Cent ans de l'Office international de bibliographie, les prémisses du Mundaneum

Le 2 septembre 1895, s'ouvre à Bruxelles la première conférence internationale de Bibliographie . Elle a été convoquée par deux jeunes avocats, Paul Otlet et Henri La Fontaine. Les discussions aboutissent à la création d'un Office International de Bibliographie (OIB) dont le but principal est de créer un Répertoire Bibliographique Universel (RBU) qui doit rassembler les notices de tous les ouvrages publiés dans le monde sur tous les sujets et à toutes les époques. Programme ambitieux, utopique au regard de nos critères modernes mais qui pouvait paraître réaliste au sortir d'un dix-neuvième siècle qui avait vu la publication d'à peine huit millions de livres . On estime que ce répertoire a contenu jusqu'à 12 millions de fiches en 1937. de ce travail colossal, la plus importante bibliographie générale et rétrospective jamais entreprises, restent aujourd'hui 260 meubles fichiers s'étirant sur une longueur de 186 mètres.

L'entreprise nécessite une coopération internationale, aussi l'OIB s'attache-t-il à normaliser les outils et techniques bibliographiques. C'est l'OIB qui fait adopter la fameuse fiche de 12,5 sur 7,5 centimètres (ce qui correspond au 3 sur 5 pouces des Américains) munie d'un trou qui permet de la fixer au fichier que connaissent les bibliothécaires du monde entier. Il est aussi à l'origine de la fameuse Classification Décimale Universelle, une adaptation de la Decimal Classification de Dewey (DC). Plus tard, Otlet sera un des inventeurs de la microfiche et du livre microphotographique.

Le RBU doit par nature embrasser toutes les facettes du savoir humain. Outil principal de la connaissance, mis à disposition de tous les peuples, le RBU se trouvera au centre d'un réseau international de l'intelligence. Il doit jouer le rôle d'une mémoire centrale des hommes permettant à tous de savoir ce qui a été écrit sur quelque sujet que ce soit. Les fiches sont classées très méthodiquement par des bataillons de documentalistes afin de permettre à l'utilisateur de s'y retrouver. L'OIB adopte d'abord le système de l'Américain Dewey (1851-1931) qui consiste en une division du savoir en 10 classes. Mais la Decimal Classification a été développée dans un cadre universitaire et s'adapte mal aux réalités diverses et complexes reflétées par le RBU. Il en faut plus pour faire reculer nos téméraires bibliographes. de 1899 à 1905, Paul Otlet et Henri La Fontaine feront paraître, sous l'égide de l'OIB, la Classification Décimale Universelle. La CDU se distingue par l'utilisation d'éléments permettant d'introduire des précisions sur le document. Ainsi apparaissent les divisions de langues, les tables géographiques, des données analytiques et de point de vue, des signes de relation. La classification se fait langage.

Ainsi un ouvrage consacré aux socialistes néerlandophones du Hainaut entre 1885-1960 aura comme cote dans la DC: 335.493, à savoir l'indice du socialisme immédiatement suivi de celui de la Belgique. Dewey ne permettait pas de donner plus de précisions. Dans la CDU, la cote devient: 335.52(493.5)(=393.2)"1885-1960", ce qui permet d'exprimer l'ensemble des informations contenues dans le titre.

Paul Otlet écrira : " Classer est la plus haute opération de l'esprit, celle qui implique toutes les autres. L'esprit s'élève à mesure qu'il est susceptible d'abstraction, de systématisation et de synthèse" . Par ce travail Otlet cherche à appréhender le monde et l'humanité comme un tout. Ainsi chaque lecteur devient "Membre producteur de l'humanité pensante", chaque idée "Aspect de la Pensée Universelle", chaque livre "fragment du Livre Encyclopédique Universel", chaque bibliothèque "Partie de la Bibliothèque universelle", chaque notice "Elément du répertoire bibliographique universel", chaque service bibliographique "Station d'un réseau international de communications intellectuelles" . le Mundaneum, sera un point de rencontre, le centre de coordination de l'organisation internationale de l'Intelligence. de cette vision universaliste vont naître plusieurs projets de Plan Mondial.

Dans son traité de documentation (1934), Otlet écrit: "Ainsi la pensée de chacun pourra atteindre la conception du tout; l'humanisme poursuivi par l'éducation pourra devenir le bien de tous; la civilisation devenant universelle et dirigée par des moyens rationnels, pourra enfin opposer victorieusement aux horreurs et aux confusions de la crise, de la guerre et de la révolution l'idéal et le bien de la prospérité, de la paix, de la justice et de l'ascension des hommes vers une plus haute destinée" .

Ainsi la science apporterait-elle enfin le bonheur à l'humanité. Au sortir d'un XIXème siècle qui a vu l'Europe bouleversée par d'incessants conflits, le projet d'Otlet et La Fontaine est avant tout destiné à favoriser la paix et la compréhension universelle.

En 1913, Henri La Fontaine obtient le Prix Nobel de la Paix pour son action internationaliste. Sénateur socialiste, il avait participé à la mise sur pied du Bureau International de la Paix et milité dès a fin du XIXème siècle pour la constitution d'une Société des Nations. Juriste, il s'était intéressé à l'arbitrage des conflits entre états et avait contribué à jeter les bases d'un droit international plus humain.

Dès 1910, date de l'exposition universelle de Bruxelles, Otlet et La Fontaine conçoivent le projet d'un Palais Mondial ou Mundaneum qui pourrait permettre de rassembler toutes leurs initiatives (bibliographie, collections, organisations de réunions internationales) et être l'embryon d'une espèce de centre culturel mondial, oeuvrant au progrès de l'humanité.

En 1919, le gouvernement belge mettra à leur disposition 50 salles du Palais du Cinquantenaire qui abrite les Musées Royaux d'Art et d'Histoire, pour y développer leur projet.

C'est cette épopée de la documentation que l'ouvrage dirigé en 1995 par Andrée Despy décrit avec de nombreux détails dans ce livre richement illustré.