« Il prétend que c'est d'abord un cadeau de la déesse, et ensuite le sien, puisque c'est lui qui m'a fabriquée à partir du marbre. »
Galatée,
Madeline Miller @madeline.e.miller @calmann.levy
Le mythe de Pygmalion revisité dans une courte nouvelle aux accents féministes et modernes! Une belle réussite 🌟
C'est prenant, intense et dépoussiérant à la fois!
L'autrice elle-même nous rappelle, à la fin de l'ouvrage, que dans le texte d'
Ovide la vision de la femme était étriquée et archaïque! de fait, l'auteur antique ne donnait même pas de voix ni même de nom à sa création…
« La fin de « Pygmalion » n'est heureuse que si l'on accepte un certain nombre d'idées répugnantes : le fait qu'une femme ne soit considérée comme digne de ce nom que si elle renonce à elle-même pour plaire à un homme, la fétichisation de la pureté sexuelle féminine, le lien entre l'ivoire « blanc comme neige » et la perfection, l'élévation du fantasme du mâle au-dessus de la réalité de la condition féminine. Dans la version d'
Ovide,
Galatée ne parle pas du tout. Plus révélateur encore, on ne la nomme même pas : c'est l'un des quelques détails que j'ai empruntés à d'autres sources. Elle apparaît juste comme la femme. Censée être un objet de désir docile et rien de plus. »
Mais revenons-en au mythe!
Pygmalion sculpte une statue si belle, si réelle, que la déesse Vénus touchée par son talent, entend sa prière et donne vie à celle-ci…
« « Déesse, ne me laisse pas succomber à la folie ! »
Il s'est mis à pétrir mes hanches et mon ventre, très fort, pour tester ma pierrosité. Je me suis félicitée de ne pas broncher.
« Et pourtant, je vais le jurer, je vais jurer sur ma vie qu'elle est chaude. Ô déesse, si c'est un rêve, laisse-moi dormir encore. » Et puis il a appuyé ses lèvres sur les miennes, avant de poursuivre : « Vis. Oh, vis, ma vie, mon amour, vis. »
Et c'est à ce moment-là que je suis censée ouvrir les yeux comme un faon à peine né, le découvrir en équilibre au-dessus de moi tel le soleil, émettre un petit gémissement de gratitude étranglée, après quoi, il me baise. »
La plume de l'autrice est incisive, directe, sans détour!
Le créateur viole sa création, le mari emprisonne sa femme, l'homme jaloux se comporte comme un potentat sûr de son pouvoir, de sa légitimité!
« Après ma naissance, il a essayé de me garder enfermée autant qu'il le pouvait, seulement il y avait des serviteurs, et les gens se sont mis à parler de l'épouse du sculpteur, de son étrangeté, et du fait qu'une telle beauté ne peut venir que des dieux. »
Le regard sur le corps des femmes, son évolution après la maternité est également abordé avec brio!
« «Qu'est-ce que c'est ?»
En baissant les yeux vers mon ventre, j'ai vu les légères traces argentées sur ma peau, soulignées par la lumière.
« Mon amour, c'est la marque de notre enfant. Là où la peau de mon ventre s'est distendue. »
Il les a fixées.
« Depuis combien de temps sont-elles là ?
- Depuis sa naissance. » Il y avait désormais dix ans.
« Elles sont affreuses.
- Je suis désolée, mon amour. C'est pareil pour toutes les femmes.
- Si tu étais en pierre, je te les enlèverais d'un coup de burin. » »
Femme objet, femme trophée, femme que l'on expose, pure, étincelante, sans défaut!
Femme conquête, femme défaite, femme refaite!
Le corps des femmes ne leur appartient pas, leur voix pas davantage…
Il fallait le talent de
Madeline Miller pour donner souffle et parole à la plus silencieuse de toutes, la femme de pierre…
Galatée!