Masaoka Shiki est l'un des quatre maîtres classiques usuellement reconnus ayant donné ses lettres de noblesse au haiku. A la fin du 19ème siècle, son influence est immense pour moderniser cet art, alors encore sous le souvenir tutélaire des
Bashô puis Buson et Issa. Il s'implique dans cette mission non seulement en produisant sans relâche (il en aurait écrit près de 25 000 !), mais aussi en créant une revue spécialisée qui fera autorité. Etant tombé malade très tôt, son combat jusqu'au-boutiste pour poursuivre son travail et réformer d'autres pans de la poésie japonaise comme le waka, en quasi essayiste (voir Un lit de malade de six pieds de long, paru aux Belles Lettres), malgré la souffrance dont il se plaint très peu, en font une figure littéraire et humaine marquante, célébrée par son ami Sôseki.
Les éditions Verdier donnent à lire un bel échantillon de
cent sept haiku de Shiki. Ces haiku sont pour beaucoup un plaisir de lecture, même si ce qu'ils gagnent, heureusement, en modernité, ils le perdent peut-être un peu en tendresse, en nostalgie (ce qui me fait lui préférer justement Sôseki). L'énorme point fort de cette édition, est qu'elle présente chacun de ces haiku sous trois formes : caractères japonais, traduction en rômaji (la transcription du japonais en caractères romains), et en Français. Pour moi c'est essentiel, car cela permet de percevoir les sonorités originelles dans cette belle langue japonaise, et d'apprendre des mots. C'est pourquoi je préfère cette publication à celle des éditions Moundarren (Le mangeur de kakis qui aime les haïku), qui bien qu'ayant l'avantage d'expliquer l'oeuvre, fait l'impasse sur le rômaji. du reste, j'ai tenu, comme personne ne l'a fait à ma grande surprise, à citer aussi le rômaji pour chacun des haiku cités ici. le japonais n'étant guère difficile à prononcer, avec son goût pour les voyelles, un peu à l'italienne, cela m'a semblé potentiellement intéressant même pour les non-initiés à cette langue.
Chez Verdier, c'est un peu aride, les haiku sont livrés bruts, sans la moindre explication de texte. Pas d'intro, pas de commentaires, on pourra le regretter, et pourtant quelqu'un a dit que le haiku ne s'explique pas, ne s'analyse pas, c'est un ressenti de l'instant, un éclair de l'esprit. Donc, le lecteur est libre devant la page, débarrassé des scories, et parfois de la tentation futile du commentaire incessant. le déroulé avance cependant très classiquement dans le cadre de l'almanach des saisons, les quatre saisons s'offrent successivement à nous, avec leurs mots de saison que sont les fleurs de cerisiers, les kakis, les temples, l'eau pure…
Un recueil de lecture très agréable, en compagnie d'un des grands maîtres du genre.