« Planète vide » se présente comme un roman atypique dans la production de la « Série noire ». le livre est d'un format réduit et son auteur, Clément Milian, est resté à ce jour très discret sur la Toile (bio Babelio vide !).
Le roman raconte l'histoire de Patrice, surnommé Papa, un garçon âgé de onze ans élevé par sa mère dans un quartier déclassé d'une ville de banlieue. Sa rentrée au collège se passe mal et il devient vite la cible d'harcèlement et d'humiliations quotidiennes. Papa est un garçon timide, déphasé, qui se sent étranger sur Terre. Il passe de longues heures à dessiner et à regarder les images d'un grand livre sur l'espace. A l'approche de Noël, il se fait coincer par le frère du caïd du quartier qui lui promet de lui casser les dents. En tentant de se sauver, il bouscule son agresseur qui perd l'équilibre et est percuté par une voiture. Paniqué, Papa prend la fuite et pénètre dans le « système-ville », Paris. La capitale va être le lieu de nombreuses rencontres et aventures. Au premier abord, il est déçu, les rues ressemblent à celles de son quartier. Mais bientôt, son imagination va se repaître de l'observation de ces nouveaux décors. Le voilà plongé dans une fugue fiévreuse dans l’arrière-ban de la société parisienne.
« Planète vide » est un conte noir qui se déroule à hauteur d'enfant, avec tendresse et naïveté. le personnage de Papa est attachant et j'ai pris plaisir à suivre ses pas dans ce récit d'aventure et d'apprentissage. Un roman surprenant, qui oscille entre pessimisme et onirisme, qui parvient à captiver dès les premières pages.
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Planète vide est un texte à part. Sa taille, déjà, qui diffère du grand format Série noire d'aujourd'hui, mais se rapporte à la Série noire d'antan. Son propos ensuite. C'est un roman noir, c'est vrai, mais c'est surtout un conte initiatique, une longue errance dans Paris, un Paris bien loin de la carte postale, mais tellement plus proche du quotidien, entre Gare du Nord et La Défense.
Son héros, enfin. Un gosse, harcelé, perdu, un peu hors du monde. Qui n'a pour seule bouée de sauvetage qu'un livre sur l'univers. Terriblement seul, même si sa fugue va lui faire croiser toute une galerie de personnages.
C'est un livre dur, surtout parce que le personnage principal n'a que 11 ans, et qu'il n'a pas beaucoup d'espoir dans sa vie. Il ne cherche qu'une chose, grandir sans faire trop de bruit, sans gêner sa mère, parce qu'elle a assez de problèmes comme ça. Un livre dur, parce que ce gosse ne verra pas beaucoup d'empathie dans le regard des adultes, si ce n'est chez des marginaux (prostituées ou punks à chien) eux aussi ignorés par la société.
Un livre remuant à découvrir d'urgence, car vous n'en trouverez pas beaucoup de cet acabit en librairie.
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Clément Milian signe avec Planète Vide son premier roman. Dans un parcours initiatique au coeur de Paris, un jeune fugueur de 13 ans rencontre une série de personnages, à la fois marginaux et étranges, des punks, des putes, des SDF, selon une mécanique à la Alice au pays des merveilles. Il en ressort un ouvrage assez « tendre », comme le dit Aurélien Masson (directeur de la Série Noire jusqu'à juillet 2017), éloigné de certains présupposés que l'on pourrait avoir sur la Série Noire (meurtre, enquête, âpreté,…). D'ailleurs, pour être franc, ce texte aurait tout à fait sa place dans une autre collection.
C'est un livre onirique écrit dans un style particulièrement épuré. L'auteur est scénariste de profession et cela se sent ! Chaque chapitre est en fait une courte vignette.
Écrire aussi court et aussi juste est très difficile. A mon goût, le défi n'est que partiellement relevé. L'histoire se lit très (trop!) vite. Et je suis resté un peu sur ma faim, avec le sentiment d'un manque de densité, d'une certaine superficialité.
Pour autant, certains passages sont vraiment poétiques, ils expriment bien la frontière ténue entre le réel et l'imaginaire dans l'esprit de cet ado « qui se sentirait toujours plus proche du plus lointain des astres que de tous les hommes qui peuplent la Terre ».
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Patrice Gbemba, dit Papa, était né sur Terre, mais il s’y sentait étranger. Au ciel bleu pollué de la ville, il préférait les étoiles. Aux voitures, il préférait les fusées. Aux hommes enfin, qu’il appelait les autres, il préférait les bêtes.
Papa avait fermé les yeux et attendu la violence.
Une seconde avait passé. Réalisant qu’il n’était pas encore mort, il eut comme un sursaut.
Dans un élan désespéré, il poussa Eyob qui en arrière trébucha, chavirant tout surpris alors qu’une voiture apparut dans son dos. Le petit frère du Caïd heurta de plein fouet le pare-brise, jambes contre pare-chocs, coude contre capot, enfin tête contre vitre. Il y eut un bruit de freins comme un hurlement en même temps que le passage d’un train, puis le premier rebond du corps. Après un nouveau heurt, Eyob s’en alla rouler sur le goudron plus loin, où il resta immobile.
La voiture était stoppée au centre de la rue.
Derrière le pare-brises en miettes, le conducteur était invisible. Il ne donnait signe de vie. Les deux valets sidérés se tournaient en direction de Papa qui était déjà loin.
Il courait avec son sac cognant contre son dos, déviant du passage habituel en direction des terrains vagues. Il ne pouvait fuir chez sa mère. Bientôt, il aurait à ses trousses le grand frère, le Caïd, et ses chiens de combat. Il ne voulait pas déchaîner l’Enfer contre elle.
Papa ne pensait plus. Il courait simplement avec son coeur qui battait à tout rompre. Il n’arrivait pas à respirer sinon par à-coups. Il était un corps pur, un qui se meut tout droit, une masse lancée vers l’infini et que la peur avait transformée en flamme.
Tout était perdu.
Il venait de tuer le frère de l’homme le plus dangereux du monde.
Il fouillait les étoiles dans le ciel. Des nuages de pollution rose les cachaient. Papa se sentait prisonnier de la Terre, qui l’étouffait entre des murs, le sol et l’air trop épais.
Ses lunettes étaient sales.
Patrice Gbemba, dit Papa, était né sur Terre, mais il s’y sentait étranger. Au ciel bleu pollué de la ville, il préférait les étoiles. Aux voitures, il préférait les fusées. Aux hommes enfin, il préférait les bêtes.
Depuis tout enfant, timide, il avait souffert des groupes. Il en avait tant souffert, même qu’il se sentait maudit.
Papa ne croyait pourtant pas aux malédictions. Il ne croyait pas au destin.
Il ne pouvait se douter qu’un jour prochain, il tuerait.
Les coups lui faisaient mal. En face il voyait des guirlandes illuminées, qui brillaient avec la pluie. "Joyeuses fêtes", elles disaient.
13 mai 2023 4.44 BAR LOUNGE
Ce mois-ci, Valérie Morice reçoit Clément Milian., auteur de Planète Vide (Gallimard, 2016), Le Triomphant (Les Arènes, 2019) et de quelques nouvelles. En 2013, il revient avec un troisième roman "Un conte parisien violent" .