Sans laisser de traces

Dès le départ, les épouses [des mineurs] avaient su que c'était peine perdue. On entame une grève du charbon au début de l'hiver, quand la demande des centrales électriques est la plus forte. Pas au printemps, quand tout le monde cherche à couper son chauffage.

Parmi les gens avec qui Karen avait grandi, personne n'avait eu de chaussures ou de vêtements spéciaux pour la marche. On partait simplement se balader dans ses vêtements de tous les jours, avec éventuellement une couche en plus en hiver. Ce qui ne les empêchait pas de faire 13 ou 14 kilomètres avant le dîner.

« Eh bien, ils se trompent. Pourquoi les gens penseraient-ils ça ?

— Parce que la nuit où vous êtes partis à Nottingham a été la dernière où quelqu'un à Newton l'a vu ou a entendu parler de lui. Et parce que ma mère reçoit de temps en temps de l'argent par la poste avec le cachet de Nottingham. »

Laidlaw respira bruyamment, un souffle de concertina à son oreille. « Bon Dieu, c'est dément ! Eh bien, ma belle, je suis désolé de te décevoir. On est partis à cinq de Newton of Wemyss cette nuit de décembre. Mais ton père n'était pas dans le lot. »

Dieu seul sait pourquoi Jackie est resté au village. Il devait aller en bus jusqu'à Dysart pour prendre un verre. Aucun bar dans les villages de Wemyss n'acceptait de le servir. Ton père et ton grand-père ont donc dû travailler deux fois plus dur que n'importe qui pour être acceptés dans la mine. Pour rien au monde Mick Prentice n'aurait gâché ce respect qu'il avait gagné. Il aurait préféré crever de faim. Quitte à vous voir crever de faim avec lui. Où que tu aies eu cette info, ils n'ont pas la moindre idée de ce qu'ils racontent.

— C'est ma mère qui m'a dit ça. C'est ce que tout le monde dit à Newton. » L'impact des mots de Logan Laidlaw lui donnait la sensation d'avoir été privée de tout son air.

« Eh bien, ils se trompent. Pourquoi les gens penseraient-ils ça ?

— Bon sang, petite, ton arrière-grand-père. Le grand-père de ton père. Tu n'as pas entendu parler de lui ? »

Misha n'avait aucune idée d'où il voulait en venir mais au moins il ne lui avait pas raccroché au nez comme elle l'avait d'abord craint. « Il est mort avant même que je sois née. Je ne sais rien de lui, si ce n'est qu'il était aussi mineur.

— Jackie Prentice, lança-t-il sur un ton presque réjoui. Il a brisé la grève en 1926. Une fois qu'elle s'est terminée, on a dû le faire bosser à la surface. Quand ta vie dépend des hommes de ton équipe, t'as pas envie d'être un jaune sous terre. Pas à moins que tous les autres soient dans le même bateau, comme pour nous.

— Mais il n'est pas porté disparu. Sa sœur l'a fait déclarer mort. Leurs parents ont tous les deux péri dans le naufrage du ferry de Zeebruges, mais apparemment leur père avait toujours refusé de croire à la mort d'Andy et il n'avait donc pas changé son testament pour laisser la maison à la sœur. Elle a dû aller en justice pour qu'Andy soit déclaré mort et pouvoir ainsi hériter.

« C'est vrai, admit Misha. Et ma mère a en effet dit qu'il avait laissé un mot. La police l'aurait-elle gardé ? »

Karen fit non de la tête. « J'en doute. Si un jour nous l'avons eu, il a dû être rendu à sa famille.

— Est-ce qu'il n'y aurait pas eu une enquête ? Est-ce qu'ils n'en auraient pas eu besoin pour ça ?

— Vous voulez dire une enquête pour accident mortel, précisa Karen. Pas en l'absence de corps, non. S'il existait un dossier, ce serait pour une personne portée disparue.

— Je me suis toujours dit que quand ton père est parti travailler ailleurs, ça a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. » Jenny arborait un air de cul-bénit teinté de suffisance. « C'est ça qui a poussé Andy à bout.

— T'en sais rien. » Misha recula dans un mouvement de dégoût.

« Je ne suis pas la seule à penser ça par ici. Si ton père se confiait à quelqu'un, c'était bien à Andy. Et ça a été un fardeau de trop pour ce pauvre petit gars. Il s'est donné la mort, sachant que son seul véritable ami avait trahi tout ce qu'il défendait.

— Alors, où est-ce que je peux trouver cet Andy Kerr ? » Misha s'assit en face d'elle, son envie de partir provisoirement dissipée.

Le visage de sa mère se tordit en une grimace moqueuse. « Ma pauvre ! Si tu arrivais à trouver Andy, tu serais une vraie Sherlock Holmes. » Elle se pencha en avant et tapota la main de Misha. « Lui aussi fait partie des victimes de ton père.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Andy adorait ton père. Il le considérait comme le Messie. Pauvre Andy. La grève lui a fait subir une pression terrible. Il y croyait, il croyait à la lutte. Mais ça lui brisait le cœur de voir les épreuves que traversaient ses hommes. Il était au bord de la dépression, et le chef local du syndicat l'a forcé à se mettre en arrêt maladie peu avant que ton père mette les voiles. Personne ne l'a plus vu après ça. Il vivait à l'écart, au milieu de nulle part, et donc personne n'a remarqué qu'il avait disparu. » Elle lâcha un long soupir de lassitude. « Il a envoyé une carte postale à ton père de quelque part dans le Nord. Mais évidemment, il était parti chez les jaunes à ce moment-là, donc il ne l'a jamais reçue. Plus tard, quand Andy est revenu, il a laissé un mot pour sa sœur, pour dire qu'il n'en pouvait plus. Il s'est suicidé, le pauvre bougre.

— Qu'est-ce que ça a à voir avec papa ? questionna Misha.

« Il n'avait qu'un seul véritable ami. Andy Kerr. C'était un coco pur et dur, Andy. Pour te dire, en 1984, y'en avait plus beaucoup qui continuaient de faire flotter le drapeau rouge, mais Andy en faisait partie. Il était devenu responsable syndical bien avant la grève. Ton père et lui étaient meilleurs copains depuis l'école. » Son visage s'adoucit un instant et Misha put presque discerner la jeune femme qu'elle avait été. « Ils préparaient toujours un coup fourré, ces deux-là.

— Alors, où est-ce que je peux trouver cet Andy Kerr ? » Misha s'assit en face d'elle, son envie de partir provisoirement dissipée.

Le visage de sa mère se tordit en une grimace moqueuse. « Ma pauvre ! Si tu arrivais à trouver Andy, tu serais une vraie Sherlock Holmes. » Elle se pencha en avant et tapota la main de Misha. « Lui aussi fait partie des victimes de ton père.