Pendant ce temps et sous cette culture apparente, s'active le grand système commercial, pierre angulaire de cette société, que les gens cultivés croient être à leur service mais qui en réalité les domine et détruit les rapports sociaux. Car ce système est par essence une guerre, et seule sa mort le changera; cette guerre, homme contre homme, classe contre classe, dont la devise est : "Ce que je gagne, tu le perds", durera jusqu'au grand bouleversement dont le but final est la paix.
De même que l'on nomme certaines périodes de l'histoire l'âge de la connaissance, l'âge de la chevalerie, l'âge de la foi, etc., ainsi pourrais-je baptiser notre époque "l'âge de l'ersatz". En d'autres temps, lorsque quelque chose leur était inaccessible, les gens s'en passaient et ne souffraient pas d'une frustration, ni même n'étaient conscients d'un manque quelconque. Aujourd'hui en revanche, l'abondance d'informations est telle que nous connaissons l'existence de toutes sortes d'objets qu'il nous faudrait mais que nous ne pouvons posséder et donc, peu disposés à en être purement et simplement privés, nous en acquérons l'ersatz. L'omniprésence des ersatz et, je le crains, le fait de s'en accommoder fortement l'essence de ce que nous appelons civilisation.
S'ils le pouvaient, ces gens-là débarrasseraient les rues des marchands ambulants, des joueurs d'orgue de Barbarie, des défilés et conférenciers de tous acabits, pour les transformer en couloirs de prison respectables, où le peuple passerait péniblement pour aller au travail et en revenir.
Mais c’est perdre son temps que de vouloir exprimer l’étendue du mépris que peuvent inspirer les productions de cet âge bon marché dont on vante tellement les mérites. Il suffira de dire que le style bon marché est inhérent au système d’exploitation sur lequel est fondé l’industrie moderne. Autrement dit, notre société comprend une masse énorme d’esclaves, qui doivent être nourris, vêtus, logés et divertis en tant qu’esclaves, et que leurs besoins quotidiens obligent à produire les denrées serviles dont l’usage garantit la perpétuation de leur asservissement.
Voyons maintenant ce que pourrait être dans l'avenir l'enseignement, aujourd'hui totalement soumis au commerce et à la politique. Personne n'est éduqué pour devenir un homme, mais certains le sont pour détenir la propriété et d'autres pour la servir.