Voilà une fresque historique et familiale bouleversante, une immersion totale dans les faubourgs de la Rome des années 40. Des bombardements de San Lorenzo à la Libération en passant par la déportation des Juifs de Rome, l'autrice italienne tisse son roman autour des faits historiques qui traversent le monde pendant ces années. Et ce qui fait l'originalité et la réussite absolue de ce roman, c'est qu'elle étudie les effets de ces évènements sur les plus humbles, à travers l'histoire d'Ida et de ses fils, Nino et Useppe.
Janvier 1941 : l'histoire d'Ida commence de la plus violente des façons. Déjà veuve, et mère d'un tout jeune garçon, Nino, elle rencontre un soir un jeune soldat allemand en permission qui finit par la violer. Quelques mois plus tard, le petit Useppe naît de cette première rencontre avec l'histoire : "
la storia era una maledizione" nous dit la Morante.
Le récit d'Ida et l'énergie folle qu'elle met à élever ses garçons en temps de guerre et de rationnement est au centre de l'intrigue. Nino est un jeune homme aventureux et libre, Useppe un petit être attachant et fantasque. Morante raconte avec un art incroyable les relations filiales et le rapport d'attachement entre les deux frères. le récit est foisonnant, il traverse sans difficultés les époques, portant à notre connaissance aussi bien le passé du soldat allemand que la généalogie d'Ida mais toujours, ces personnages sont les victimes passives du Pouvoir en place, qu'il soit politique ou économique.
Elsa Morante écrit sur les humbles, les victimes de l'Histoire, ceux qui subissent les décisions des puissants. Cependant, le texte est aussi traversé par des fulgurances d'une beauté à couper le souffle, notamment dans les descriptions des animaux (les chiens Blitz et Bella en tête) et de leur relation aux enfants, êtres purs et non corrompus, dont le rapport à la nature est toujours vibrant.
Le plus célèbre des romans de Morante est contestataire (avec de forts relents anarchistes, elle s'en prend à l'autorité, au pouvoir et tout ce qui s'en rapproche) et tragique maismagnifiquement onirique et tendre. On pense au néoréalisme de l'après-guerre mais aussi à cette poésie des gamins de rue de
Pasolini. Si "
La Storia" a été beaucoup critiqué à sa sortie, pour son idéologie confuse notamment, j'y ai trouvé un souffle romanesque puissant, et un intérêt historique également : le fascisme, la déportation des juifs de Rome, la résistance, la vie politique après-guerre, la Morante évoque tous ces événements à travers le regard des ces pauvres gens (et leur dialecte romain savoureux). Et Useppe, ce petit garçon et ses rêveries au bord du fleuve m'accompagneront encore quelques temps.