonienne a atteint 278%!
Sans dévoiler l'épilogue de ce formidable roman, disons que les Yacou vont aussi se rendre compte du danger qui les menace. En filigrane, le lecteur comprendra qu'en fait, lui aussi fait partie de ces Yacou, de ce cercle des hommes. Un roman vertigineux et salutaire !


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Citations et extraits (22) Voir plus Ajouter une citation
« Apprenez à vos enfants ce que nous apprenons à nos enfants, que la terre est notre mère. Tout ce qui arrive à la terre arrive aux fils de la terre. Lorsque les hommes crachent sur la terre, ils crachent sur eux-mêmes. Nous le savons : la terre n'appartient pas à l’homme, c'est l’homme qui appartient à la terre. Nous le savons : toutes choses sont liées comme par le sang qui unit une même famille. L’homme n'a pas tissé la toile de la vie. Il n'est qu'un fil de tissu. Tout ce qu'il fait à la toile, il le fait à lui-même. »
Lettre du chef Seattle au gouvernement américain.

« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire. »
Albert Einstein.

Épigraphes du roman.
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Chez les Yacou, il existait cinquante-sept mots décrivant très précisément chaque nuance de vert, mais aucun pour dire le profit, la science ou le bonheur. Pour une raison simple : le profit n'existait pas, la science tenait déjà tout entière dans la nature et le bonheur, à part une période sombre, dont le vieux Mue gardait, en plus du secret, trois moignons et une méchante cicatrice sur le crâne, se révélait être pour les Indiens et depuis toujours un état permanent, une source intarissable.

Page 15, Seuil, 2020
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Comment les Yakou pouvaient-ils espérer rester vierges de tout, dans un monde rongé par l'obsession de produire et de consommer, où deux milliards d'obèses et autant d'affamés réclamaient toujours plus de terres arables, où un tiers de la production mondiale terminait dans les poubelles, où l'explosion du commerce en ligne et la multiplication des emballages réclamaient toujours plus de cartons et de papier, où chaque couple de jeunes mariés bien nés inscrivait sur sa liste une table de jardin en bois exotique ? Comment celui de leur forêt aurait-t-il pu ne pas pleurer devant tant de sollicitations ?
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INCIPIT
La forêt s’égouttait encore des larmes de la nuit. Parfois, racontait la légende des Yacou, le Soleil pleurait de se savoir enfermé dans le noir. Peïne ne lui en voulait pas, bientôt il réchaufferait la tribu. L’Indien, au corps sec, strié de centaines de petites cicatrices, droites et régulières, protégea le feu d’une tresse de brindilles et rapprocha les braises. Autour de lui, nus, allongés sur des nattes de feuilles, les corps des siens, serrés les uns contre les autres, pareils aux lames d’un radeau, flottaient encore dans le sommeil. Il les compta. Sept. Son clan entier, sa famille. Leurs poitrines se gonflaient juste assez pour éloigner les charognards. Leurs tignasses sentaient la viande et le manioc sauvage. Il se leva et fit le tour du bivouac, deux abris de palme, sommaires, juste un toit de branches posées sur des bâtons, un feu et au-dessus un petit fumoir. Leurs peaux brûlées de soleil et peintes d’ocre se confondaient avec les racines géantes dressées comme des orgues, les touffes emmêlées de leurs cheveux gris de cendre avec l’épaisse pourriture végétale. Rien ne les trahissait. À côté de leurs couches, les traces d’un gros puma en témoignaient. L’animal s’était reposé à quelques mètres avec son petit, pendant la nuit, sans les voir. Peïne fouilla les déjections : la femelle jeûnait depuis deux jours, sa progéniture boitait et souffrait sans doute de parasites. L’Indien se promit de leur laisser les restes de la pêche avant de lever le camp. Une autre fois peut-être les fauves lui abandonneraient une carcasse pour nourrir les enfants.
Surplombant le campement, des arbres entrelacés de lianes se bousculaient en mikado, prêts à perfuser les premières lueurs du jour. Toujours selon la légende, le sommeil était un filet tendu par les esprits où les Indiens se laissaient attraper pour apaiser leur corps des efforts et des blessures de la journée. Un doux piège, dont il fallait s’arracher avant la fin du noir au risque d’y demeurer prisonnier comme dans une nasse.
À Peïne revenait le devoir de réveiller son clan. Au fond d’un tronc en décomposition il attrapa deux gros vers de palme de la taille d’un pouce, le corps annelé, jaune de gras. Il les excita en les remuant au-dessus des braises, s’agenouilla devant Mue le vieil aveugle et les lui glissa sous les aisselles. Le rire apaisait les tensions chez les Yacou, or la journée promettait d’être lourde. L’aïeul, encore prisonnier du filet, sourit d’abord discrètement du coin des lèvres, puis les vers s’obstinant à creuser sous ses bras pour trouver une sortie il se mit à pouffer, déclenchant une réaction en chaîne, les uns se jetant sur les autres pour leur arracher des gloussements sans fin. Peïne en profita pour se rapprocher de sa femme et lui faire oublier sa mauvaise humeur de la veille. Une bande de singes laineux, réveillés par les cris, imita aussitôt les Indiens, effrayant une nuée d’oiseaux, et bientôt la forêt ne fut plus qu’un immense éclat de rire.
Mue mit fin à la cérémonie des chatouilles et commença la journée. L’aveugle s’éloigna du camp en tâtonnant. Ses yeux ne voyaient plus. Ses doigts si. De longues lianes torturées, des loupes, capables même de distinguer les couleurs. Il lui en manquait trois à la main droite, mais rien n’échappait aux rescapés.
Le vieil Indien saisit une feuille au limbe arrondi et caressa chacune des nervures en suivant leurs hésitations.
Il savait déjà le serpent sur la branche, juste derrière son épaule mais assez loin pour qu’il ne s’en inquiétât pas. Sur le feu humide, les deux vers de palme ne faisaient plus rire personne. Ils grillaient sur le dos, panse tournée vers un gros nuage qu’éventrait déjà un mince éclat de soleil.
Face à l’aveugle, silencieuses, deux femmes nues, les seins griffés par les ronces et les enfants, attendaient son verdict, arc aux pieds, la peau perlée de rosée, le regard souligné du trait rouge et gras de la pulpe d’urucu, une baie sauvage à l’allure de petits oursins dont les Indiens se servaient aussi pour se protéger des insectes et colorer les plats.
Mue mit la feuille dans sa bouche et la mâcha longuement.
Une bande droite et nette rasait sa chevelure grise en son milieu, laissant apparaître une longue cicatrice mal refermée, gonflée d’affreuses boursouflures. À la verticale de son crâne fendu, d’immenses orchidées égrenaient leur pollen dans un rideau de brume, montant de la pourriture du sol pour se déchirer aux premières branches des arbres et disparaître trente mètres plus haut, en fins lambeaux blancs, transperçant la voûte épaisse et échappant par miracle à la forêt, telles des volutes de fumée sans feu.
Depuis qu’on lui avait amputé trois doigts de la main pour le faire parler, le vieil Indien économisait les mots.
– Luisant, se contenta-t-il d’annoncer.
Tout le monde approuva d’un hochement de tête, sauf le Héron, un adolescent aux allures d’échassier, en perpétuel recherche d’équilibre, toujours penché vers l’avant, les deux jambes fendues en un « V » semblable à celui dessiné par la rencontre des eaux caillouteuses de l’Otavella et du Cahuinari, deux rivières entre lesquelles, depuis mille ans, les Yacou cueillaient et chassaient.
L’aveugle régurgita une bouillie verte grumeleuse, s’agenouilla, y mélangea un peu de cendre et, pendant que le Héron expertisait à son tour la feuille arquée d’un palmier-poubelle, enduisit de sa mixture les seins vides d’une jeune mère pour y faire monter le lait. Elle le remercia en prenant sa main entre ses doigts, et le contact devenu trop rare d’une peau douce contre la sienne ravit l’ancien.
Son opinion faite, le grand échalas se redressa sur ses compas.
– Brillant perlé, corrigea-t-il respectueusement.
Peïne, le gardien provisoire de la tribu, coiffé d’un casque de cheveux noirs à l’arrondi parfait cerclant un front curieux, orienta les feuilles d’une fougère géante vers une rafale de lumière qui trouait la tête d’un grand bananier.
Contrairement au vieil aveugle, il pouvait compter des yeux chaque battement d’ailes d’un colibri et le stopper net d’une fléchette en plein cou et en plein vol.
– Moiré, trancha le petit homme trapu, le biceps droit ceint d’une mue de serpent, seul signe distinctif de son rang.
Chez les Yacou, il existait cinquante-sept mots décrivant très précisément chaque nuance de vert, mais aucun pour dire le profit, la science ou le bonheur. Pour une raison simple : le profit n’existait pas, la science tenait déjà tout entière dans la nature et le bonheur, à part une période sombre, dont le vieux Mue gardait, en plus du secret, trois moignons et une méchante cicatrice sur le crâne, se révélait être pour les Indiens et depuis toujours un état permanent, une source intarissable.
Les sept statuèrent finalement sur un vert humide et scintillant, puis firent cercle autour du foyer et régurgitèrent ensemble ce que leurs estomacs n’avaient pas digéré de la veille, grelottant les uns contre les autres, trempés par les gouttes lourdes d’une averse pianotant sans partition précise de feuille en feuille jusqu’au feu toussotant. L’air sentait l’ananas vert et la cendre mouillée. Tout ce que comptait le clan tenait là : Peïne le sage, Mue l’aveugle au crâne fendu, le Héron, fragile et curieux, la Tatouée, la femme de Peïne, au corps entièrement incrusté d’arabesques bleues, le Rebelle, un jeune mâle de vingt ans, le regard noir, toujours sur ses gardes, méfiant comme un jaguar, Solitude, la veuve aux seins vides, Sans Nom, son jeune fils, et Pas d’Âge, le mort, recroquevillé en position fœtale au beau milieu d’une feuille de nénuphar géant, jaune tendre, aux bords parfaitement arrondis, relevés et dentelés comme un moule à tarte.
Les sept devaient choisir maintenant. À l’unanimité ils décidèrent de confier pour un jour encore le destin de la tribu à Peïne et s’entaillèrent symboliquement le bras de la pointe d’un bambou pour marquer d’une cicatrice leur décision commune.
Ainsi commençait chaque jour nouveau entre l’Otavella et le Cahuinari. À peine sortis du filet des esprits, les Yacou rendaient à la terre ce dont ils n’avaient pas besoin, choisissaient le meilleur d’entre eux pour les guider tout au long de la journée et définissaient la couleur du vert afin de décider à quoi ils allaient l’occuper. Peïne regarda le colibri s’envoler et se félicita : humide et scintillant était la couleur idéale pour un enterrement. Ils avaient bien fait de rire avant.
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Ainsi vivaient les Yacou, connectés entre eux mais déconnectés du monde, dans le bonheur de leur dénuement, convaincus intuitivement que moins était mieux, plus supportable pour tous, les hommes, les plantes, les bêtes et la fragile branche sur laquelle ils s'étaient établis, un territoire grand comme le Luxembourg à la frontière du Brésil et de la Guyane. Un monde circulaire, sans angle, sans commencement ni fin, un mouvement perpétuel, une boucle parfaite, claquée sur les troncs, la lune, le soleil, le ventre des mères et les ronds dans l'eau, un monde où le carré austère n'existait pas et où les Yacou s'interdisaient de l'inventer, pour ne pas rompre l'harmonie, l'unité parfaite entre les êtres, et garder le Cercle intact, comme Madame Lune leur en avait arraché la promesse le jour, où pour éviter d'enfanter la terre, elle leur avait offert la chose la plus précieuse au monde : le femme.
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