Faut-il la plaindre ou la haïr ?
Le roman s'ouvre sur une scène de tribunal, celui où l'on va juger Gladys Eysenach pour le meurtre d'un jeune homme de vingt ans,
Bernard Martin. Les raisons de ce crime ? Quel lien les unissait ?
Après les dépositions des témoins, la condamnation tombe et alors nous entrons dans le passé de cette femme, une sorte de courtisane mais qui ne recherche pas l'argent car elle le possède déjà par son dernier mariage, mais qui aime plaire et qui s'aime, elle : belle, jeune, celle sur qui tous les hommes se retournent. Elle sait que sa beauté lui attire tous les regards, les convoitises mais la beauté est comme les fleurs, elle peut demeurer certes mais elle se fane et c'est un drame pour elle. Les années passent et elle veut garder la beauté de cette jeunesse. Alors quand des obstacles risquent de révéler son âge avec lequel elle triche toujours, elle va devenir une sorte de hyène, insensible et égoïste, uniquement préoccupée par son apparence et l'image qu'elle offre jusqu'à commettre le pire.
"Je suis plus belle, maintenant, songea-t-elle encore. Je ne veux pas qu'il cherche en moi l'image de l'enfant que j'ai été, mais qu'il aime la femme que je suis à présent... Je suis jalouse de ma jeunesse, murmura-t-elle (p91)"
Je voyais souvent passer des chroniques concernant cette auteure au destin tragique (décédée en déportation en 1942) avec toujours des éloges et cela avait piqué ma curiosité. Et bien je ne suis pas déçue. Quelle plume, quel rythme et surtout quelle plongée dans les méandres d'un personnage qui nous révulse par sa sècheresse de coeur mais que l'on ne peut s'empêcher de prendre (un peu) en pitié.
Une écriture fluide, vive, concise, efficace pour nous dresser ce portrait de femme mais surtout le cheminement de ses pensées et des actions qui en découlent, où nous sommes mis face à ses combats intérieurs pour masquer le passage du temps, ces petits arrangements avec sa conscience, sans fard, avec une honnêteté désarmante, flirtant par instant avec la folie. Comment ne pas faire le rapprochement avec
le portrait de Dorian Gray d'
Oscar Wilde sous certains aspects. La jeunesse éternelle, voilà ce que convoite Gladys, totalement dépourvue de sentiments envers les autres, uniquement préoccupée par sa personne et surtout à trouver des subterfuges pour cacher son âge qui risquerait de la priver de cette vie mondaine où les hommes sont à ses pieds. Ce n'est pas l'amour qu'elle recherche vraiment mais plus le désir qu'elle lit dans les yeux de la gente masculine faisant d'ailleurs de cette quête une rivalité entre femmes.
Après une entrée en matière avec la scène du tribunal, assez froide, où l'accusée silencieuse accepte son sort, on pourrait presque avoir pitié d'elle, on découvre la
Jézabel, malfaisante et porteuse de malheur, sa vie jalonnée de ses rencontres masculines mais également de ses secrets. A travers ce récit, l'auteure, avec une efficacité sans faille, peint un portrait terrifiant de femme d'une rare monstruosité trouvant toujours une justification à ses actes. Elle se transforme en harpie, dénuée de tout sentiment autre que son intérêt pour elle
Même si l'on devine au fil des pages la relation entre Gladys et Bernard, c'est un récit qui vous scotche par la manière dont l'auteure construit son personnage, décortiquant ses pensées, se focalisant uniquement sur elle, les autres n'étant là que pour servir l'élaboration psychologique de celle-ci.
Encore une auteure que je vais continuer à lire car j'aime sa façon d'aborder un sujet, de l'exploiter, avec une écriture vivante, fluide, presque scénographique. On suit la lente et inexorable déchéance de cette femme à qui pourrait s'appliquer Miroir, miroir, dis-moi qui est la plus belle ? car au-delà de son âge et de sa beauté, Gladys devient jalouse d'elle-même, de ce qu'elle fut, de sa beauté passée, de sa jeunesse lointaine et de ce qu'elle ne sera plus jamais, portant un masque composé de fards qui disparaissent quand la lumière devient trop crue ou que les traces du passé vont ressurgir. Quelle belle découverte.
J'ai beaucoup aimé.
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