Avec 404 pages au compteur, j'aurais aimé que ce livre me fasse le coup du « not found » (toudoum-tchhhh) quand je l'ai zieuté sur le net – dieux merci, c'était en occasion et pas en neuf, au moins j'ai pas payé plein pot. Je ne vais pas y aller par quatre chemins, la couleur est annoncée : cette chronique va être aussi délicate à rédiger pour moi qu'à lire pour ceux qui ont été conquis par
Cendres (une véritable petite légion de lecteurs, si on en croit les plateformes littéraires en ligne). Parce que moi, j'ai complètement loupé mon rendez-vous avec
Cendres ; j'ai pesté et soupiré pendant quatre cents pages – un vrai spectacle pour monsieur Choupaille qui en coulisses n'en perdait pas une miette. La chronique ne s'annonce donc pas réjouissante, voilà, vous êtes prévenus - et c'est le moment de partir si vous êtes du clan des rageux. Pour autant, j'estime que vu la horde de lecteurs convaincus mon petit avis fera autant de vagues qu'un caillou jeté dans une grosse flaque ; à la différence que moi, j'aurais sans doute aimé tomber sur ce caillou avant de miser mon argent sur le mauvais cheval (surtout quand celui-là a été candidat au PLIB2020). Alors je pense aux gens pour qui tout ça sera peut-être utile, et je me lance ! Même pas peur, je m'immerge à nouveau le temps de vous expliquer pourquoi
Cendres a été l'une de mes pires lectures depuis un bon moment.
Nathaniel, Luna et Agathe habitent à Londres en cette année 1888. Frère et soeur d'adoption par la force des choses, Nathaniel et Luna luttent jour et nuit pour trouver de quoi gagner leur croûte. Lui allume les réverbères de nuit, elle vit des rapines qu'elle exécute avec culot, mais la paie leur permet à peine d'assurer le loyer de leur cabane en tôle miteuse et de manger – jamais à leur faim. Et quand il dort le jour pour récupérer de ses nuits interminables, Nathaniel cauchemarde d'ombres, de femmes et de sang. A l'autre bout de la ville, Agathe peine à trouver le sommeil. Elle s'inquiète pour sa mère malade et quitte bientôt le domicile familial afin de rejoindre le manoir Hentwooth, où elle est embauchée comme domestique. Mais l'annonce du journal n'est qu'une couverture pour un poste plus prisé auquel Agathe est rapidement promue : celui de parurière, sous la houlette d'Archibald Hentwooth. Hélas la première réception d'Agathe est un désastre : le diamant qu'elle porte s'envole et une certaine Luna disparaît avec lui ... tout comme une demi-douzaine de jeunes filles avant elle. Effondré, Nathaniel entreprend de mener l'enquête, accompagné d'une Agathe prête à tout pour ne pas perdre sa place. Quelles vérités se cachent derrière le smog londonien ?
On dit souvent qu'il ne faut pas juger un livre à sa couverture. La plupart du temps, on se figure un livre à la couverture bien kitsch caca d'oie et fushia auquel on regrette rapidement de pas avoir donné sa chance avant, parce qu'au fond, il est géant. Avec
Cendres, ç'a été l'inverse. Pour une maison d'édition dont je ne connaissais rien, Snag a fait un super boulot sur le visuel roman : la mise en page est aérée, la jaquette offre de belles surprises qui vous plongent dans un vieux Londres saturé d'émanations charbonneuses ... et surtout, elle a pu offrir à
Cendres le grand
Aurélien Police pour une couverture aux petits oignons. Bref, en main, le livre en claque et donne envie de s'y jeter malgré une troublante ressemblance avec un autre roman également illustré par Police :
Rouille de
Floriane Soulas. Qu'à cela ne tienne, si ce n'est qu'une affaire de couverture, pas de souci me direz-vous. Sauf que non, mais ça on y reviendra un poil plus tard. R.A.S. pour l'esthétique, donc, mais pour ce qui est du contenu les choses ont été beaucoup moins faciles.
Couverture et mise en page plutôt canon, ambiance steampunk visuellement assurée, smog infâme et automates en perspective, okay. J'achète. Je lis. Je déchante - et j'ai pas dû attendre bien longtemps. Rien qu'à l'écriture, ç'a d'emblée été compliqué pour me mettre dans le bain. Malgré la construction hyper simple des phrases (et ça j'ai absolument rien contre, je suis pas une nazie de la littérature, hein), les tournures sont bancales. Les mots sont mal choisis, les comparaisons tombent à plat et les dialogues manquent cruellement de punch. Côté descriptif les rares expressions qui marchent – le coeur qui cogne contre les côtes, notamment, même si ça n'a rien de très original - sont employées et ré-employées jusqu'à saturation. Il y a la promesse d'un univers steampunk finalement très peu développé, et c'est pas tant un souci de volonté que de moyens : malgré toute la bonne volonté qu'elle y met, je n'ai pas trouvé chez
Johanna Marines la plume suffisamment solide pour exploiter et donner sur papier le rendu que son univers méritait. On parle d'automates, de haute-société friquée, de petits gens crasseux au fin fond de la ville et même d'un tueur zinzin vers White Chapel, mais rien n'y fait : le texte manque de sel, de tripes et de maîtrise.
Pourtant si l'écriture était déjà pas jojo, c'est question intrigue que ça a été le plus galère. A côté de
Cendres, les séries B peuvent passer pour des lauréats du festival de Cannes haut la main. Je suis navrée de le formuler comme ça, mais mis à part l'idée d'un smog mortel qui s'abat régulièrement sur la ville façon coulées pyroclastiques à Pompéi (et qui donne un sacré coup de fouet très bien pensé au bouquin), il n'y a pas grand chose à sauver dans
Cendres. D'une part parce que tout est cousu d'un fil plus blanc que Dash, et d'autre part parce que les rares éléments qui ne le sont pas ont été trop largement pompés à
Rouille pour me surprendre. Il y a deux types de faits dans
Cendres : ceux qui s'enchaînent de façon tellement improbable et malvenue que les habitués des tableaux construits au millimètre s'en prennent plein les dents (et là c'est pas l'envie qui manque de vous donner des exemples, mais le spoil c'est pas le genre de la maison) ; et puis ceux qu'on classe généralement dans les pires stéréotypes de l'histoire de la littérature et du cinéma réunis - et qu'on croise à tout bout de champ du roman. Et juste pour que ce soit clair : si quand on parle des Annales du Disque-Monde « improbable » est un compliment, nope, ça ne veut pas dire que ça s'applique nécessairement à
Cendres.
Bien sûr, il y a aussi tout ce que
Cendres a recyclé de
Rouille. Pour la couverture, disons que c'est normal :
Aurélien Police a été réquisitionné pour les deux. Mais pour ce qui est du titre, de la capitale européenne crasseuse, des disparitions de jolies jeunes filles, de la nouvelle drogue qui circule sous le manteau, de l'ambiance générale et - last but not least - de la chute bien glauque du roman pas loin d'être identique, vraiment pas loin... c'en est à se demander comment Snag a eu l'audace de publier ce doppelgänger littéraire sans s'attendre à un retour de flammes. Chacun vit ses lectures à sa façon, mais à la place de
Floriane Soulas, je l'aurais mauvaise qu'on surfe ainsi sur la vague de mon roman en exécutant la même suite de figures à quelques dizaines de mois d'intervalle - « Surfin' U.S.A » en fond et rien à fiche.
Pour boucler la boucle, j'ai plus qu'à vous toucher deux-trois mots concernant les protagonistes – navrée encore, mais je n'ai pas trouvé de quoi m'attarder des masses ici non plus. On ne peut pas dire qu'il aient été mal pensés : on sent que
Johanna Marines a essayé d'instaurer à chacun un côté écorché-vif que compensent des moments de bonté et de fraternité avec un gros manque de naturel. Ça se veut nuancé, mais l'effet est raté. Tout a sonné faux à mes oreilles, et probablement à cause de la plume peu convaincante et très brouillonne de l'autrice (on y revient toujours, mais sans surprise c'est là d'après moi le noeud du problème). J'ai senti qu'on tentait par tous les moyens de me soutirer larmes et compassion démesurées envers Nathaniel, Luna et Agathe, dont l'image de bisounours malmenés par la vie si dure et si vilaine avec eux a pas manqué de tuer chez moi toute empathie. Et a propos du grand méchant « méchant parce qu'il est méchant et pi voilà » qu'on travaille pas plus que ça, vaut mieux pas que je m'étale.
La conclusion de tout ça, c'est qu'on me reprendra définitivement moins à juger un livre par sa couverture, qu'elle soit signée
Aurélien Police ou pas.
Cendres, c'est un peu le genre de roman qui me fait regretter ma résolution de lire à l'instinct sans un coup d'oeil attentif pour le résumé ou les avis – quand bien même dans ce dernier cas les retours pratiquement unanimes m'auraient pas aidée. Mais le comble du regret, c'est de voir qu'à défaut d'assumer ses lacunes, on a collé sur certains sites l'étiquette « jeunesse » à
Cendres, comme pour en justifier les faiblesses – je vous raconte pas comme c'est dénigrant pour la littérature jeunesse, mais passons. L'expérience m'aura appris à me méfier des apparences, et une petite piqûre de rappel de temps à autres, ça fait pas de mal ... juste un peu au porte-feuille.
Lien :
https://la-choupaille-lit.bl..