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3,97

sur 1248 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
La vengeance est dans le pré.
Huis clos au milieu de nulle part, enfin nulle part pas vraiment car nulle part n'existe pas, nulle part correspond à un ailleurs pour ceux qui y habitent – nulle part est donc un lieu commun pour dire que l'action se situe à la campagne, dans un trou perdu – pas perdu pour tout le monde puisque va s'y dérouler une séquestration plus haletante que ma phrase interminable, mais que voulez-vous j'ai été contaminé par l'écriture pour apnéiste de Laurent Mauvignier qui détaille chaque idée jusqu'à l'atome, disséquant chaque émotion pour ne laisser aucun reste, écrivant au ralenti l'action de l'inaction, chaque seconde dépassant son temps imparti par l'horloge et j'arrête là pour vous laisser reprendre votre souffle.
Une fois habitué aux phrases sans fin, j'ai fini par ne plus me soucier de ce style et je me suis inventé ma propre ponctuation de lecteur au souffle court qui s'endort en regardant le Grand Bleu, pour suivre cette histoire où trois patibulaires s'invitent chez les habitants du morne et paisible lieu-dit des Trois Filles Seules. Au casting des otages, les époux Bergogne, couple mal assorti, mari agriculteur bourru et épouse belle citadine, leur fille Ida, ainsi que leur voisine, une artiste en préretraite culturelle, retirée du monde des vaines mondanités.
Au fil des pages, j'ai compris que la lenteur du récit n'avait pas pour seul but de remplir le cahier des charges souvent élitiste des Editions de Minuit, mais de créer une tension permanente pour rendre palpable la peur et les émotions des protagonistes. le moindre geste subit ici une autopsie. C'est l'inverse d'un scénario et je dois avouer que ce thriller de 640 pages m'a pris aussi en otage. Moi qui goute les phrases chocs, la citation définitive, la rime impitoyable, je me suis laissé séduire par cette prose interminable qui ne semble jamais sure d'elle-même.
Ne dévoilant les mobiles des sales types qu'à dose homéopathique, le lecteur rentre dans la vie et la tête de tous les personnages. On y fréquente des traumatismes, le poids du passé, des frustrations et des complexes, on franchit le péage des non-dits. Nous avons affaire à des taiseux. L'introspection est une religion, les mots ont du mal à sortir mais l'auteur parvient à donner corps à ces êtres de friction..., complexes et torturés, thriller oblige.
Laurent Mauvignier, comme Serge Joncour, dans Nature Humaine, s'intéresse ici aux ruraux, à ceux qui vivent à l'extérieur des rocades et des périphériques. Il nous oblige à mettre le cligno, à sortir de la départementale éclairée aux étoiles, à stationner dans un de ses patelins déserts à la recherche de vrais gens. Il s'emploie à filmer leur solitude, leur rapport parfois douloureux à la modernité.
Si Serge Joncour a fait le choix de raconter 30 ans d'histoire vu de la campagne, Laurent Mauvignier concentre son récit sur une seule journée, avec pour apothéose une soirée d'anniversaire ratée qui vire au grand déballage, à l'expression d'une vengeance préméditée.
L'action est linéaire mais construite comme une course de relais où chaque personnage se passe le témoin pour s'emparer de la narration.
La violence inhérente au genre n'est pas noyée dans le récit. Elle est bien présente, froide et réaliste, ni épicée à la sauce hollywoodienne, ni intellectualisée à outrance. Elle fait office de ponctuation. Point final.


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le pitch complet pourrait se dérouler en une poignée de lignes, le livre quant à lui compte plus de six cents pages. C'est dire combien le rythme des évènements y est lent, très lent, même si le lecteur ne s'endort jamais, bien au contraire, embarqué qu'il est dans un thriller rural sous tension psychologique où tout semble y être disséqué, le long d'un incessant courant de phrases marathoniennes qui délivrent au compte goutte les informations sur les protagonistes, leurs sentiments, leurs émotions, leur passé, leurs intentions, leurs actions, leurs relations, leurs moindres gestes et j'en oublie. Ça se passe au hameau isolé des Trois Filles Seules, où réside néanmoins un héritier mâle, Bergogne le paysan local, qui a rencontré sur le tard Marion la citadine tumultueuse et sexy, au passé incertain. Ils sont mariés, Ida est née, le bonheur est dans le pré pourrait-on croire, si ce n'étaient les problèmes d'un couple bancal, auxquels Bergogne fait front en allant quelquefois aux putes dans la ville voisine pour éponger sa frustration sexuelle. Ajoutez-y une artiste peintre avec son chien en tant que voisine, Christine, véritable Tatie poule pour Ida, quelques vagues menaces sous forme de lettres anonymes et vous tenez les ingrédients principaux avant que tout s'emballe en une journée éreintante dans un huis-clos suffocant. Et au déroulé lent, le lecteur au supplice d'une tension permanente. Diablement pris, ensorcelé, les neurones empêtrées dans les circonvolutions de pensées ou autres louvoiements de réflexions, désirant toujours en savoir un peu plus avant d'aller respirer un bon coup. Laurent Mauvignier n'en finit pas de scanner tout ce qui semble pouvoir l'être et même plus, sa prose intarissable se déploie au diapason d'un laser sensible au moindre fourmillement, il sillonne la plus minime ride et ne s'essouffle jamais, tenant ses personnages comme un marionnettiste virtuose et entortillé dans son entrelacement de fils. Et ça fonctionne plutôt très bien, j'ai eu la sensation de tenir un thriller d'un genre quelque peu expérimental (mais on est chez Minuit quand même), où le plaisir de lecture semble néanmoins intellectuel avant d'être émotionnel.
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Première lecture d'un livre de Laurent Mauvignier et quelle lecture !
D'entrée de jeu, j'ai été fascinée, hypnotisée par cette écriture qui s'enroule dans un labyrinthe sans fond, cette écriture qui est littéralement fondue enchaînée comme une succession de photos qu'on regarderait en diaporama à toute allure.
Laurent Mauvignier fait plus que développer un suspense qu'on pressent déjà morbide, toutes ces phrases nous mènent sur le chemin du drame qui va se jouer dans cet petit hameau où vit une famille et une voisine.
Marion, la maman de la petite Ida lui lit chaque soir une histoire tirée d'un livre intitulé : Histoires de la nuit. Cette nuit opaque, terrifiante qui en fait repose sur sa maman qui a du fuir l'horreur pour sauver son enfant.
L'intrigue dont je ne dirais plus un mot est savamment ficelée avec des clins d'oeil satiriques et salvateurs de l'art de la peinture. Christine, la voisine et amie de la famille, une personne qui s'est marginalisée ne pouvant vivre en ville sa vie d'artiste avec tous les clichés qui vont avec.
Tous les personnages dans ce roman sont attachants y compris " les méchants" dont leur vie a été abîmée très tôt conduisant l'un d'eux à la folie.
Laurent Mauvignier cultive l'art de nous faire rentrer dans les coeurs, dans ces âmes meurtries en disséquant les sentiments, les nobles comme les plus vils.
Un très bon moment de lecture !
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Un huit-clos.
Un huit-clos dans cet endroit si perdu, de « La Bassée », au lieu-dit « les Trois Femmes Seules » - on ne sait pas d'où vient ce nom ancien, mais ici on va comprendre pourquoi ce nom est tout à fait approprié.

Il y a bien trois femmes dans ce huit clos : Christine, femme peintre parisienne venue chercher le calme, Marion, la belle jeune femme, et Ida sa fille de 10 ans. Mais elles ne sont pas seules : Marion est mariée à Patrice, un paysan éleveur de vaches, qui est fou amoureux de sa femme et très attentionné avec leur fille Ida.

Pourtant, lorsque l'histoire commence, Patrice n'est pas si heureux qu'il n'en paraît. Sa femme ne semble pas épanouie dans cette vie de famille, elle ne semble plus si heureuse que ça de vivre avec un paysan, et elle a des problèmes dans son travail à l'imprimerie.
Pourtant, lorsque l'histoire commence – les 634 pages déroulent un récit qui ne va se dérouler que pendant 48 heures, l'heure est aux préparatifs de l'anniversaire de Marion : celle-ci va avoir 40 ans, et Patrice et Ida ont bien l'intention de le lui fêter dignement …

J'avais attendu la période des vacances pour lire ces 635 pages dans un délai resserré. Difficile d'en dire plus sur le scénario, sans « spoiler » l'histoire et briser le suspense qui nous tient en haleine, nous lecteurs, pendant toute la durée du récit.

Que sait-on du passé de ceux avec qui l'on vit ? Qui est cet autre que l'on croit connaître et qu'on ne reconnaît pas ? Laurent Mauvignier observe ses personnages comme sous une loupe : les émotions y sont étirées comme si on regardait un film au grand ralenti – jusqu'à la succession de drames, puisque l'auteur ne nous épargne pas la violence sous-jacente

Ce thriller psychologique est fait pour les gens qui aiment la littérature. Ils y retrouveront le style de Mauvignier (déjà perceptible dans « Des hommes » avec ce récit des ravages de la guerre d'Algérie qui déjà n'excluait pas la violence) – qui dépeint mieux que personne toute la panoplie des émotions : la peur, la honte, la colère, le ressentiment, la terreur, l'effroi, l'incompréhension, la sidération et bien d'autres encore.

Personnellement j'aurais encore resserré le récit : malgré tout le talent de l'auteur, il y a quelques moments (que je pourrais nommer si j'avais été son éditrice) que j'aurais supprimé et reconsidérer la fin pour la rendre moins abrupte (on sent que Mauvignier n'aime pas les dénouements).

Il n'en reste pas moins que ces « Histoires de la nuit » - le titre vient des histoires que Marion raconte le soir à sa fille, même si elles font peur – sont menées avec brio et le personnage de Marion très bien construit. du très bon travail littéraire.
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Une lecture des plus addictives… à tel point que j'ai dû me raisonner pour interrompre ma lecture à 4 h du matin… le suspens étant à son comble… Mais réveil- boulot oblige ; je me suis raisonnée pour m'arrêter à plus de la moitié, l'ayant acheté le matin même!!!

Le décor : un hameau au fin fond d'une campagne désertée, en « désaffection » ; deux maisons habitées, l'une par un fils-fermier de la région, Bergogne, sa femme, Marion, rencontrée sur le Net, leur petite fille, marion, la maison attenante, occupée par une parisienne,Christine, artiste peintre, venant de tout temps se ressourcer dans ce coin perdu, pour finir par s'y réfugier définitivement, rejetant la ville et les mondanités de la Capitale… et une troisième maison, vide, à vendre !...
Le décor est planté… le récit va se faire, en détails, en profondeur, passant d'un personnage à l'autre, le décrivant dans son quotidien, son passé, son présent, sa personnalité, ses failles…


Quatre personnages principaux: Christine, parisienne, artiste-peintre, qui a fui la ville, s'est retirée au fin fond de nulle part…près de la ferme un des fils de fermier –ami qu'elle connaissait depuis toujours, venant de temps en temps dans ce coin perdu. Ce fils, surnommé Bergogne est le seul des trois fils à être resté à la ferme, pour la sauver ,au prix de lourds endettements, sa femme , Marion, et leur fille, Ida, qui adore, Christine, sa tatie, chez qui elle va goûter, dessiner,et peindre…

Deux univers aux antipodes se côtoient à travers ces deux maisons : celui d'une citadine, artiste-peintre, avec les tourments de la création, tout un monde de références culturelles, intellectuelles, et le monde paysan, méprisé, dit « frustre »…qui se meurt, se bat désespérément pour survivre… et dans tout cela, des personnes avec des blessures, des personnalités attachantes, complexes, remplies de failles et de doutes, avec une petite fille, Ida, qui grandit dans cet univers complexe, en observant et essayant de comprendre ce curieux monde des adultes..

« Mais c'est qu'il est sensible au fait que l'agriculture intensive a bousillé la vie de son père et celle des paysans de la région- avec d'autres qui ont plus ou moins son âge, et les quelques jeunes qui se lancent encore dans cette folie, il veut une agriculture à taille humaine, soucieuse des bêtes et des hommes. (p. 51) »

[ christine, l'atiste-peintre ] « Mais non, elle avait préféré vivre au milieu de nulle part, répétant que pour elle rien n'était mieux que ce nulle part, vous vous rendez compte, au milieu de nulle part, dans la cambrousse, un endroit dont personne ne parle jamais et où il n'y a rien à voir ni à faire mais qu'elle aimait, disait-elle, à tel point qu'elle avait fini par quitter sa vie d'avant, la vie parisienne et les galeries de peinture et toute la frénésie, l'hystérie, l'argent et les fêtes qu'on fantasmait autour de sa vie, pour venir se mettre à travailler vraiment, racontait-elle, se colleter enfin avec son art dans un endroit où on lui foutrait la paix. »

De très belles et très intéressantes remarques, analyses du travail de peintre :
« Ne pas parler mais peindre, ne pas user des forces précieuses à ergoter pour dire les mêmes banalités que les autres, mais peindre ce que la parole ne peut tenir comme promesse, avoir la vision de ce qui n'est pas encore advenu (...) (p. 27)”…

et puis au fil des descriptions psychologiques des personnages, une tension certaine apparaît, s'amplifie…va converger vers une soirée de fête à préparer : l'Anniversaire de Marion, ses 40 ans…chacun participe, consacre son attention à ce rassemblement festif jusqu'au moment insolite où un homme, sorti de nulle part, apparaît, se présente à l'artiste, Christine, seule dans le hameau, à ce moment-là, lui annonce qu'il vient visiter la maison à vendre… qu'il attend la personne de l'agence… Christine, fortement intriguée, lui rétorque que c'est elle qui a les clefs, mais qu'elle doit être prévenue par les propriétaires eux-mêmes, et qu'il n'y a pas d'agence nommée pour cette habitation en vente, qu'elle ne lui fera pas visiter les lieux… L'inconnu part…

Christine retourne à son atelier, sa peinture …et aux pâtisseries qu'elle doit préparer pour l'anniversaire de la voisine…et les événements vont s'accélérer, deux autres hommes inconnus vont surgir de façon aussi mystérieuse et brutale… La petite Ida, rentrant la première, Bergogne à qui il est survenu des soucis imprévus, arrive en retard,…l'angoisse monte…monte… et la dernière arrivée : l'héroïne de la fête : Marion….arrive enfin… et on pressent que ces inconnus ont peut-être à voir avec le lointain passé de Marion… Je n'en dirai pas plus, j'en ai déjà trop dit !!!. Un huis clos monte en angoisse, incompréhension, mystère…

Le talent incroyable de Mauvignier est d'aborder, au sein d'un véritable thriller, de tous les sujets possibles : la famille et ses dysfonctionnements,l'enfance malmenée, les violences des hommes envers les femmes, les effets de la peur, mais aussi de la terreur, auxquelles on peut être confronté, le monde rural, la création artistique, la folie, la vie des villes et la vie des champs…la solitude, la difficulté d'être différent… la vie des Anciens, la vie âpre des agriculteurs, le monde moderne broyant les individus sur son passage, etc.

Ce dernier texte de Laurent Mauvignier me faisait de l'oeil dès sa parution …mais j'en retardé la lecture, d'autres curiosités et élans boulimiques m'ont accaparée entre temps… Je ne regrette pas le délai… car je découvre avec un enthousiasme sans réserve le deuxième texte de cet auteur, après un premier coup de coeur pour « Continuer »…

Juste un bémol : un texte fouillé avec des descriptions des plus minutieuses, qu'elles soient psychologiques ou concernant les décors de l'action…En lectrice impatiente, trépignante…quelques longueurs, à mon goût… mais ce détail reste des plus arbitraires et subjectifs !!

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Il n'est pas fréquent que les Edts de Minuit publient un pavé de plus de 600p.
L'ossature du roman n'est en elle-même pas très épaisse, les exégèses de l'auteur font le reste.
J'ai beaucoup lu L.Mauvignier , et dans ce texte ci il donne avant tout une leçon d'écriture, tant il maîtrise son histoire.
Unité de temps, de lieu et d'action, cela donne une tragédie, un thriller,un mélo, et le coeur du roman qui épouvante et coupe le souffle. du grand art.
Un décor rustique le soir, un anniversaire à fêter, des visiteurs importuns, tout est en place pour la peur où chaque personnage , dont une petite fille, sera confronté à son passé secret ou refoulé.
Comme dans un feuilleton, l'auteur nous fait des pages intenses :on halète, on veut la suite!
et non, nous voilà partis dans des phrases de plus d'une page serrée: monologues intérieurs, analyses psychologiques , retours sur l'enfance, intéressants et nécessaires certes mais sans fin. Sans cela nous aurions un beau et cruel conte, c'est sur, mais ce serait un roman à la "Truman Capote".
Et puis on en revient au concret, aux moments de plus en plus paroxysmiques, et on alterne encore . C'est le parti-pris de l'auteur, mais au bout de 500p cela peut devenir agaçant( c'est le but peut-être).
Je souhaite bien du courage à la personne qui enregistrera à haute voix ces phrases interminables pour des non -voyants. Il faut du souffle entre la majuscule et le point!
Mais en aucun cas je ne regrette la lecture de ce roman .Ce pourrait être un film haletant à venir, d'ailleurs.
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Dès le début elles vous ensevelissent, vous submergent sans vous laisser le moindre répit, elles déferlent l'une après l'autre ces phrases à rallonge qui impriment inexorablement leur rythme et leur musicalité, et chacune des propositions imbriquées, chaque digression, chaque incise à tiroirs étire à l'infini le récit d'une soirée tragique, celle qui devait se tenir en petit comité dans un hameau isolé, celle qui s'annonçait comme une charmante fête d'anniversaire en l'honneur de Marion, celle que son mari Patrice et leur jeune fille Ida aidés de leur unique voisine Christine - la seule autre âme qui vive à des kilomètres à la ronde - avaient préparé secrètement avec la complicité de deux invitées surprises mais qui bientôt vire au drame avec l'irruption de trois intrus, trois frères armés et patibulaires venus solder de vieux comptes ; et voilà que Laurent Mauvignier (que j'avais découvert dans un style tout à fait différent avec Continuer et qui se renouvelle ici à un degré tel que je me suis demandé s'il s'agissait bien du même auteur !), voilà que Laurent Mauvignier, disais-je, vous abreuve de phrases interminables et kaléidoscopiques qu'il déplie comme des fractales pour s'introduire toujours plus loin dans la conscience de ses protagonistes, pour disséquer à l'extrême, seconde par seconde, leurs émotions (détresse et hébétude, panique, angoisse, fureur...), jouant avec vos nerfs et se perdant en circonvolutions narratives, repoussant toujours un peu plus loin le temps des révélations et vous laissant dans l'intervalle fébrile et hagard, dans un état proche de la sidération, sonné de mots comme Patrice et Marion le sont d'effroi, eux pour qui vous tremblez mais qui ne savent comment réagir face à ces trois indésirables surgis du passé et bien décidés à jouer les trouble-fêtes, avec un sadisme et une emprise psychologique tels que jamais la tension ne retombe, d'une façon telle que bien vite vous en oubliez de guetter le prochain point, le prochain alinéa, la prochaine respiration, et que les 635 pages (oui, 635 pages pour ne couvrir que quelques heures d'une soirée cauchemardesque, 635 pages pour entrer dans l'intimité d'un couple en souffrance, 635 pages pour peut-être mieux comprendre l'isolement et la ruralité, 635 pages que l'on aurait pu croire lourdes, étouffantes, indigestes et qui pourtant ne le sont jamais) défilent sans même que vous puissiez vous en rendre compte et qu'il vous faille attendre le dernier chapitre, le dernier mot de ce roman méandreux et plein d'audace - tellement unique en son genre ! - pour reprendre haleine et soupirer enfin : "ouf, un peu d'air".
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Tout d'abord interpellée par l'écriture particulière de Mauvignier (de très très longues phrases ; j'en ai compté une de 56 lignes !) qui me faisait craindre l'asphyxie compte tenu de l'épaisseur du roman, je me suis retrouvée peu à peu embarquée, tenue en haleine et, surtout, conquise par le style de l'auteur et par la tension de ce thriller. Faisant s'entrechoquer un passé que l'on voudrait enterrer et un avenir que l'on n'envisage même plus, ce huis clos haletant a une mécanique implacable jusqu'au baisser de rideau. Comme spectateur d'une scène de théâtre où personnages apparaissent, disparaissent, réapparaissent, on est au plus près de chacun d'eux, grâce à l'écriture précise, très fouillée ; on est Marion, on est Patrice ou Christine ou Ida. Comme eux, on est terrorisés, comme eux, on veut comprendre. En apnée, j'ai tourné les derniers pages avec terreur.
C'était mon premier Mauvignier et cela ne sera certainement pas le dernier !
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« Ida sait très bien lire et elle aime la lecture, mais tous les soirs maman raconte une histoire qu'elle va chercher dans le grand livre à la couverture jaune aux lettres bosselées et dorées, parodies de livre d'or comme ceux qui ouvrent les vieux films de Disney – un livre qui compile des contes venus du monde entier, des histoires et des personnages pour qui l'on tremble, le tout sous ce seul titre : Les Histoires de la nuit. »

Ils ne sont pourtant pas très nombreux les personnages de ce huis-clos nocturne, mais, même si l'âge de la lecture d'un conte avant de dormir est bien loin, on tremble tout de même beaucoup avec eux, ou à cause d'eux, dans ce roman au suspense inextinguible au point d'en être douloureux.

Laurent Mauvignier, sans rien céder de son habituelle exigence d'écriture, a beaucoup compris des ressorts de la peur. En ce qui me concerne j'ai été saisi, je dois dire pas toujours très agréablement, par ce long cauchemar au ralenti. Impossible de ne pas se poser sans relâche la question de savoir quand et comment il va finir, alors que l'auteur prend tout son temps et distille ses indices avec parcimonie sur les causes de cette violence.

On est loin du recensement plat d'un fait divers tel qu'on pourrait le trouver par exemple dans un quotidien régional. Et pourtant tout le livre pourrait être résumé de cette manière. Sa grande force se trouve dans les arrière-plans psychologiques de chacun des personnages, si fouillés qu'on a finalement l'impression de les connaître depuis toujours, et donc d'avoir peur pour eux et avec eux.

D'autres critiques, argumentées, ne reflètent pas un avis similaire au mien. Ils ont trouvé le tout passablement indigeste pour le style, parfois même indigent sur le fonds. C'est vrai que l'auteur ne respecte pas tous les codes du thriller. La fin peut paraître, et c'est un comble, abrupte. Et on aimerait presque le lire, cet article de fait divers de la presse régionale quotidienne…
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Alors là, chapeau l'artiste pour l'écriture ! Ces phrases longues à n'en plus finir, qui dissèquent chaque acte avec minutie, suivent le fil de la moindre petite pensée qui traverse la tête des protagonistes, avec tant de naturel qu'on s'y croirait, en direct dans le cerveau de ces personnages qui en deviennent profondément tangibles - ils existent, c'est sûr, quelque part ! - ces phrases qui pourtant finissent par retomber sur leurs pattes, et m'ont clouée dans mon fauteuil, collée à ma liseuse.

C'est un thriller, sans aucun doute, l'ambiance est pesante, angoissante à souhait. J'habite dans un hameau assez isolé, donc j'ai bien visualisé l'affaire... Au final, le pourquoi du comment de l'intrigue ne m'a pas subjuguée, mais tout le reste, oui !
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