Alexithymie : pas-de-mot-pour-la-souffrance.
Dans
La vie innommable, le médecin et essayiste
Michel Bounan diagnostiquait et décrivait ce trouble moderne de l'expression qui se manifeste par l'incapacité à nommer adéquatement son malheur.
Conditions d'apparition de l'alexithymie : isolement socioculturel, univers concentrationnaire.
Extraits :
« Les psychiatres ont reconnu vite que derrière les altérations du langage, malformation des mots, confusion syntaxique ou sémantique, s'inscrivaient de véritables perturbations de la conscience : si, depuis vingt ans, de plus en plus d'enfants bafouillent, s'ils ne reconnaissent plus la langue de leurs parents, c'est d'abord qu'ils ne reconnaissent plus leurs parents eux-mêmes (on a remarqué qu'ils sont davantage à l'aise dans leurs rapports avec les ordinateurs…) ».
De même, le « syndrome d'hyperactivité » qui caractérise de nombreux enfants est « une fuite devant leurs émotions », un « refus de fixer leur attention », qui rend « impossible un apprentissage réel ».
« Jamais les mots ne se sont usés si vite (…). Et surtout, comment dire son angoisse, sa souffrance, ses désirs ? On s'y refuse. On triche avec des signes sans qualité, extra, nul, super, zéro, génial (…). Au contraire, le langage de l'alexithymique est plus abondant, et même riche, mais exclusivement pragmatique et impersonnel. Et notre époque, devenue alexithymique, sans conscience et sans langage pour sa souffrance, est aussi très bavarde. Son discours incessant, et qui prétend à l'objectivité, s'exprime à travers les médias actuels ».
« le désespoir est devenu incapable de nommer son objet ».
Selon
Michel Bounan, l'effondrement de l'expression adéquate s'accompagne d'un effondrement des défenses immunitaires , et anticipe «l'imminent désastre écologique et épidémique». C'était en 1993.