La Chine a effectué une entrée fracassante dans les études africaines. Il n'est plus concevable d'évoquer la géopolitique de l'Afrique, ses relations avec les autres régions du monde ou même ses perspectives économiques à l'ère de la mondialisation sans mentionner le rôle croissant de l'Empire du milieu. Un africaniste digne de ce nom se doit aujourd'hui d'être un peu sinologue.
L'engouement suscité par ce nouveau partenaire n'avait d'égal que son exotisme. Enfin lisait-on l'Afrique allait pouvoir sortir du face-à-face inégal dans laquelle elle était enfermée avec les puissances occidentales coloniales hier et néo-coloniales aujourd'hui.
Cet enthousiasme a fait long feu. Et l'ouvrage de Tidiane N'Diaye est révélateur du désamour grandissant dans lequel est en train de lentement glisser l'Empire du milieu. Hier portée aux nues, la Chine est aujourd'hui de plus en plus souvent vouée aux gémonies.
Tidiane N'Diaye énumère tous les reproches adressés à ce nouveau partenaire, hier encore paré de toutes les vertus : le modèle de coopération « gagnant-gagnant vanté par Pékin serait un jeu de dupe, les échanges bilatéraux bénéficiant avant tout à la Chine qui importe les matières premières dont elle a cruellement besoin tandis que les importations de biens de consommation courante déstructurent les fragiles industries africaines (telle l'industrie textile au Mali ou en
Côte d'Ivoire) ; le refus de toute ingérence politique du partenaire chinois conduit de facto à offrir une planche de salut aux régimes les moins démocratiques du continent (Soudan, Zimbabwe, Angola …) ; les Chinois exportent leurs pratiques des affaires, peu transparentes et corruptrices ; ils n'ont aucun respect pour la protection de l'environnement ou pour la santé du consommateur ; ils replongent dans la spirale de l'endettement des pays qui viennent à peine d'assainir leur situation financière avec les bailleurs occidentaux ; ils manifestent à l'égard des Africains un racisme d'un autre âge ; etc. Il n'est pas jusqu'aux prostituées chinoises auxquelles l'auteur reproche dans un (trop) long chapitre leurs pratiques anticoncurentielles !
Cette charge en règle aurait été plus convaincante si elle avait été mieux étayée (l'ouvrage est dépourvu de références infrapaginales et sa bibliographie, d'un laconisme excessif, ne liste quasiment que des sources francophones), si elle avait été exposée dans un vocabulaire moins outrancier (la Chine est décrite comme un « monstre affamé » prêt à fondre sur « la proie africaine » par de « gigantesques dévastations aux pillages subtilement organisés ») et si elle n'était pas lestée de quelques contre-vérités qui la décridibilisent (l'auteur évoque l'utilisation de « bagnards » ou de « repris de justice » sur les chantiers chinois sans citer aucune source alors que la méticuleuse enquête de
Juan Pablo Cardenal et
Heriberto Araujo, La silenciosa conquista china (Memoria Critica, 2011) pourtant critique à l'égard de la Chine, conclut honnêtement à l'inexistence de telles pratiques).
Comme l'avaient montré avec autrement plus de subtilité, les auteurs réunis autour de Raphaël Gabas et Jean-Jacques Chaponnière (Le temps de la Chine en Afrique, Karthala, 2012), l'action de la Chine en Afrique ne mérite ni tant d'éloges ni autant d'opprobres. La Chine n'y a pas d'agenda caché, de visées conquérantes, ni même de politique mûrement planifiée. Loin de l'image centralisée que donne l'expression de « Chinafrique », maladroitement calquée sur celle de « Françafrique » en 2008 par les deux journalistes
Serge Michel et
Michel Beuret, la politique chinoise en Afrique est la conjonction d'une multiplicité d'initiatives individuelles sur lesquelles Pékin n'a guère de prise. Des paysans chinois à la recherche d'un meilleur salaire que celui que leur donne la culture de la terre dans leur pays viennent exploiter le cuivre en Zambie, couper le bois des forêts gabonaises ou vendre des chaussures à Dakar. Rien de comparable avec le système élaboré dans la France de la Vème République par Jacques Foccart.
Si la Chine est de plus en plus influente en Afrique, ce n'est pas la conséquence d'une politique mûrement planifiée et, encore moins, d'un intérêt spécifique pour le continent africain résultant, comme ce fut le cas pour la France coloniale, de son passé. Cette influence croissante ne diffère guère de celle que la Chine, avide de débouchés pour ses exportations et de matières premières pour nourrir sa croissance, se taille dans d'autres régions en développement : Asie centrale, Amérique du Sud et, au premier chef, Asie du sud-est où sa diaspora est la plus nombreuse et ses intérêts économiques les plus importants.