Eureka Street est un livre qui secoue. Narrant le quotidien absurde de deux jeunes hommes vivant au jour le jour, ces deux amis, Chuckie et Jake, que seuls l'oisiveté, les beuveries, et l'attrait pour la glande semblent réunir. Leurs quotidiens et les péripéties qui les jalonnent, peignent le Belfast des années 90. RobertMcLiam Wilson, auteur nord irlandais nous offre ainsi une fresque véritable de ce Belfast tourmentés, terres qui l'on vu naître et sur lesquelles il est revenu après quelques années à Londres.
Ce Belfast rongé et abimé par les guerres et les conflits civils entre les populations hétérogènes qu'il abritent. Jack et Chuckie y évoluent et y grandissent, car la vie continue, malgré tout. Jack, catholique, qui après une rupture attend que le bonheur lui revienne, enchaine des petits boulots pour lesquels il n'a aucun intérêt et renoue avec la violence. Tout au long de ce livre, sa résilience se construira petit à petit... Chuckie, protestant plutôt cool, pantouflard et hippie dans l'âme, bien qu'un peu mesquin, au départ bouffon de la bande, va devenir une version de lui-même que personne n'aurait imaginé …
Puis, autour de ces deux personnages, gravitent une kyrielle de personnages tout aussi uniques et particuliers les uns que les autres. Les personnages féminins sont résolument féministes, et tout aussi importantes même si elles apparaissent en filigrane du déroulement du récit, et ce ballet de personnages nombreux, est si bien orchestré que l'on apprend à tous les connaitre sans qu'ils ne disparaissent au profit d'autres. Au contraire, ils sont comme les touches finales données à une peinture, apportant à l'ensemble le relief, la profondeur. Il n'en fallait pas moins pour mieux saisir les enjeux et les particularités de la Ville de Belfast et de ce qui l'anime dans ces années-là. Et parmi eux, un personnage revenu du premier roman de RobertMcLiam Wilson…
Cette fresque nous apprend énormément des mouvements sociaux de cette Irlande du nord déchirée, et sur le quotidien bouleversé de ses habitants.
Cette amitié entre ces deux jeunes hommes si différents sont autant de symboles forts qui permettent d'entrevoir la lumière dans la nuit de Belfast. Aussi, l'anticapitalisme et le féminisme s'offrent à voir à travers plusieurs symboles intéressants.
C'est un récit profondément absurde par moment, humoristique – ce qui me fait comprendre pourquoi RobertMcLiam Wilson est contributeur au journal Charlie hebdo depuis 2016 – tout en gardant un sens du drame qui ne dénature pas la réalité. La poésie se mêle au trash, et donne un contraste saisissant. La structure du récit, chronologique dans son ensemble avec des flashbacks aisés à replacés, permet de naviguer dans les époques et dans les histoires. Certains chapitres sont cependant indépendants, comme dissociés, tel le chapitre 11, qui raconte un attentat et les morts tragiques de plusieurs personnes.
En refermant ce livre, on ne peut s'empêcher de ressentir une vagua mélancolie à l'idée de quitter tout ces personnages, tout en étant soulagé de quitter, un temps, cette ville si paradoxale, noire, sombre qui est Belfast, en espérant du fond du coeur que les lumières et le bonheur reprendront la main sur le chaos politique et religieux qui la constitue autant qu'il la détruit.