Atteint par la tuberculose et cloué dans son lit depuis sept ans, le poète
Shiki Masaoka entreprend de raconter ses humeurs quotidiennes pour le journal japonais Nihon (qui les publiera chaque jour). Ainsi, ce sont 127 billets qui seront livrés au grand quotidien avant que l'auteur
Shiki Masaoka ne décède en septembre 1902 à l'âge de 34 ans. Au final, l'ensemble des textes forme une sorte de journal intime…
Les 127 billets rédigés par le poète japonais peuvent être rangés dans deux catégories bien distinctes. Ainsi, il y a les textes dans lesquels
Shiki Masaoka parle de sa maladie et de son quotidien en tant que malade. Enfin, les autres récits sont essentiellement des réflexions sur la peinture, le théâtre, la poésie, mais aussi parfois sur la société, la politique…
Les passages dans lesquels le poète japonais parle de sa maladie sont singuliers. Effectivement, ces derniers sont empreints de mélancolie, mais en même temps l'auteur décrit de manière mécanique les problèmes liés à sa maladie, comme si elle ne le concernait pas. Aussi, le poète japonais explique sans ambages comment parfois il doit patienter des heures avant qu'on ne vienne l'aider, car il n'a pas les moyens de payer une aide ménagère afin de suppléer sa femme. Toujours est-il que dès les premiers paragraphes j'ai ressenti la solitude de l'homme derrière sa plume et après quelques dizaines de pages, l'auteur lui-même aborde la question… Certes, des amis parfois passent le voir, mais ces moments sont si courts alors que les journées sont si longues. Certains passages sont tristes et l'on ressentirait presque la douleur du poète. Cependant, jamais
Shiki Masaoka ne pleurera sur son sort et jamais il n'ira utiliser son talent de conteur pour tirer des larmes à ses lecteurs. L'homme est résigné et parfaitement conscient du court chemin qui lui reste à parcourir… Aussi, on ressent parfois une pointe d'agacement et de lassitude dans les mots de l'auteur, mais c'en est presque imperceptible, comme un son que seule une oreille absolue peut entendre. de plus, le poète ne montre pas de colère, non, juste de la résignation. Et il faut distinguer cette dernière de l'abandon. Effectivement, sans victoire possible l'abandon n'existe pas et pour
Shiki Masaoka tout est joué depuis longtemps.
« À l'époque où j'étais étendu sur mon lit de malade, mais où je pouvais encore bouger, je n'ai jamais trouvé la maladie amère et je restais paisiblement couché, mais maintenant que j'ai perdu la liberté de me mouvoir, les douleurs spirituelles ont surgi et j'endure chaque jour ou presque des souffrances insensées. Pour y échapper, j'imagine divers subterfuges et je tente en vain de déplacer tant bien que mal ce corps impotent. Je ne fais qu'augmenter mes tourments. Mon cerveau s'en trouve tout embrouillé. Quand cela devient insupportable, les liens du sac cèdent sous la pression, et finalement tout explose. Alors rien ne va plus. Ce sont des hurlements. Des sanglots. Et encore plus de hurlements. Et encore plus de sanglots. Ces souffrances, ces douleurs, j'échoue à les qualifier. Je me dis que ce serait un réconfort de devenir véritablement fou, mais c'est également impossible. Si je pouvais mourir… C'est ce à quoi j'aspire le plus ; mais cela m'est impossible, tout autant que de trouver quelqu'un qui aurait la bonté de bien vouloir mettre fin à mes jours. »
Quand le poète n'aborde pas la question de sa maladie, il rédige des critiques sur des peintures japonaises que je ne connaissais malheureusement pas pour la plupart. Ces parties du livre sont plus difficiles à aborder, mais elles sont aussi très intéressantes pour ceux et celles qui s'intéressent au Japon et à sa culture. L'auteur parle aussi du théâtre japonais et des haïkus. D'ailleurs, le livre est rempli de haïkus, il y en a presque à chaque billet. Il faut savoir que
Shiki Masaoka est celui qui a révolutionné ce genre poétique en lui donnant sa forme moderne. Pour l'occasion, j'en ai rédigé un que voici :
Japon un été
Brule feu endiablé
Puanteur de mort
Ainsi, bien que le style d'écriture soit différent, les billets dans lesquels le poète japonais traite des différentes formes artistiques me font penser au livre « À rebours » de
Joris-Karl Huysmans.
«
Un lit de malade six pieds de long » est un livre aux multiples thèmes : la maladie, la mort, l'euthanasie, la vie, la beauté, l'art… Il s'agit d'un livre parfois difficile, mais beau et poétique. «
On achève bien les chevaux », disait en son temps
Horace McCoy.
Shiki Masaoka, lui, patientera plus de sept ans dans d'horribles souffrances.
Qui aime les haïkus ? Qui aime les livres qui parlent d'art ? Qui aiment les histoires tristes et douloureuses ? Que pensez-vous de mon petit haïku ?
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