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EAN : 9782021402438
304 pages
Seuil (16/08/2018)
4.01/5   199 notes
Résumé :
Plus rien n'est acquis. Plus rien ne protège. Pas même les diplômes. À 17 ans, Léa ne s'en doute pas encore. À 42 ans, ses parents vont le découvrir.
La famille habite dans le nord de l'Oise, où la crise malmène le monde ouvrier. Aline, la mère, travaille dans une fabrique de textile, Christophe, le père, dans une manufacture de bouteilles.
Cette année-là, en septembre, coup de tonnerre, les deux usines qui les emploient délocalisent. Ironie du sort,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (87) Voir plus Ajouter une critique
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Concept économique, le paradoxe d'Anderson se définit par le constat qu'aujourd'hui l'acquisition de diplômes supérieurs à ceux de ses parents n'assure pas nécessairement une position sociale plus élevée. Un principe inique que décortique Pascal Manoukian dans ce roman sensible et envoûtant.

La nouvelle tombe un soir d'automne, le poste qu'occupe Aline dans son usine de textile va être délocalisé. Contremaître de toutes nouvelles machines qui faisaient sa fierté, celles-ci vont être envoyées « en Afrique ou peut-être en Asie, là où s'envolent les machines des usines de la région, laissant les hangars vides de bruit et les ouvriers les mains pleines de gestes qui ne servent plus à rien. »
Comme si une mauvaise nouvelle ne suffisait pas, Christophe Boîtier, son mari, contremaître chez Univerre, une manufacture de bouteilles, verra son usine fermée. Délocalisée.

Aline ne fabriquera plus de chaussettes. Elle devra se contenter d'accrocher celles qu'il lui reste sur les branches de l'arbre de Saint Gilles, figure tutélaire païenne de la région, mâtinée de christianisme.
Éloigner le mauvais sort, à commencer par repousser la visite de l'huissier, maître Gaston, qui, elle le sait, finira par frapper à sa porte, lorsqu'elle n'aura plus assez d'air pour respirer, plus assez d'argent pour payer ses traites qui l'enchaînent et qu'elle n'a plus les moyens d'honorer : « la voiture, la maison et cette connerie de revolving pour leur semaine aux Baléares ».
Elle était prête à faire des concessions pour conserver son travail, mais c'est sans compromis qu'on lui sommera d'aller pointer chez Pôle Emploi. Avec son salaire de 1489€ brut, elle peut espérer 900€ net d'indemnités au chômage, « 250 euros en moins, dix ans d'augmentation du SMIC rayés d'un trait ».

Les comptes vont devenir de plus en plus rouges et les soleils de plus en plus noirs pour cette famille qui vit au Nord de l'Oise, avec leurs enfants Mathis, le petit dernier atteint d'une maladie orpheline, et la grande, Léa, qui passe son bac cette année.

Candidate au bac ES, Léa observe à travers les concepts qu'elle étudie en Sciences Économiques et Sociales les soubresauts d'un monde qui change : « paradoxe d'Anderson », « déclassement social », « destruction créatrice », avec sa « casse marginale », qui est une marge d'erreur entre nouveaux emplois créés et emplois détruits. Elle se demande de quoi sera fait son avenir, sans se douter que ses parents en sont victimes. Ils ont décidé de tout cacher à leurs enfants, afin de les protéger. Insouciante, entre la chaleur réconfortante du foyer et celle des premiers émois, elle rêve de lendemains meilleurs, sociaux, écologiques et responsables, dans un monde qui n'existe pas, ailleurs. « Je rêvais d'un autre monde » comme le chantait Téléphone, et comme le danse toujours sa mère, entretenant le désir de son père.
Comme La Fontaine, dans sa fable « Les animaux malades de la Peste » : « Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés / Selon que vous serez puissant ou misérable / Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Les puissants dominent et peuvent vous écraser. Dans le souvenir de la véhémence communiste de son grand-père, Aline ne s'en laisse pas compter. Elle inculque à sa fille le passé glorieux des luttes ouvrières, tandis que les collègues se réveillent et résistent : « on n'est pas du bon côté du manche. C'est pour ça qu'il faut s'emparer des outils. » Et si certains sont soumis à l'ISF, c'est en tant qu'Intérimaire Sans Fin. « Les huissiers, les banquiers, les sociétés de recouvrement, les impôts, EDF » n'y suffiront pas : « submergés, noyés comme des taupes au fond de leur galerie », mais « serrés l'un contre l'autre ». C'est ensemble que l'espoir reviendra. Et même si à eux seuls, ils ne pourront changer le monde, ils essaieront au moins d' « en arrondir les angles afin qu'il ne blesse plus personne ».

Colérique, poétique et avant tout sensible, Pascal Manoukian nous livre ici un texte émouvant et envoûtant. Journaliste, réalisateur, photographe et écrivain, l'auteur des Échoués ou de Ce que tient ta main droite t'appartient, nous offre à nouveau un texte bouleversant et lucide sur les laissés-pour-compte et les ressorts de notre société. Actuel, on ne peut plus actuel... indispensable !

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Quand on tutoie la misère, on peut bien tutoyer Dieu... Pourtant ni Dieu ni Karl Marx ni les grands dirigeants n'auront que faire de cette famille de laissés pour compte à travers Aline et Christophe tous deux ouvriers dans une usine en proie aux fracas économiques.
Avec leurs deux salaires, ils remboursent le crédit de la maison, celui de la voiture, remplissent le frigo, paient l'électricité, l'eau, ils arrivent même à épargner un peu pour les loisirs et les vacances. Pourtant, sans crier gare, l'usine de textile d'Aline est délocalisée, même un salaire de misère c'est encore trop pour ces ogres de dirigeants. Quant à Christophe, le profil de son usine n'est pas meilleur et la grève gèle le salaire des ouvriers. Comment continuer à vivre avec un seul salaire minimal, un salaire indécent qui conduirait n'importe qui aux portes de la misère.

Ventres affamés, coeurs décharnés, rêves enterrés, chaque minute sonne le glas de la survie pour redresser cette famille à la dérive. Il faudra compter, oublier la quatre roues, mettre un masque parce que les enfants dans ce monde de prolétaires restent la seule richesse, alors il faut se taire, faire semblant, faire comme avant même si plus rien ne sera comme avant. Léa prépare ses études économiques. Elle se questionne, repense à son grand père Staline pour qui les ouvriers méritaient tout. Elle poursuit sa route vers le paradoxe d'Anderson sans s'imaginer la toile nauséabonde qui se tisse sur les siens. Mathis, le benjamin souffre d'une maladie mal définie, il s'étouffe dans des crises d'asthme qui nécessitent une surveillance quotidienne. Son salut, c'est l'arbre de Tarzan sur lequel il aime se balancer. Arbre qui aura plus d'une symbolique ici, entre insouciance et désespoir.

Le paradoxe d'Anderson de Pascal Manoukian est un roman brillant où l'auteur n'aura de cesse de dépeindre la société où les pauvres doivent être toujours plus pauvres quand les poches des riches débordent de tout ce qui est pris aux pauvres. Triste réalité noire et amère sous une excellente plume vivante et combien réaliste.
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Le paradoxe d'Anderson est le fait que, malgré un niveau de diplôme supérieur à celui de leurs parents, les enfants ne parviennent pas à atteindre un statut social plus élevé que le leur. Il est au programme de terminale ES et Léa ne se doute pas encore de sa réalité.
Magnifique roman sur la condition ouvrière que le paradoxe d'Anderson, de Pascal Manoukian qui m'a parfois fait songer à Gérard Mordillat. Une famille : la famille Boitier, la mère, Aline, travaille chez Wooly, une usine textile, le père, Christophe, bosse chez Univerre, une manufacture de bouteilles. Ils ont deux enfants : Léa, 17 ans, qui prépare un bac ES et Mathis, 6 ans, fragile, sujet à des convulsions. Ce sont « leurs sources de lumière ». Ils vivent à Essaimcourt, au nord de l'Oise, dans un petit pavillon. Pour eux, c'est presque le bonheur et ils peuvent même faire quelques projets. Hélas, cela ne va pas durer.
Wooly décide de délocaliser et Aline va être licenciée. Elle décide de n'en rien dire aux enfants, surtout pour protéger sa fille qui doit absolument réussir son bac pour avoir un bel avenir.
Mais le drame ne va pas s'arrêter là… et c'est une véritable tragédie que va vivre cette famille. C'est ce que vivent les ouvriers qui perdent leur emploi du jour au lendemain, suite aux délocalisations, se retrouvant au chômage, endettés par des crédits à rembourser, broyés et acculés au désespoir que décrit si bien cet ouvrage.
Ce roman bouleversant sur les laissés pour compte est rythmé par les mois de l'année. Il débute en août, avec la fin des vacances scolaires, pour se terminer en mai de l'année suivante. Un personnage haut en couleur qui, bien que mort, est présent tout au long de ce livre. C'est Léon, dit Staline, communiste véhément, arrière-grand-père maternel de Léa.
De plus, le Jeu des 1000 euros de France Inter auquel, justement, a participé Léon d'une manière inoubliable, clôturera ce roman en juxtaposant les questions du jeu avec les réponses entrecroisant Léa et Paul, son petit ami, avec les événements qui se passent à l'extérieur.
Pascal Manoukian nous tient en haleine d'une façon extrêmement puissante avec ce procédé. Ce livre d'un auteur que je découvrais, a été pour moi un véritable coup de coeur. Captivant du début à la fin, ce livre dur mais combien réaliste et bouleversant m'a pris aux tripes et je l'ai lu d'une traite.
C'est dans la vie avec toute sa fougue, toutes ses péripéties, toute sa noirceur mais aussi tout son burlesque que Pascal Manoukian nous entraîne jusqu'à nous faire perdre pied.

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Ce roman se déroule dans l'Oise, de nos jours, dans une région durement touchée par la mondialisation, les délocalisations d'entreprises, le chômage, la misère, le désert culturel....Un cadre qui, hélas , aurait bien pu, lui aussi, être délocalisé sur une grande partie de notre territoire.
Aline et Christophe travaillent tous deux en usine. Si leur vie ne respire pas l'aisance, ils réussissent à payer les crédits, celui de la maison, celui de la voiture, tout ne va pas trop mal pour eux mais l'épée de Damocles pend toujours au-dessus de leur tête. Ils ont deux enfants, Mathis, atteint d'une maladie mal définie et Léa, bonne élève de terminale qui s'apprête à passer son bac ES, un bac qui la conduit à analyser en permanence les théories et pratiques économiques du monde actuel.
Soudain, sans préavis , la catastrophe: Aline perd son emploi et, un malheur ne venant jamais seul, la grève paralyse l'entreprise de Christophe. Commence alors une autre histoire, une histoire dans laquelle Christophe et Aline vont se débattre contre le malheur qui les accable et se lancer dans une lutte dont on aimerait bien qu'ils sortent vainqueurs.....
L'auteur a connu, par ses parents, le monde ouvrier, il sait de quoi il parle quant au contenu, aux descriptions, à l'analyse des peurs, de la colère , de la désespérance. On "plonge, on se débat, on appelle au secours, on se noie , avec ces deux personnages émouvants de dignité.
Et dire que nous connaissons TOUS des gens qui se trouvent dans cette situation désespérée alors que leur seul souhait est de vivre décemment.
Je regrette un peu l'épisode dans lequel on voit évoluer "Bonux and Tide"( je vous laisse découvrir ) un peu "tiré par les cheveux"si je puis m'exprimer ainsi.
J'ai été atterré par certaines méthodes d'embauches et la brutalité des démarchage à domicile...
Ce roman social est sans concession , hélas.. Sans concession car je crois qu'il décrit avec justesse la vie désespérante du monde ouvrier. C'est un livre dur qui devrait nous interpeller sur le monde qui est le nôtre aujourd'hui. Pas vraiment beau, tout ça, pas très encourageant non plus. Et nous sommes au XXIème siècle ,ce livre n'a pas été écrit par Zola,et pourtant...
Il ne faut pas faire l'impasse sur ce livre, pas fermer les yeux, respecter le courage de l'auteur, ne pas baisser les bras...



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Voilà un livre qu'il faut lire pour tenter de comprendre tous les drames qui se produisent un peu partout en France depuis tant d'années avec ces délocalisations, ces fermetures d'usines qui marchaient bien, dont les carnets de commandes étaient fournis, entreprises souvent vendues à l'étranger et dont la fermeture cause d'impressionnants dégâts humains.
Gérard Mordillat a déjà bien montré le mécanisme de tels massacres, notamment dans Rouge dans la brume, François Bégaudeau l'a fait aussi récemment dans En guerre et, portant le même titre, le film de Stéphane Brizé avec un Vincent Lindon impressionnant, ont tenté d'éveiller nos consciences, comme d'autres que j'oublie sûrement.
Pascal Manoukian ajoute sa pierre à l'édifice, à sa manière avec le paradoxe d'Anderson, ce paradoxe mis en valeur par un économiste américain qui a démontré que des enfants ayant un diplôme supérieur à ceux de leurs parents, n'atteignent pas forcément une position sociale plus élevée. D'ailleurs, Léa, la fille d'Aline et Christophe, travaille cette notion pour préparer le bac ES.
Tout va bien pour cette petite famille même si Mathis, le petit frère de Léa, inquiète avec une maladie difficile à soigner. Aline est ouvrière tricoteuse devenue responsable d'équipe chez Wooly, et Christophe réussit bien dans l'usine Univerre où les fours tournent à plein pour produire beaucoup de bouteilles.
Un jeu radiophonique célèbre intervient, Jeu des 1 000 francs, en 1973, à l'époque du grand-père de Léa, Léon, surnommé Staline pour ses opinions politiques tranchées. Lui succèdera le Jeu des 1 000 euros pour la scène finale extraordinaire.
Coup sur coup, Aline et Christophe se retrouvent au chômage, se battent avec leurs collègues de misère mais je n'en dis pas plus pour laisser au lecteur la découverte de l'engrenage infernal avec coups de théâtre et scènes magnifiques. Pascal Manoukian que je découvre avec ce roman, se révèle un auteur qui sait parler de notre époque, annonçant finalement toutes ces semaines de luttes et de manifestations que nous connaissons.

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Citations et extraits (156) Voir plus Ajouter une citation
Autour d'Essaimcourt, aucun village n'a résisté. Une seconde Occupation, sans chars ni Gestapo. Les mêmes qui avaient combattu se sont rendus, ont capitulé, ont levé les bras. Les drapeaux bleu-blanc-rouge déployés à l'époque de Léon pour affirmer la résistance au néant le sont aujourd'hui pour symboliser son acceptation. C'est une reddition. Cette fois, l'ennemi vient de l'intérieur. Les slogans de haine endeuillent les murs des usines, souhaitent la mort d'Arabes là où on n'en croise aucun. Chaque voyage en car scolaire désespère Léa. Elle regarde défiler cette France recroquevillée où les frontistes, comme des dealers, refilent leurs saloperies et leurs idées mortifères. Les villages comptent de plus en plus d'accros. Les permanences du parti sont autant de salles de shoot, où à l'abri des murs et des slogans on autorise ce qui est interdit : la haine de l'autre, le racisme, le négationnisme. Le plus noir de l'homme est repeint en bleu marine, un camouflage grossier. On n'est plus facho mais patriote, plus raciste mais pour la préférence nationale, plus antisémite mais contre les forces de l'argent. Le père a fait sa fortune en détournant l'héritage d'un cimentier, sa fille s'en sert pour dresser des murs. Chaque village conquis s'isole du reste du monde, s'entoure de remparts comme au Moyen Âge. Ils sont déjà des centaines à avoir choisi cet enfermement volontaire. Léa, elle, ne rêve que d'enjamber des ponts.

Pages 21-22, Seuil, 2018.
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Il y a peu de temps encore on se disputait sa compagnie. Elle encombrait ses journées de rendez-vous inutiles, d'apéros, de déjeuners du week-end, de mèches chez le coiffeur, de sorties ciné/ pizza quatre-fromages entre copines au multiplexe de la zone industrielle. Son téléphone sonnait, on comptait sur elle, on lui faisait promettre « à demain » ou « à très vite », elle embrassait, lançait des « ciao » avec la main, textotait des « merci » et des « je t'aime ». Depuis, comme un cyclone, le chômage a déforesté sa vie, plus un de ses arbres ne tient debout, on dirait les montagnes pelées d'Haïti, rien pour arrêter l'érosion, personne, un Sahel affectif. Elle ne parle plus qu'à des guichets et des hygiaphones, n'appelle plus que des numéros à quatre chiffres, surtout le 3949, ne s'adresse plus qu'à des répondeurs et à des voix numériques, articulant lentement son identifiant à sept chiffres et ses mots de passe, punie, bannie, coupable simplement d'avoir la quarantaine juste à la pliure entre l'économie d'hier et celle de demain. Elle se demande ce que vont devenir tous ceux qui travaillent avec leurs mains. Où vont disparaître leurs gestes, dans quels musées ? Les terrils et les mines sont déjà classés au Patrimoine de l'Unesco. Quel avenir pour toutes ces usines mortes ? Des cars scolaires y emmèneront peutêtre les enfants pour observer des ouvriers faisant semblant de travailler en tournant en rond autour de machines débranchées comme les singes des zoos font semblant de vivre libres.

Pages 221-222, Seuil, 2018.
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À sa décharge, tente-t-il de se convaincre, les ouvriers se dressent rarement contre le système. Même avec de l'eau jusqu'au cou ils espèrent encore, il faut attendre que le niveau de désespoir atteigne les mocassins des couches supérieures pour voir se dresser les barricades. Aujourd'hui la France y est presque. Une grande partie des infirmières, des professeurs, des artisans, des médecins a déjà les pieds dans l'eau. Plus personne ne se sent au sec. Chacun tremble de devoir renoncer à sa manière de vivre, d'être obligé de sacrifier la scolarité d'un enfant sur deux, de ne plus pouvoir s'occuper dignement de ses parents. La marée monte, inexorablement, inondant les classes moyennes. Les familles réclament désespérément les secours. Elles espèrent des bouées et on leur jette des modes d'emploi pour s'en fabriquer. Chacun doit devenir son propre sauveteur, s'auto-employer, chercher son salut dans l'économie de partage, louer sa voiture, sa perceuse ou son appartement, se « blablacariser s'« ubériser», se « crowdfundiser» pour pallier la frilosité des patrons et des banques, et, ultime abandon, accepter d'être licencié plus facilement pour espérer être embauché.

Pages 213-214, Seuil, 2018
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Lui aussi rêvait de survoler la vie, libre, de l'effleurer de la pointe du pied au bout de sa corde, sans jamais se laisser arrêter, par rien ni personne. Puis, contraint par les mauvaises affaires de son père, il avait dû rejoindre l'usine. À l'époque, il avait la même tignasse ébouriffée que le saule. « Tu ne vas pas y aller comme ça ! » s'était fâchée sa mère. Elle avait aussitôt joué les tronçonneuses et Aline les consolatrices, comme avec Mathis. « Ils vont repousser, c'est mieux comme ça, chéri. Ça ne changera rien. » Elle se trompait. En quelques coups de ciseaux, tout avait cessé d'être comme avant. L'étudiant était devenu ouvrier, les jours s'étaient confondus avec les nuits, Christophe était passé à crédit de rien à presque tout, de deux ils étaient devenus trois, puis quatre, et sans qu'ils s'en aperçoivent la corde s'était transformée en chaîne, légère et indolore d'abord, comme un bracelet de cheville, puis de plus en plus lourde, entravant son vol, le plombant au fil des ans jusqu'à lui faire perdre son cap, l'enfermant derrière les grilles de l'usine où l'épaisse fumée noire des pneus en feu l'empêchait désormais d'entrevoir des jours meilleurs.

Page 134, Seuil, 2018.
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— J'ai vu un reportage sur une usine de jeans à Dacca, raconte-t-elle, la journaliste y faisait le portrait croisé d'une ouvrière française et d'une jeune Bangladaise. L'une avait perdu son travail, l'autre l'avait récupéré. L'une touchait des indemnités pour oublier les gestes, l'autre s'esquintait le dos à les répéter, toujours les mêmes, pour presque rien. L'une se sentait inutile, l'autre utilisée. Fallait voir le gâchis... se désole-t-elle.
Aucune ne gagnait de quoi faire vivre sa famille. Ça n'avait produit que du malheur.
— Et tu sais quoi ? lui demande Cindy. Le plus dégueulasse, c'est que malgré toute cette casse, en cinquante ans de tour du monde dans les usines les plus pourries, le prix du jean n'a jamais baissé ! Tu continues à le payer aussi cher que tes parents ! La seule différence, c'est qu'aujourd'hui tu tires la langue pour t'en offrir un.

Pages 52-53, Seuil, 2018.
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