Ne se considérant pas comme un citoyen, le colonisé perd également l'espoir de voir son fils en devenir un. Bientôt, y renonçant de lui-même, il n'en forme plus le projet, l'élimine de ses ambitions paternelles, et ne lui fait aucune place dans sa pédagogie. Rien donc ne suggérera au jeune colonisé l'assurance, la fierté de sa citoyenneté. Il n'en attendra pas d'avantages, il ne sera pas préparé à en assumer les charges.
La révolte est la seule issue à la situation coloniale, qui ne soit pas un trompe-l'œil, et le colonisé le découvre tôt ou tard. Sa condition est absolue et réclame une solution absolue, une rupture et non un compromis.
D'autre part, à la limite, les Européens d'Europe sont des colonisateurs en puissance : il leur suffirait de débarquer. Peut-être même tirent-ils quelques profits de la colonisation. Ils sont solidaires, ou pour le moins complices de cette grande agression collective de l'Europe. De tout leur poids, intentionnellement ou non, ils contribuent à perpetuer L'oppression coloniale.
Pour le colonisé, tous les Européens des colonies sont des colonisateurs de fait. Et qu'ils le veuillent ou non, ils le sont par quelque côté : par leur situation économique de privilégiés, par leur appartenance au système politique de l'oppression, par leur participation à un complexe affectif négateur du colonisé.
En somme, refusant le mal, le colonisateur de bonne volonté ne peut jamais atteindre au bien, car le seul choix qui lui soit permis n'est pas entre le bien et le mal, il est entre le mal et le malaise.
A l'occasion de la réédition du "Mirliton du ciel" aux éditions Chemins de tr@verse, Albert Memmi revient sur ce livre (son seul recueil de poésie !), sa signification pour lui, et son rapport à sa Tunisie natale.