Dès que je franchis la grille et que celle-ci se referme sur moi, j'ai cette sensation froide comme d'étranges vibrations qui hurlent des murs humides leurs cris de terreur. Un certain silence, gêné, les silences gênés ça me connaît, s'impose du grand cloître au cloître des novices. La sensation de ne pas avoir pénétré la foi d'un couvent mais directement l'antre de l'Enfer. Cette nuit, une soeur s'est retrouvée morte, égorgée, étripée, le foie à l'air... Une flaque de sang immaculée autour de son corps, des os de poulets à proximité, une statuette d'un dieu aztèque ou incas, faut que j'aille à la bibliothèque pour me renseigner sur ces rites païens... Raconter ainsi l'histoire, ça donne presque envie, au moins autant que de croquer un ver au fond d'une bouteille d'une liqueur ancestrale.
Après donc une longue présentation du couvent de long en large en passant par les coursives, les cuisines et les cellules des soeurs et des novices, peut-être histoire de trouver la rouquine carmélite, la quête de toute investigation dans un couvent, pris les odeurs de cuisine, ma foi bien appétissantes ces marmites mexicaines qui mijotent et auxquelles je rajouterai bien quelques jalapeños pour pimenter le récit, je commande un chocolat chaud à la serveuse, une indigène aux jambes caramélisées trop masquées dans sa robe si rêche qu'elle doit te gratter tes désirs cachés, un peu comme une pénitence douce par rapport à la flagellation pratiquée jusqu'au sang...
Je manque de repère dans ce monde, je me souviens bien d'avoir lu, dans un siècle dernier ou même encore avant une enquête ou deux de Frère Cadfael, (désolé c'est la seule référence qui me vienne), et puis ça s'arrête là. Car là, je passe mon temps à prendre du chocolat chaud, que son parfum entêtant me prend - attention à l'écoeurement -, pas une seule fiole de mezcal, si précieuse à mes expéditions mexicaines, tout juste une infusion au peyotl. Cette mort au couvent est probablement le début d'une série autour de l'érudit Soeur Juana Iñés
De La Cruz, tu le comprends dès le début, au formatage de l'intrigue qui reste bien gentille pour mes émois littéraires. C'est juste une histoire de bonnes soeurs, plus ou moins bonnes. Cependant, point intéressant, la vue de l'époque surtout au niveau des classes et castes de ce Mexique-là. Si je devais construire une échelle sociale, en haut se placent les Espagnoles au sang noble, n'allez surtout pas leur dire qu'elles ont un peu de sang maure qui coule dans leurs veines ; et puis dans les barreaux inférieurs de l'échelle, les domestiques ou esclaves ou indigènes, trois noms pour un même être analphabète, qui se graduent également en fonction de leur ethnie et couleur de peau : les Indiennes, les métisses et les noires. Les maux de la société ne sont pas exception et les histoires de jalousie, de fierté et de vengeance se retrouvent aussi à l'intérieur d'un couvent, autour du puits du cloître de San Jérónimo.