un beau jour — peu importe…
Extrait 2
on a retrouvé juste un vélo et une chaussure — ils ont
fait des photos de la maison, de la famille, du village,
ils ont posé des questions aux voisins — mais qu’est-ce
qui lui a pris, à cette femme-là ? — à moi, les questions,
la honte, cette femme-là
c’est tout ce qu’elle a dit, elle en a parlé deux ou trois
fois, elle a dit c’est comme quand on oublie de mettre
du sel dans un plat c’est tout ce qu’elle a dit, elle a
parlé des chats dans la maison de son enfance, elle
a dit qu’il y en avait beaucoup, elle a dit leurs noms,
c’est tout ce qu’elle a dit, j’ai oublié les noms des
chats, elle a dit que la chambre avait un papier à fleurs
— une fois, une seule fois, elle a dit qu’elle a souhaité
mourir quand elle a appris — ou bien elle le savait
déjà mais ça devenait insupportable — elle a dit mais
ça ne te regarde pas c’est tout ce qu’elle a dit, elle s’est
remise à plier le linge, avec pourtant des yeux noirs
inquiets, juste des silhouettes qui passent
…
p.8-9
un beau jour — peu importe…
Extrait 1
un beau jour — peu importe
même pas
c’était pas un cri — plutôt un appel, une plainte
une image qui reste, un môme flou, le nez qui coule,
le visage barbouillé, un fouillis, agrippé, insupporta-
blement agrippé
ce môme, un instant
on ne sait pas son nom, on ne sait presque rien — un
môme sans nom, pas même, ou bien pas encore —
ordinaire, son visage, son air pâle
et beau
elle — mère parce que, peu importe
égarée
la femme aux médicaments, la femme aux lames de
rasoir, comme un tableau suspendu de biais, la femme
à la tête dans la cuisinière à gaz — un obscur pressen-
timent, une sorte de honte — elle n’a pas de visage,
pas de nom, on sait seulement de cette femme qu’elle
a récemment — elle est un peu perdue, et lui mais tais-
toi donc — elle a posé l’enfant, clos le sac — paroles
que personne n’ose, aigres comme les petites jambes
maigres, les chats qui tournent autour
...
p.7-8
un beau jour — peu importe…
Extrait 3
et chaque jour le café à faire et puis secouer les draps,
la fenêtre très haute, et quand on a balayé, on a un
moment tranquille au soleil avant d’éplucher les lé-
gumes— les enfants au fond d’un sac, emballés dans
un vieux journal
— ne sais pas quoi en faire — n’est pas né — n’est
pas, pas très grand encore, pas encore, ne parle pas,
perdue — ne dit pas — l’enfant qui pousse, éplu-
chures, il te ressemble, habite chez toi — le garde en
toi, l’oublier — enfant tu, une boule de chiffon — qui
reste — te souviens-tu ? ni des prénoms — même pas
tu tué
l’enfant — on a trouvé le corps sans vie enfermé
dans une boîte, gisant dans l’eau — c’est là dans cet
endroit retiré, un étang caché en pleine forêt, enfant
inanimé, corps fragile qui s’abîme vite surtout dans
l’eau — intempéries — aucune piste, on recherche
des témoignages, autour de l’étang, dans la forêt,
…
p.9-10
un beau jour — peu importe…
Extrait 9
mettre au
monde un enfant innommable — et fait trou, hors —
chaque jour ordinaire, douloureux, sans éclat et sans
bruit, sans histoire — un geste qu’elle fait — au fond
d’un sac, emballé dans un vieux journal mais qu’est-ce
qui lui a pris, à cette femme-là ? sans promesse d’aucun
autre commencement
on ne sait pas son nom, on ne sait presque rien —
ordinaire, son visage, son air pâle, avait demandé
en silence, invisible, précipitée plus encore — avait
confié une inquiétude vague, diffuse, le vide qui
l’habite — le déchet qu’elle croit être, mieux que
ceux qui l’insultent
ce petit morceau d’elle — mon amour
enfoui au pied d’une souche d’arbre sans que per-
sonne — disparu, l’enfant que personne n’a vu, ni les
autres, des enfants comme des pansements, aucun ne
se souvient de la date, il ne mangeait plus, passait ses
journées puni dans son lit — nommé le désordre du
monde
p.15
À TENTER DE VOIR DANS LA NUIT ‒ UN HOMME ?
Extrait 2
Et ta carcasse raide, le froid au creux du dos, cette
rencontre tactile contre la nuit
où tu ne perçois rien, monochrome ‒ palpite
parfois apparaît une trouée
un faible éclat de jour ‒ ou de vie, de terre et d’humains ‒
qui fait comme un voile
une sorte de visage ‒ la trace d’un visage ‒ à peine un
éclat, même pas, faible, et rien ne peut désemparer
l’éclatante noirceur ‒ l’attente, le temps à peine ‒ ne passe
une vague lumière, des traces voilées comme buée ‒ ta
bouche ? ‒ il n’y a personne