Ce livre est franchement inclassable… et cela quel que soit l'angle sous lequel on peut essayer de l'observer. Il se dérobe à toute classification, il n'entre dans aucune case.
Pendant une partie du livre, j'ai pensé que j'allais avoir du mal avec cette histoire à laquelle on ne comprend pas tout, avec cette chronologie qui n'en est pas une… et puis en fait, non. Certes, l'histoire semble présenter quelques incohérences : Dick, qui meurt dans la première partie, meurt à nouveau – mais dans d'autres circonstances – dans la deuxième partie, avant de survivre aux parties 3 et 4. Trois fois, j'ai été vérifier dans la première partie que j'avais bien compris, qu'il était bien mort ; mais, en général, quand on cherche à se débarrasser d'un cadavre, c'est bien que la personne est morte, non ?
Mais, en réalité, même si l'on est pétri de cartésianisme, on s'en fout de l'histoire. Ce livre ne nous raconte pas l'histoire d'un Ziz précis, ou celle d'un Dick qui serait unique. Ce livre nous parle de la banlieue, un lieu, un espace, un décor en lui-même protéiforme. Des Ziz, des Dick, il y en a plein les barres d'immeubles. Et leur déambulation hallucinée dans ces artères, ils sont des milliers à la vivre.
Déjà, pourquoi ce choix de nom pour ces deux personnages ? Ziz. Dick. Ces deux noms et leur proximité avec deux appellations du sexe masculin peut-elle n'être qu'un hasard ? Surtout lorsque l'un des deux, finalement, traverse tout le livre en nous rappelant régulièrement qu'il n'a plus d'érections. le hasard serait d'autant plus surprenant que plusieurs épisodes tournent autour du désir – ou non – d'enfant. Pour plaire à Nadège, Ziz va jouer au père célibataire. Mais, pour cela, il va falloir louer un enfant. Puis, quand Dick égare par mégarde – par inattention ! – le précieux bambin, en voler un. Mais lorsque le premier bébé réapparait, il faut vite faire disparaître sa doublure… par le vide-ordure !
Ziz, en réalité, n'est ni sympathique, ni antipathique. Il semble strictement a-moral. Ce qu'il veut, il le prend, lorsqu'il en a l'occasion. Il ne s'embarrasse pas de questions ; l'empathie ne semble pas être un mot de son vocabulaire. Mais en même temps, il se débat pour survivre, alors que tout semble, depuis le début de sa vie, fait pour qu'il coule. Il n'a jamais connu son père. Est-ce que cela le dédouane ? Non, bien sûr.
C'est un caméléon. Dealer, pirate de la route, trafiquant d'organes, balance, voleur d'enfant… Et pourtant, Ziz reste, d'une certaine façon, pur. Parce que toutes ces horreurs ne le salissent pas. Elles semblent glisser sur lui. Parce qu'il n'est pas de cette dimension, probablement…
Et puis, petit à petit, Ziz et Dick prennent de l'âge. Mener un réseau, monter des trafics, s'adapter aux évolutions du marché, cela devient plus compliqué, progressivement. Jusqu'au jour où les russes décident de s'implanter et choisissent deux petites frappes pour les représenter. Comme une métaphore de l'effacement, progressif jusqu'à devenir évident.
Ce livre est assez déstabilisant. Et il ne plaira sans doute pas à tout le monde. Mais, pour celles et ceux qui accepteront le prérequis, il offre une vision peut-être plus réaliste que celle des sociologues qui débattent doctement de la banlieue et du contrat qu'il est possible de partager avec ses habitants…
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