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Samuel Dégardin (Autre)Martin de Halleux (Autre)Frans Masereel (Autre)Jacques Tardi (Autre)
EAN : 9782490393138
221 pages
Martin de Halleux (08/10/2020)
4.62/5   4 notes
Résumé :
« Prenez cette oeuvre à la fois neuve et ancienne, recherchée et libre, consciente de la tradition et ancrée dans le présent, l'oeuvre de ces mains diligentes, ce film magistral d'une vie d'artiste ! Suivez le héros et mêlez-vous au monde multiple et étrange des hommes, étonnez-vous, riez, et laissez-vous emporter ! » Extrait de Thomas Mann, Frans Masereel, 1927, publié en préface de cette édition.
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Ils ne le dompteront pas.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, présentant la particularité d'être narrée sans texte, ni mot. Sa première édition date de 1919. Il a été réalisé par Frans Masereel, pour le scénario et les dessins, par le procédé de gravure sur bois. Il s'ouvre avec une préface de deux pages, écrite par Jacques Tardi, accompagnée par une illustration pleine page de sa main. Il se termine avec une postface rédigée par Samuel Degardin, intitulée Portrait de l'artiste et son double, un article d'une page de Martin de Halleux (De l'encre de Chine au bois gravé), un autre sur les détails (un oeil au centre d'un triangle), un dossier photographique de seize pages sur l'auteur, une biographie chronologique de quatre pages. Il s'agit du deuxième roman graphique, à raison d'une case par page, sans texte, de cet auteur, après 25 images de la passion d'un homme (1918).

Le train arrive en gare et l'homme agite le bras par la fenêtre, alors que s'échappe quelques petits nuages de vapeur. le train est arrivé en gare, les voyageurs descendent, certains se précipitent dans les bras de membres de leur famille pour des retrouvailles. L'homme descend tranquillement, le dernier à sortir de son wagon. En remontant le quai, il prend le temps de s'arrêter pour examiner une des grandes roues de la locomotive à moitié cachée par un jet de vapeur. À la sortie de la gare, il se retrouve au milieu de la foule, des hommes portant tous un chapeau, alors que lui se trouve nue tête, des hommes marchant rapidement, alors que lui se tient immobile en train d'observer. Il traverse la rue et il se retrouve au milieu de la chaussée, alors que les automobiles passent de chaque côté. À nouveau il se tient immobile en observant. Il continue sa déambulation et il se retrouve dans un autre quartier : plus de femmes, toutes portant un couvre-chef, et quelques hommes eux aussi en chapeau. Il continue encore et se retrouve à l'arrière d'un petit groupe en train d'écouter un homme qui fait un discours en pointant du doigt.

L'homme continue à marcher et il se retrouve à longer une parcelle dans laquelle s'active les ouvriers sur un gros chantier, avec des grues et des échafaudages, un moteur à vapeur actionnant une machine-outil. Un peu plus loin, le calme est revenu : l'homme longe un long mur de clôture aveugle, derrière lequel se trouve des pavillons, et un peu derrière une grande cheminée d'usine. Cette fois-ci, il s'arrête devant des grandes roues mues par un moteur, avec des courroies les reliant entre elles : il semble s'interroger sur leur fonction. Il décide de parcourir la rue suivante en courant, à nouveau un mur aveugle derrière lequel se trouve une grande halle abritant une usine. Il passe maintenant devant les guichets d'une banque et il touche le bras d'un pickpocket en train de subtiliser le portefeuille d'un homme réalisant un paiement au guichet.

S'il a déjà lu 25 images de la passion d'un homme, le lecteur sait à quoi s'attendre, sinon il découvre une oeuvre au format original. le créateur réalise des dessins sur des blocs de bois, par xylographie, et l'ouvrage présente une image par page, sans aucun mot. La lecture s'avère rapide et facile : des dessins assimilables et compréhensibles au premier coup d'oeil dans un noir & blanc très contrasté, autant de situations différentes avec un passage du temps fluctuant entre deux cases, soit un bref instant, soit plusieurs jours, semaines ou mois. Les dessins présentent de grosses masses noires, des traits de contours épais, une description simplifiée avec un bon niveau de détails. le personnage principal est un homme qui n'est jamais nommé et qui est présent dans chacune des images. Cet homme est aisément repérable dans chaque case, soit parce qu'il est tout seul ou seulement avec une autre personne, mais également du fait de sa grande taille, de sa silhouette élancée, ou par de l'absence de port de chapeau, à de rares occasions par la continuité de son activité d'une page à l'autre. Comparé à 25 images de la passion d'un homme, il s'agit à la fois d'une fresque de plus grande ampleur emmenant le personnage dans d'autres pays, à la fois un peu plus réduite puisque le récit commence avec l'arrivée de l'homme dans la grande ville, et pas à partir de sa conception et de sa naissance.

La narration présente une forme très particulière : un dessin par page, aucun mot, du noir & blanc. La suite d'images forme bien une histoire, avec une intrigue (cette phase de la vie du personnage principal), une chronologie linéaire, et des liens de cause à effet ou de succession temporelle évidents. La qualité de la reprographie impressionne par sa netteté. Les aplats de noirs et les traits de contour forment des masses épaisses, aux bords parfois irréguliers, parfois bien nets et droits quand il s'agit de structures métalliques. Dans son introduction, Jacques Tardi met en avant les caractéristiques suivantes : Masereel met en scène, en utilisant toutes les ressources et les codes visuels nécessaires à l'évocation expressionniste de la ville bruyante, des quartiers ouvriers, des intérieurs divers, de la foule de la rue, et aussi les tourments intimes du personnage qu'il incarne. Il court, se moque, s'épuise, rit et pleure. Désespoir et colère s'expriment tour à tour. Partir à la campagne, faire du patin à glace, aller au théâtre, acheter un chou-fleur sur le marché et le faire cuire dans cuisine, boire, jouer de l'accordéon, danser, grimper au sommet du mât de cocagne, labourer un champ, participer à une réunion syndicale, s'informer s'instruire de la réalité sociale, des luttes ouvrières, ne pas être dupe, partager avec ses semblables… désillusion amoureuse, une autre femme, et la mort au bout de cette nouvelle aventure. Oublier, voyager, rentrer, boire, refuser de porter les armes, refuser la médaille, montrer son cul à un ecclésiastique et mourir au milieu des tournesols, le coeur brisé, la tête dans les étoiles !

Le lecteur n'apprendra rien du passé du personnage qu'il est tenté de prénommer Frans, supposant qu'il exprime la vision du monde que l'auteur peut avoir. Il arrive en ville et se montre curieux de chaque situation qu'il peut observer, rue par rue, quartier par quartier. Il participe à la vie sociale, aussi bien par le travail que par les moments de détente, de divertissement, d'activités en commun. Il finit par éprouver le besoin de prendre du recul, littéralement de prendre le large pour aller voir du pays, d'autres pays, de la page 110 à la page 135. Puis il revient dans cette mégapole qui n'est pas nommée. Il raconte à d'autres habitants les merveilles qu'il a vues, les amitiés qu'il a nouées. le lecteur retrouve tous les éléments disparates énumérés par Tardi dans son introduction, dans le déroulement linéaire de la vie de Frans. de fait, l'artiste épate le lecteur encore et encore par l'expressivité de ses illustrations, par sa capacité à choisir des moments édifiants et parlants, par son art de faire partager la palette des émotions et des états d'esprit de Frans. Son assurance et sa confiance en tant qu'étranger curieux de tout dans une étrange ville. En tant qu'être humain faisant la démarche de se cultiver : lire le journal, se rendre dans les musées pour admirer les oeuvres d'art, se plonger dans des livres. Aider son prochain, soit un homme qui pousse une charrette chargée, soit jouer innocemment avec des enfants. Participer à une fête. Éprouver l'amour. Etc. Son empathie lui fait ressentir la souffrance de la condition ouvrière et il n'hésite pas à lutter avec eux contre un système les exploitant, dans des pages rappelant un passage similaire de 25 images de la passion d'un homme. le lecteur ne s'attendait pas à ce que de simples images puissent rendre compte avec une telle sensibilité du ressenti intérieur d'un être humain, ou de situations sociales complexes avec une telle clarté. L'intention de l'auteur semble avoir traversé intacte les décennies séparant sa création du lecteur.

La forme de la narration visuelle produit d'étranges effets sur le mode de lecture. D'un côté, il s'agit bien évidemment d'une suite d'images, chacune isolée sur une page. du coup, le lecteur les considère une à une, chacune prise pour elle-même. Il accorde plus d'attention que d'habitude à chaque dessin, que s'il s'agissait d'une bande dessinée classique. Dans la première, il s'amuse du mode de représentation de la vapeur du train : des gros arcs de cercle, délimitant une surface bien blanche, plus importante que les autres surfaces laissées en blanc dans cette image. Il se dit également que le bras de Frans est un peu plus long qu'il ne le devrait, accentuant légèrement une forme de naïveté, le rendant touchant et drôle. En page quarante-neuf, il voit Frans (toujours avec des bras longs) aider une femme avec des béquilles, à traverser une rue pavée. le rendu de ceux-ci se situe entre une description soignée rendant compte de l'irrégularité du pavage, mais aussi d'abstraction avec leur forme rectangulaire un peu trop géométrique. La silhouette de l'homme et celle de la femme évoquent la gravure sur bois, c'est-à-dire la technique utilisée par l'artiste. Les deux silhouettes en arrière-plan relèvent plus des ombres chinoises, une autre technique de représentation. L'arrière de la cariole s'apparente à un grand rectangle noir, alors que chacun des treize rayons de la roue est silhouetté par une bande laissée blanche, se détachant ainsi clairement. En page cent-treize, Frans, debout sur un rocher, contemple un coucher de soleil : les traits noirs tirent vers une représentation conceptuelle des reflets sur l'océan, des rayons du soleil, Frans n'étant qu'une vague ombre chinoise. Page cent-quarante-six, Frans conduit une automobile à tombeau ouvert dans une représentation naïve. La dernière séquence dans la forêt évoque l'art naïf. Alors que les images en noir & blanc peuvent sembler austères et faire craindre une forme de monotonie, il suffit que le lecteur s'y attarde un instant pour se rendre compte de leur diversité, de leur richesse, de leur conception soignée et réfléchie.

Qu'il ait déjà lu un autre ouvrage de Frans Masereel ou non, le lecteur n'a pas idée de la richesse du récit dans lequel il plonge. La narration visuelle s'avère sophistiquée sur le plan graphique, très empathique, et capable de rendre compte de situations complexes et délicates en une unique image, toujours aussi parlante après toutes ces décennies passées. le parcours de vie du personnage révèle son humanité et son humanise, son refus des compromissions de ses idéaux, sa soif de fraternité et d'entraide. Poignant.
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Livre reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.

C'est d'abord une foule : des hommes, des femmes, des voitures. Un personnage, seul, pénètre dans la ville moderne : son train à vapeur, ses chantiers, ses rues pleines, ses usines. Il déambule, lit le journal dans la rue, traîne dans les cabarets et les expositions de peinture. II est seul mais point isolé : le voilà dans la chambre d'une femme, ou là en compagnie d'enfants avec lesquels il joue. du haut de sa grande silhouette longiligne, le personnage parcourt un monde bien défini : urbain, industrieux, où le loisir existe malgré tout (le théâtre, le patin à glace, les combats de boxe ...). Il nous semble être un homme simple, qui aime les choses comme lui : les balades en forêts, les danses festives, les jeux et concours de foire.

Dans la première partie, le personnage mène la vie moderne d'un Européen. Tantôt observateur à distance de la société, tantôt vrai acteur de celle-ci, c'est pourtant un drame personnel qui le touche : la perte d'un amour, malgré les bons soins et les prières. Il quitte la ville, voyage, se confronte à la nature, finit par embarquer sur un navire en partance vers l'Afrique. C'est tout le décor qui change : point d'usines fumantes, plus de masses industrieuses et revendicatives. de retour dans la ville, il est plus entreprenant auprès de la gent féminine et moins soucieux des réactions d'autrui. Il devient même inconvenant, dérangeant pour sa société d'origine : invitant les pauvres aux tables des banquets, refusant la guerre, riant de la religion. Paradoxalement, on le trouve plus humain, plus impliqué dans la vie de la communauté car, s'il en refuse les codes et les tabous, il éprouve un intérêt vrai pour ses congénères. Il demeure pourtant seul, face à la nature et face à ses rêves, face à ses démons aussi. Homme il est, seul mais libre : en peignant un autre soi-même, Frans Masereel trace aussi les contours d'une certaine condition humaine.

Comme l'écrit Jacques Tardi dans la préface, Mon livre d'heures est certes muet mais pas sans bruit. Résonnent, au fil des pages, le souffle du train et le claquement des coups que se portent les boxeurs, les sonorités de l'accordéon et les respirations haletantes des amants. Viendront d'autres sons, et des odeurs aussi : celle du chou qui cuit, celle des chevaux laborieux, celle de la terre fraîche que l'on travaille. le livre que l'on tient est aussi le fruit d'un labeur qu'on n'imagine pas. Masereel a dessiné puis gravé ses planches de manière à ce que, en tous points, Mon livre d'heures est aussi un vrai livre artisanal. Gageons que les éditions Martin de Halleux, par leur honnêteté et leur travail, lui font honneur.

Sans doute faut-il, pour comprendre l'importance d'une telle oeuvre, la contextualiser quelque peu. D'abord, en tant qu'oeuvre graphique, Mon livre d'heures, comme les autres oeuvres de Frans Masereel, est ce que l'on appellerait aujourd'hui un roman graphique. Un roman graphique, muet certes, comme il en existe aujourd'hui, et de très bons : on pense à Pinocchio de Winschluss, à Babylone de Zezelj. Masereel, ici, pourrait être vu comme une référence à ces oeuvres, une sorte d'aïeul littéraire. La forme est intéressante, aussi : se succèdent 167 dessins en 167 planches, narratifs en eux-mêmes, liés entre eux par le personnage qu'ils mettent en scène ; avec ce titre, Mon livre d'heures, Frans Masereel renvoie clairement à la tradition littéraire chrétienne de ces livres de prière illustrés et se place lui-même, en tant qu'auteur, dans la dynamique d'une histoire littéraire et picturale. Masereel, pourrait-on dire, est le chaînon entre les illustrations liturgiques du Moyen Âge et les romans graphiques de notre période contemporaine. Ses planches sont parlantes pour elles-mêmes, on l'a dit, mais certaines font sens aussi en se succédant les unes aux autres (l'histoire de la jeune fille qu'il recueille et qu'il accompagnera jusqu'à la mort). de ce point de vue, Mon livre d'heures est et n'est pas de la bande-dessinée. Libre est le lecteur qui fait de cet ouvrage ce qu'il veut.

Mais, à la différence des scribes médiévaux, Masereel s'affirme comme auteur. On pourrait même dire qu'il se met en scène, et cela dès la couverture. En s'appropriant le livre - par l'utilisation du pronom possessif mon -, Frans Masereel annonce au lecteur que le personnage dessiné tient sans doute de lui-même. La citation de Whitman ne fait que le confirmer : ce que Masereel nous contera, ici, il le puisera en lui-même. Sa matière, c'est dans sa vie qu'il la trouve, et aussi dans le monde qui l'entoure. La ville que dessine Masereel rappelle celle que décrit Verhaeren dans Les campagnes hallucinées et La ville tentaculaire : endroits immenses où règnent les usines du nouveau monde industriel. Mais là où Verhaeren donnait à sa ville des accents collectifs et inquiétants, Masereel la regarde du point de vue de l'homme, et les drames qui s'y vivent sont ceux que réserve la vie ordinaire. A nous, lecteurs du vingt-et-unième siècle, Masereel laisse une oeuvre hybride, une source de découverte au sens premier du terme : lire - ou regarder - Mon livre d'heures, c'est aussi inventer sa propre histoire.
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En plus de la joie qu'ils vous apportent, certains livres ont le pouvoir de vous émouvoir. Il en fût ainsi pour moi avec ce "livre d'heures" de Frans Masereel, composé de 165 gravures nous contant la vie de l'alter ego de l'auteur. Un ouvrage d'abord paru en 1919, dont j'ai entendu parler il y a un peu plus de 10 ans, et superbement réédité en 2020 par les éditions Martin de Halleux sous reliure toilée et beau papier bien épais.

165 gravures donc, ici introduites dans une préface signée Tardi dont le seul défaut serait sa brièveté. 165 bois pour raconter la vie d'un homme, sa liberté, ses aventures et mésaventures, ses engagements politiques et amoureux, boire et déboires. Mélange de précision et de simplicité, les traits de ces gravures ont une force d'évocation rare, et m'a rappelé certaines affiches de propagande (tous bords politiques confondus).

Mais c'est sûrement dans cette idée de narration par l'image et uniquement par l'image que Masereel est profondément novateur, puisqu'il invente tout simplement le roman graphique au début du XXe siècle. Un récit muet mais qui ne manque pas de crier, pleurer, rire, hurler et faire ressentir pas mal d'émotions. Difficile d'en dire plus ici, je ne peux que vous conseiller de le lire et de le garder comme le témoignage historique et esthétique précieux qu'il est, bien au chaud dans votre bibliothèque.

Pour terminer, ces quelques mots de Tardi repris en 4e de couverture qui pour moi résument parfaitement le superbe objet : « L'histoire assourdissante, frémissante, émouvante et lumineuse de la vie. »
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critiques presse (1)
Actualitte
21 octobre 2020
Pas un mot, il est vrai, dans ces 167 gravures, mais une force indubitable de communication qui, cent ans après la première publication de Mon livre d'heures, n'a rien perdu de sa lisibilité, de sa force et de son humanité.
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
De l’encre de Chine au bois gravé, par Martin de Halleux – Frans Masereel dessine à l’encre de Chine l’ensemble de Mon livre d’heures, avant de le graver sur bois et les gravures sont particulièrement fidèles aux dessins préparatoires. Frans Masereel travaille sur du poirier très dur et séché pendant plusieurs années. Il se sert de blocs d’une épaisseur d’environ 23 millimètres qui permettent aux gravures d’être tirées aussi bien sur une presse mécanique que sur une presse à bras. Généralement, Masereel grave ses bocs des deux côtés. Dans un premier temps, il noircit entièrement la face à travailler, puis dessine un tracé blanc plus ou moins précis selon la complexité de la composition. Enfin, à l’aide d’un burin, d’une gouge, d’un couteau ou de petits instruments de métal, il commence son travail. Le dessin est l’image inversée de l’imprimé et Masereel vérifie continuellement son travail à l’ide d’un miroir. Il passe ensuite un rouleau encreur qui entre en contact avec la surface initiale du bloc pour y déposer une couche d’encre typographique. L’impression se fait alors sous presse à plat ou au tampon.
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La malice dans les détails… Les gravures de Frans Masereel prête à la déambulation du regard. Les recoins y sont nombreux où nous pouvons nous égarer, et nos yeux s’écarquiller de surprise ou se plisser de délectation, face à la découverte d’un détail malicieux… Parmi ces détails, il y a dans Mon livre d’heures, cet œil au centre d’un triangle que l’on retrouve, minuscule, dans deux scènes de café (en page 66 et 69). Longtemps ce petit élément graphique a attisé ma curiosité, d’autant qu’on le retrouve également dans d’autres gravures comme L’estaminet, publié dans Souvenir de mon pays, où il est agrémenté d’un texte en flamand : Got ziet ons. Hier vloekt men niet (Dieu nous regarde. Ici, on ne jure pas). À vrai dire, je n’ai vraiment compris sa signification que le jour où j’ai eu entre les mains cet objet que dessine régulièrement Masereel : une chromolithographie affichée dans l’ombre d’un bar de Flandre. Masereel a placé dans ses scènes de cafés l’un des éléments de décors les plus récurrents que l’on pouvait trouver au XIXe siècle et au début du XXe dans les estaminets de Belgique mais aussi du nord de la France. Ce détail placé par Masereel prend alors tout son sens et devient essentiel à mes yeux. Dans les deux planches, le personnage boit (beaucoup, quatre verres et un autre arrive sur un plateau !) et danse (avec une femme, très libre pour l’époque) et ceci sans gêne aucune, malgré la réprobation silencieuse de l’œil divin dans son cadre ! avec cet élément, Frans Mazereel fait écho, pour ceux qui peuvent le comprendre, à la phrase qui vient clore son récit : Zy zullen hem niet temmen (ils ne le dompteront pas).
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Introduction de Jacques Tardi – […] Masereel met en scène, en utilisant toutes les ressources et les codes visuels nécessaires à l’évocation expressionniste de la ville bruyante, des quartiers ouvriers, des intérieurs divers, de la foule de la rue, et aussi les tourments intimes du personnage qu’il incarne. Il court, se moque, s’épuise, rit et pleure. Désespoir et colère s’expriment tour à tour. Partir à la campagne, faire du patin à glace, aller au théâtre, acheter un chou-fleur sur le marché et le faire cuire dans cuisine, boire, jouer de l’accordéon, danser, grimper au sommet du mât de cocagne, labourer un champ, participer à une réunion syndicale, s’informer s’instruire de la réalité sociale, des luttes ouvrières, ne pas être dupe, partager avec ses semblables… désillusion amoureuse, une autre femme, et la mort au bout de cette nouvelle aventure. Oublier, voyager, rentrer, boire, refuser de porter les armes, refuser la médaille, montrer son cul à un ecclésiastique et mourir au milieu des tournesols, le cœur brisé, la tête dans les étoiles !
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En 1919, à Genève, Masereel publie Mon livre d’heures, à compte d’auteur. Cette première édition comporte 212 exemplaires. Une souscription et une avance de l’imprimeur sont néanmoins nécessaires pour que le livre paraisse. Cent et un ans après la première édition voici Mon livre d’heures, complété par de rares dessins préparatoires. Un chef d’œuvre du récit en images à glisser dans toutes les bibliothèques, flattées et ravies d’une si belle attention.
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Ce n'est pas un film muet mais l’histoire assourdissante, frémissante, émouvante et lumineuse de la vie, en deux couleurs seulement : le blanc et le noir, sans demi-teintes, taillée dans du bois de poirier, sans « chichis » ni virtuosité inutile, seulement des « aplats » d’une précision sans égale.

L’histoire assourdissante, frémissante, émouvante et lumineuse de la vie par Tardi, p. 6
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