"Mes veines sont comme un fleuve tari, une rivière asséchée et parsemée de cailloux, où la roche affleure, une terre devenue stérile et dure. Elles forment de longues cicatrices qui ne véhiculent plus aucune vie. Ce sont les routes sombres de mon passé que mon sang a désertées."
Je n'ai jamais eu envie de me droguer, mais si je l'avais eu, ce roman m'en aurait dégoûté à tout jamais !
C'est le genre de livre à offrir à une personne qui vous dirait que goûter là a poudreuse le tenterait bien, "juste pour essayer, parce que lui, il saura résister et pas recommencer, pas comme tous ces camés qui n'ont aucune volonté"…
Mettez-lui ce livre dans les mains ! Il est rempli de gens qui voulaient "juste essayer une fois" et qui y sont resté pour toujours, passant des bras de la blanche pour ceux de la faucheuse.
Une fois de plus, un roman noir… mais cette fois-ci, rempli de poudre "blanche".
Si la poudreuse peut-être coupée avec tout et n'importe quoi (strychnine !), le roman, lui, il est pur ! C'est de la bonne, de celle qui arrache et qui te marque à tout jamais, comme "L'herbe bleue" m'avait marqué à vie à l'âge de 16 ans, horrifiée que j'étais de voir qu'ils étaient prêt à tout pour avoir leur came.
Franck "Eckel" est un camé et il est au fond du gouffre, en ce 12 septembre 1999. Il a besoin de sa dose, comme tous les jours, depuis des lustres. Nous le suivrons lors de ses achats et nous écouterons ses pensées. Rien ne nous sera caché ou épargné.
Comment il en est arrivé là ? Il vous le racontera, sans édulcorants, avec son langage à lui, argotique et sans fioritures.
Franck nous fera vivre les années 80 et l'arrivée de la poudre sur le marché, les toxicos utilisant tous la même seringue, se refilant ensuite le HIV. C'est tout un pan d'histoire qui nous est conté, ici. Et il m'a fait frémir.
S'il a commencé "petit", Franck est vite monté vers de la "dure" et dans les doses, n'hésitant pas à prendre des médocs pour avoir son shoot, à cambrioler des pharmacies ou à devenir dealer pour se faire du fric et avoir ses doses à lui.
Volant, agressant, mendiant, implorant,… faisant tout ce qui est possible pour avoir son shoot dans les veines.
Il n'y a pas à dire, un toxico en manque, ça ne manque pas d'imagination pour se procurer sa dope, de l'argent ou le matos pour s'injecter la petite mort dans ses veines.
Ce qui frappe, dans ce roman, c'est la réalité avec laquelle il est écrit ! Tel un
Edward Bunker nous parlant de la taule, Maravélias nous parle du milieu des toxicos comme si on y était. Des décors environnants jusqu'à la déchéance des corps et des esprits, en passant pas la crasse immonde, tout est superbement bien décrit.
Comme je vous le disais, l'utilisation de l'argot et des codes des camés ajoutent au texte une réalité qui vous place au centre du jeu avec autant de réalisme que si vous étiez vraiment.
Pourtant, l'exercice n'était pas facile. En effet, il s'agit tout de même, pour Franck, de décrire des sensations à des lecteurs qui ne les ont jamais ressenties (du mois,, je l'espère pour eux).
Franck n'est pas un personnage que l'on aime, mais on le suit dans sa déchéance, lui, ou les autres, les filles n'ayant pas honte de se prostituer ou de sucer contre une dose. du liquide contre de la poudre…
On a beau ne pas les aimer, savoir qu'ils sont là de par leur volonté – ou par leur manque de volonté – on a mal pour eux, mal de les voir s'enfoncer de plus en plus profondément, sans espoir de retour, dans les sables mouvants que sont les drogues.
"Mon histoire n'est qu'une suite d'exemples de mon incomparable connerie" nous avouera même Franck. C'est vous dire que même lui, drogué jusqu'à la moelle, a encore de la lucidité de temps en temps. Mais il aime trop les sensations que les drogues lui procurent.
Mélangeant habilement les moments de 1999 et ceux des années 80, c'est dans un voyage fantastique que vous emmènera la plume de l'auteur, jonglant avec les époques, avec les personnages tous plus défoncés les uns que les autres, déambulant tous dans les tréfonds de la société, ayant perdu jusqu'à la moindre parcelle de pudeur ou de raison.
"Elle [la came] nous a obligé à faire des horreurs pour pouvoir profiter d'elle et en tirer du plaisir. Elle a fait de nous des parias. Des malades asociaux et violents. Elle a fait de Carole une pute. Sa putain exclusive".
Le ton du texte est juste aussi… Franck a beau être camé jusqu'au sourcils, il reste logique dans ses pensées. Il ne se trouve pas d'excuses, mais il sait le prix qu'il devra payer pour ce qu'il a fait circuler dans son corps.
Quant au final, s'il ne vous arrache pas une larme, je n'y comprends rien. Là, j'ai eu mal. Une douleur sans non quand j'ai compris en même temps que Franck que…
Un texte fort qui se dévore d'une traite – comme d'autre snifferont d'une traite leurs rails de coke – ne vous laissant pour séquelles que le souvenir de toutes ces ombres que vous aurez croisé dans ses pages. Ombres, qui, comme la Blanche, vous laisseront un grand vide lorsque vous refermerez ce livre et vous hanteront comme la fugueuse de "L'herbe bleue" me hante encore.
"
La faux soyeuse" porte bien son nom. le jeu de mot est habile, subtil, magnifique et aura le mérite de mettre en garde les imbéciles crâneurs contre cette fossoyeuse !
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