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EAN : 9788820202514
176 pages
Mazzotta (30/11/-1)
4.5/5   3 notes
Résumé :
Vision du monde industriel contemporain et futur dénonçant à sa façon le mode de vie urbain réduisant l'humain. Etonnant roman graphique sans texte aucun.
Pour parvenir à ses fins, Masereel utilise à merveille des impressions à partir de gravure sur bois pour donner à ses graphismes profondeur et couleur.
Son ouvrage, visionnaire par certains côtés, est un véritable manifeste de protestation.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
L'espace d'une journée, Masereel livre une vision cinématique et kaléidoscopique mêlée.
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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, présentant la particularité d'être narrée sans texte, ni mot. Sa première édition date de 1925. Il a été réalisé par Frans Masereel, pour le scénario et les dessins, par un procédé de gravure sur bois. Il s'ouvre avec une préface d'une page, écrite par Charles Berberian, bédéiste. Il se termine avec une postface de sept pages, rédigée par Samuel Dégardin, intitulée La ville mode d'emploi, constituée des paragraphes : Tentaculaire, Une ville peut en cacher une autre, Vingt-quatre heures de la vie d'une ville, Transport critique, Symphonies urbaines. Vient ensuite une biographie chronologique de quatre pages. Il s'agit du cinquième roman graphique, à raison d'une case par page, sans texte, de cet auteur publié par cet éditeur, après 25 images de la passion d'un homme (1918), Mon livre d'heures (1919, 165 bois gravés et 2 frontispices), le soleil (1919, soixante-trois bois), Idée (1920, quatre-vingt-trois bois).

Un homme, assis au sommet d'un talus en pelouse avec des fleurs, contemple la ville qui s'étale devant lui avec ses nombreuses cheminées et leur panache montant juste au-dessus des constructions. Les locomotives à vapeur circulent sur le faisceau de voies ferrées qui alimentent la gare ferroviaire, chacune produisant également leur colonne de fumée. Un train s'arrête en quai dans la gare, des voyageurs en descendent, certains retrouvant des amis ou de la famille, certains avec des valises, d'autres non. Les grandes artères de la ville grouillent de monde : beaucoup d'hommes avec un pardessus et un couvre-chef marchant dans une direction ou une autre, quelques femmes, des voitures à cheval, des voitures et des autobus à moteur, des fenêtres qui ne laissent rien deviner de ce qui se passe derrière. Quelques rues plus loin, la foule s'est arrêtée, les personnes au premier rang contemplent un homme étendu sur la chaussée, inanimé, derrière les immeubles restent impersonnels, une masse compacte sans âme.

En prenant un peu de hauteur, les immeubles semblent former comme une muraille, et la circulation automobile ne laisse que peu de place à l'être humain sur les trottoirs étroits. À un étage élevé dans l'un de ces immeubles, dans une grande pièce avec une hauteur sous-plafond équivalente à deux étages, des dizaines d'hommes sont penchés sur des tables inclinées disposées en rangées, en train de travailler sur des plans. Dans un autre immeuble, il est possible de voir les habitants vaquer à leur occupation : une femme arrosant ses fleurs, à l'étage du dessous un homme accoudé à la rambarde regardant à l'extérieur, encore en dessous une femme enceinte en train de s'habiller, dans les immeubles derrière, une femme à la fenêtre, un couple en train de s'enlacer, des rideaux tirés masquant ce qui se passe, etc. En bas, au niveau de la rue, des ouvriers travaillent sur un chantier de terrassement.

Une suite de cent images, à raison d'une par page, sans aucun mot, une invitation pour le lecteur à établir des liens de cause à effet, des liens logiques, qu'ils découlent d'un thème présent dans deux dessins à suivre, ou d'un rapprochement à partir d'un élément visuel similaire d'une image à l'autre. Par comparaison avec les ouvrages antérieurs de ce créateur, celui-ci ne comporte pas de personnage qui soit présent du début jusqu'à la fin, soit un homme pour sa vie, soit un avatar de l'auteur évoquant son parcours de vie entre récit biographie et autofiction, ou bien encore un soleil symbolique, ou encore une allégorie de l'Idée. le titre s'avère explicite : l'auteur évoque une mégapole. Dans le dossier de fin, Samuel Dégardin exprime sa vision de l'ouvrage : vingt-quatre heures de la vie d'une ville, comme sujet et comme représentation. Il développe : La narration, plus elliptique que jamais, privilégie la multiplicité des points de vue. L'espace d'une journée, Masereel livre une vision cinématique et kaléidoscopique mêlée, ce livre offre une synthèse remarquable de l'oeuvre au noir de son auteur. L'auteur ne raconte pas une histoire avec une intrigue, ni l'évolution d'une ou plusieurs situations sous forme chorale ou à partir d'un lieu unique. Pour autant, chaque image respecte un ordre chronologique, commençant à l'aube pour se terminer après la nuit tombée, après la fête.

Pour le coup, le lecteur se retrouve réellement décontenancé : comment lire un tel ouvrage dont la seule ligne directrice est que chaque scène se déroule une seule et même grande métropole ? Charge à lui de projeter ses interprétations. Rapidement, il devient très tentant de prendre les pages deux par deux, c'est-à-dire de voir une unité entre les deux pages en vis-à-vis. Bois deux & trois : les trains entrent en gare sur la page de gauche, les passagers en sont sortis et se trouvent sur le quai page de droite. Bois quatre & cinq : le flot des usagers se presse sur les trottoirs et celui des véhicules sur les chaussées, en vis-à-vis l'écoulement de ce flot s'interrompt à cause d'un individu étendu sur la chaussée. Bois six & sept : à gauche une vision des façades des grands immeubles, à droite une représentation de ce qui se passe dans l'un d'eux. Etc. Bois soixante-douze & soixante-treize : à gauche un couple de bourgeois avec des vêtements de soirée luxueux traversant la chaussée entre les véhicules pour se rendre au spectacle, à droite un couple dans sa modeste salle à manger, madame attablée, monsieur debout lui tournant le dos, le lien entre les deux images se trouve dans l'opposition née de la comparaison des deux situations. Ce principe d'opposition peut prendre des formes moins évidentes, par exemple bois soixante-dix-huit & soixante-dix-neuf, d'un côté une rue avec un homme esseulé et un autre enlaçant une femme vraisemblablement une prostituée, de l'autre côté un spectacle de trapéziste dans un théâtre, le lecteur se disant que le couple de trapéziste partage une forme de complicité, de chaleur humaine véritable dans la communion du spectacle, de façon publique sous le regard émerveillé des spectateurs, à l'opposé de la relation tarifée sous l'oeil d'un vieil homme indifférent.

Ce principe de lier les deux pages en vis-à-vis fonctionne bien, en revanche il ne s'applique pas entre une page de droite, et la suivante de gauche une fois que le lecteur a tourné ladite page. À part l'écoulement chronologique, le lecteur ne discerne pas ce qui guide l'auteur de deux pages en vis-à-vis aux deux suivantes. Il s'attache alors plutôt à savourer la diversité de ce qui est montré, que ce soient les lieux publics ou les intérieurs privés, les scènes en extérieur ou celles en intérieur, les personnes seules isolées chez elles ou bien solitaires dans l'anonymat de la foule, et celles accompagnées partageant quelque chose avec d'autres. Il se retrouve vite impressionné par la diversité de ce qui est représenté : les usines, les trains, la gare, les différents modes de déplacement, les ouvriers sur le chantier, les employés dans des bureaux, les grands magasins, le grand bureau avec des secrétaires en batterie en train de taper des courriers, un cortège funèbre, une cour d'un quartier populaire, un cheval mort à la tâche sur la voie publique encore attelé, la bourse, une chambre où la famille vient se recueillir devant le lit du mort, un mariage, une péniche sur le fleuve, un amphithéâtre de l'université de médecine, etc. À quelques reprises, il pense déceler une forme de suite : par exemple, l'enterrement (bois trente-trois) qui répond comme un prolongement du cortège funèbre (bois dix-sept).

La technique de réalisation de chaque image sur bois reste identique aux ouvrages précédents : d'abord un dessin sur une feuille, parfois après plusieurs esquisses, la reproduction en image inversée sur un bloc de bois, du poirier dur et séché, puis la reprographie avec des presses mécaniques ou à bras. À nouveau, le lecteur est frappé par la qualité de l'impression de chaque image : des zones noires bien nettes qui ne bavent pas, des détails d'une grande finesse (le bois quarante-sept avec les dizaines de livres dans le bureau d'un érudit). Les blancs impeccables. Chaque image comprend une forte densité d'informations visuelles, avec des compositions remarquables : le magnifique escalier sinueux descendu par un chat dans le bloc quatre-vingt-sept, les scènes de foules, la densité des constructions. le lecteur prend le temps de détailler chaque page, à la fois pour la richesse des informations visuelles, à la fois pour le rendu, descriptif et réaliste, mais aussi avec une élégance dans la composition entre zones noires et zones blanches, et aussi un goût pour la structure géométrique et ordonnée de chaque composition.

Indubitablement, l'auteur a construit son récit pour montrer toute la diversité des activités que peut abriter une ville, soit publiquement, soit dans l'intimité d'un appartement. de fait, le lecteur ne ressent aucune répétition, et dans le même temps il ne se produit pas d'impression de catalogue, grâce à la consistance et les tonalités variées de chaque image. Il se dit que Masereel a construit son récit avec une optique holistique en tête : dresser un panorama complet de la vie d'une ville, en donnant à voir une facette différente dans chaque bois. Bientôt, il ressent que le regard de l'auteur n'est pas neutre. À l'évidence, le regard porté sur les individus comprend une forme d'empathie et un parti pris en faveur des victimes (il y a même un meurtre). le point de vue de l'auteur comprend également une dimension politique et sociale, humaniste. Des images du prolétariat, que ce soient des ouvriers, des secrétaires, des dessinateurs techniques. À l'évidence, les individus disposant d'une once de pouvoir en profitent pour maltraiter leurs subordonnés, les asservir d'une manière ou d'une autre. La parade militaire peut sembler montrée de manière purement factuelle, mais elle apparaît froide et sinistre. Les classes ouvrières vivent dans des conditions matérielles précaires. Les femmes subissent la domination masculine sous forme de violence physique, de prostitution. Une manifestation populaire est réprimée dans la violence policière. Etc. le dossier rédigé par Samuel Dégardin complète cette approche de la domination économique et offre également une mise en perspective par rapport aux arts visuels de l'époque.

Les précédents ouvrages de Frans Masereel impressionnaient déjà par la force des images, leur esthétisme, la qualité de l'expression littéraire de l'auteur, et sa sensibilité sociale. Ce cinquième ouvrage publié par les éditions Martin de Halleux déroute un peu au départ par son absence de personnage humain comme fil conducteur. L'auteur se montre amitieux en racontant la journée d'une grande ville dans toute sa diversité, tant en termes d'animations et d'événements, que d'individus de classes sociales différentes. La narration visuelle s'avère incroyablement plus riche que la collection de cent images, chacune racontant sa propre histoire. Formidable.
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Et tout un monde se lève...

Ce livre est une splendeur. Il fut admiré en son temps par Stefan Zweig, Alfred Döblin, Romain Rolland, George Grosz, Pierre Jean Jouve, Thomas Mann ou Hermann Hesse. Pour ma part, je n'hésiterais pas à en faire le pendant graphique du Ulysse de James Joyce. Et tout un monde se lève...

La suite sur...
Lien : https://lesheuresbreves.com/
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critiques presse (1)
Actualitte
01 avril 2019
Verhaeren n'avait que les mots, pour transcrire la ville contemporaine et l'influence profonde qu'avaient eue la révolution industrielle, l'extension du chemin de fer, la généralisation de l'éclairage public sur la vie des ouvriers et des notables ; Masereel n'a que le noir et le blanc, mais quelle force !
Lire la critique sur le site : Actualitte
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Préface. Tout n’est pas blanc ni tout noir. Et pourtant si, quand on regarde un dessin de Frans Masereel. Et pourtant non, pas tout à fait. Les noirs ne sont pas tous les mêmes, les blancs non plus. Certains sont loin, au fond d’une perspective labyrinthique, d’autres sont au premier plan à deux millimètres de mon regard étonné, ravi, subjugué. Comment fait-il pour détacher ce poteau aussi noir que le ciel sombre qui l’entoure et avec lequel il se confond à certains endroits ? Ce sont deux petits traits blancs sur chacun des flancs du poteau qui font l’affaire. Comment se fait-il que le noir du poteau soit dur, dense, solide, et le noir du ciel, vide, creux, alors que c’est le même noir ? C’est un noir différent. Moins noir ou plus noir, Masereel utilise toutes les valeurs du noir alors que c’est impossible, noir c’est noir normalement. Et c’est pareil avec les blancs. Le chaos des immeubles, la foule qui ondule à ses pieds, un éclair dans le ciel, le dessin de Masereel es une symphonie de blancs et de noirs tous différents qui racontent la violence de cette ville, de notre monde, de nos désirs, ainsi que la fragilité de nos chairs et nos espoirs.
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Tentaculaire. En recourant aux inventions de James Watt (la machine à vapeur), Zénobe Gramme (la dynamo), Thomas Edison (l’ampoule électrique) et Étienne Lenoir (le moteur à explosion), les révolutions industrielles des XIXe et XXe siècles vont faire de la ville l’épicentre de la modernité. La croissance exponentielle des métropoles urbaines n’est donc pas due à la phobie des champs de bataille en rase campagne, mais – entre autres facteurs sociologiques – au développement des transports qui acheminent plus rapidement les masses laborieuses à l’usine. À l’heure de l’organisation scientifique du travail mise en œuvre par l’ingénieur Frederick Winslow et de la standardisation des modes de production par l’industriel Henry Ford, la ville a choisi son camp. Si la croissance de ses murs- horizontale et verticale – favorise une minorité de privilégiés (la classe dominante, bourgeoise), la foule qui s’y presse pour gagner sa vie entérine, par sa servitude volontaire, la lutte des classes. Conquête d’un capitalisme qui met au pas un prolétariat au nom d’un progrès dont elle garde l’usufruit, la ville devient très vite un motif d’étude et d’inspiration pour les écrivains, les philosophes et les artistes. […] Samuel Dégardin
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Transport critique. Sortie simultanément en France aux éditions Albert Morancé et en Allemagne chez Kurt Wolff Verlag à l’automne 1925, La Ville suscite des critiques enthousiastes. La publication reste confidentielle – à peine plus de deux-cent-cinquante exemplaires des deux côtés du Rhin – ce qui n’empêche pas le livre de devenir aussitôt un classique. […] Samuel Dégardin
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Vingt-quatre heures de la vie d’une ville. Sans être tout à fait un roman en images comparable à 25 images de la passion d’un homme (1918) ou Mon livre d’heures (1919), La Ville comme sujet et comme représentation n’est pas davantage une simple suite de cent bois gravés sur le thème de la vie moderne. La narration, plus elliptique que jamais, privilégie la multiplicité des points de vue. L’espace d’une journée, Masereel nous livre une vision cinématique et kaléidoscopique mêlée. Débarrassée du symbolisme d’Histoires sans paroles (1920) et du simultanéise d’Idée (1920), La ville offre une synthèse remarquable de l’œuvre au noir de son auteur. […] Samuel Dégardin
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