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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Une exploration poétique des frontières incertaines et poreuses entre le rêve et la réalité…

Troublant récit que cette Aurélia de Gérard de Nerval…J'avais envie de retrouver la plume de ce Ténébreux, de ce veuf, de cet inconsolé, de ce Prince d'Aquitaine à la Tour abolie dont les vers d'El Desdichado riment encore en moi quelque trente ans après le baccalauréat de français où j'ai eu la main heureuse en tirant cette poésie le jour J. Hasard ? Non, il n'y a que des rendez-vous. Son écriture romantique et sombre m'exaltait tant à l'époque. Force est de constater que Gérard de Nerval me fait toujours beaucoup d'effet même si j'ai lu Aurélia non sans un certain malaise tant son romantisme s'est transformé en véritable folie, folie qui va crescendo au fil des pages…jusqu'au suicide de l'auteur le 26 janvier 1855 à l'âge de 46 ans. Il est retrouvé pendu à Paris.
La longue nouvelle Aurélia, qu'il n'a pas terminée d'ailleurs, parait en deux parties (janvier et février) dans la Revue de Paris puis en un volume au mois d'avril. Force est de se demander si ce texte ultime n'est pas en quelque sorte le Testament de Gérard de Nerval, un texte prophétique dans lequel on ne peut s'empêcher de chercher des messages, des clés, des signes avant-coureur de son geste fatal.
C'est terrifiant de lire ces lignes en sachant que l'auteur se suicidera durant leur écriture.

Troublant de lire ce récit en connaissant donc la chute funeste et tragique de son auteur et surtout de découvrir cette dernière phrase du livre qui semble tellement apaisée et lucide : « Telles sont les idées bizarres que donnent ces sortes de maladies ; je reconnus en moi-même que je n'avais pas été loin d'une si étrange persuasion. Les soins que j'avais reçus m'avaient déjà rendu à l'affection de ma famille et de mes amis, et je pouvais juger plus sainement le monde d'illusions où j'avais quelque temps vécu. Toutefois, je me sens heureux des convictions que j'ai acquises, et je compare cette série d'épreuves que j'ai traversées à ce qui, pour les anciens, représentait l'idée d'une descente aux enfers ».
Combien d'heures après avoir écrit cela s'est-il pendu ?

Troublant aussi de lire ce récit en sachant que Gérard de Nerval passe la majeure partie de son temps dans la Clinique du Dr Emile Blanche, institut spécialisé pour le traitement des maladies psychiatriques. Depuis sa sortie de cette clinique en octobre 1854, Nerval errait… Il errait dans Paris, il errait dans sa tête. Ce texte a une fonction bien précise, un but thérapeutique pourrait-on dire, un projet clinique : son médecin l'incite en effet à relater par écrit ses rêves et ses rêveries. Ce livre est ainsi un texte particulièrement onirique où le rêve est le matériau premier. Force est de se demander quelle analyse ferait un psychiatre à l'aune d'un tel récit, particulièrement foisonnant. C'est dans tous les cas une oeuvre « surnaturaliste » dans laquelle la frontière entre rêve et réalité est floue et qui tourne autour d'une figure féminine aimée mais juste fantasmée : Aurélia, inspirée de l'amour impossible de l'auteur pour Jenny Colon, de sa rencontre avec Marie Pleyel et de la réunion fortuite des deux femmes à Bruxelles. Ses rêves sont nombreux et variés, et on devine son sommeil très agité…

« le sommeil occupe le tiers de notre vie. Il est la consolation des peines de nos journées ou la peine de leurs plaisirs ; mais je n'ai jamais éprouvé que le sommeil fût un repos ».

Le rêve est, pour Nerval, une seconde vie, là où il n'y a pas de limite entre le présent et le passé, la matière et l'esprit. le rêve a une valeur initiatique et permet d'atteindre un autre niveau de réalité qui se joue du temps et de l'espace, où ses « pieds s'enfonçaient dans les couches successives des édifices de différents âges ». C'est un pont, un intermède entre la vie terrestre et l'au-delà. D'ailleurs le texte est en deux parties : dans la première le songe vient s'épancher dans la vie réelle ; dans la seconde l'au-delà s'invite dans le rêve.
Nous avons ainsi une première partie très poétique et onirique dans laquelle Aurélia est au centre d'une nature sublimée et qui se fait Paradis, et une seconde partie plus religieuse et mystique dans laquelle la recherche du pardon obnubile dans un premier temps l'auteur, puis sa transformation en un Dieu, du moins son osmose alchimique avec le reste de l'Univers en une dimension cosmique, constitue l'acmé de sa crise.

Dans les deux parties en tout cas Nerval se dévoile intimement. Après une grave crise de folie, il veut se soigner en trouvant un sens à sa vie, l'écrit est ainsi un exutoire, il veut témoigner de ce qu'il nomme « ses maladies » et aussi prouver qu'il a pris du recul, qu'il est lucide sur sa situation (on trouve d'ailleurs un certain nombre de réflexions appuyées par de nombreux « je veux montrer », « je veux expliquer »…). C'est ainsi un texte déroutant alternant entre des moments de folie qui mettent mal à l'aise et des moments de lucidité touchants, ressac écumeux qui vient nous éclabousser de son émotion, à fleur de peau. Et parfois l'auteur de se demander, comme hébété, s'il n'est pas allé trop loin « dans ces hauteurs qui donnent le vertige »…

« Pendant la nuit, le délire augmenta, surtout le matin, lorsque je m'aperçus que j'étais attaché. Je parvins à me débarrasser de la camisole de force, et, vers le matin, je me promenai dans les salles. L'idée que j'étais devenu semblable à un dieu et que j'avais le pouvoir de guérir me fit imposer à quelques malades, et, m'approchant d'une statue de la Vierge, j'enlevai la couronne de fleurs artificielles pour appuyer le pouvoir que je me croyais ».

La folie est fascinante dans le sens où nous avons tous une part de folie en nous. Il suffit parfois de presque rien pour la sentir venir effleurer, prenant mille et une formes. Elle est fascinante car elle montre ce que nous pourrions être, notre face cachée, une modification de l'état de conscience même infime nous rapproche de cet être vite ressenti comme monstrueux…Où commence et où s'arrête la folie ? J'ai trouvé passionnant de voir quelles visions elle engendrait chez cet écrivain et la dimension poétique qu'elle offrait. Une poésie vaporeuse, brumeuse, décousue. Oui, une poésie en lambeaux, comme le sont les rêves. Alors, si les phrases sont belles, les images marquantes, le récit est à l'image des rêves à savoir décousu, voire incohérent, ce qui peut surprendre, voire gêner, le lecteur. Il ne faut pas lire ce texte pour l'histoire mais pour sa poésie, sa portée mystique, la vision des rêves qu'il offre, la folie qu'il dépeint et les clés qu'il renferme à l'aune du suicide de l'auteur.

J'ai aimé tout particulièrement la première partie du récit dans laquelle l'auteur offre ses rêves. Les paysages dépeints sont des jardins métaphoriques, ces jardins que nous retrouvons dans les autres textes de Nerval, dans lesquels s'épanouissent les fleurs qui plaisent tant à son coeur désolé, et la treille où le Pampre à la Rose s'allie, et où l'auteur va revoir ses proches décédés depuis longtemps. C'est une sorte de Paradis duquel il a du mal à revenir.

« Ça et là, des terrasses revêtues de treillages, des jardinets ménagés sur quelques espaces aplatis, des toits, des pavillons légèrement construits, peints et sculptés avec une capricieuse patience ; des perspectives reliées par de longues trainées de verdures grimpantes séduisaient l'oeil et plaisaient à l'esprit comme l'aspect d'une oasis délicieuse, d'une solitude ignorée au-dessus du tumulte et de ces bruits d'en bas, qui là n'étaient plus qu'un murmure ».


Finalement d'Aurélia il n'en sera pas beaucoup question. Elle apparait ça et là tel un fantôme. Dans la seconde partie mystique elle est carrément absente. Les visées de Nerval sont au-delà de l'Amour. Il se rapproche du soleil et de la connaissance universelle. A s'en brûler les ailes. Fou Nerval ? Non, un Prophète incompris portant le Soleil noir de la Mélancolie sur ses épaules…


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Aurélia est d'abord un projet clinique. Gérard de Nerval, ravi des séjours qu'il passait à la clinique du Docteur Blanche (il appelait ce lieu le « Paradis ») avait décidé de faire une étude de ses rêves et visions qu'il adresserait au clinicien pour le remercier. le projet prit ensuite la tournure plus littéraire qu'on lui connaît.


L'écriture de la nouvelle se justifie donc par des fondements très personnels et son objectif clinique initial est de reproduire le processus de « l'épanchement du songe dans la vie réelle ». L'histoire autour d'Aurélia s'inspire de la vie de Gérard de Nerval, de son amour impossible pour Jenny Colon, de sa rencontre avec Marie Pleyel et de la réunion fortuite des deux femmes à Bruxelles. Evoquant la mort d'Aurélia, il en vient à évoquer la mort de sa mère. Ces éléments contaminent le rêve, qui se diffuse à son tour dans la vie. Finalement, ce n'est pas la confusion entre le rêve et la réalité qui trouble le plus, mais la question de savoir si le rêve est une forme de pré-conscience capable d'enrichir la compréhension des événements qui sont perçus par la conscience en éveil. Gérard de Nerval exprime naturellement le potentiel initiatique du rêve lorsqu'il éblouit de l'intérieur. le rêve a une valeur initiatique : il fait vivre ce que la conscience éveillée n'a jamais eu l'honneur de connaître, il donne la certitude absolue de l'existence d'un autre niveau de réalité.


A ce point-là du récit, Gérard de Nerval délaisse Aurélia –sa justification individuelle- pour faire la rencontre avec l'archétype, qu'il nomme parfois Âme, ou Esprit, et qui surplombe ses visions oniriques, créateur de ces nuits éternelles où les lunes se succèdent à une allure infinie, où le fluide métallique parcoure les terres pour l'inonder de sa symbolique alchimique. Gérard de Nerval devient ce nouveau monde. Les barrières entre son individu et le reste de l'univers deviennent poreuses –les personnes qui contempleraient de l'extérieur cette fusion de l'homme au monde ont toutes les raisons de sentir que quelque chose leur échappe. Gérard de Nerval préfigurerait ainsi le cas clinique de la schizophrénie –mais on sent que ce n'est pas que cela, et que la nosologie clinique pâtit d'une trop grande modestie pour s'appliquer correctement à tous les cas qui dévient de l'ordinaire.


« Tout vit, tout agit, tout se correspond ; les rayons magnétiques émanés de moi-même et des autres traversent sans obstacle la chaîne infinie des choses créées ; c'est un réseau transparent qui couvre le monde, et dont les fils déliés se communiquent de proche en proche aux planètes et aux étoiles. »


Gérard de Nerval a-t-il été prophète sans le savoir ? René Daumal lui voue une admiration éperdue dans un essai écrit en son honneur (« Gérard de Nerval le nyctalope »). Il relie cette nouvelle au Livre des morts égyptien, aux livres sacrés de l'Inde, au Zohar ou à l'occultisme pour sa science du rêve. Les visions de l'espace astral le renvoient aux nadis hindous ; le point de la nuque sur lequel il applique son talisman correspondrait au trou de Brahma ; et le totémisme primitif serait honoré par le rappel du royaume souterrain, par le thème du double prophétique et par la réapparition des aïeux défunts dans le corps d'un animal. Qu'on n'aille pas croire cependant que Gérard de Nerval ne serait qu'un ennuyeux professeur de la Science universelle. On préfère croire qu'il n'était même pas conscient des implications symboliques de ses rêves et visions, mais elles lui apparaissaient spontanément et sans effort, sous un aspect purement charismatique. Et si ce n'est pas seulement le cas, alors Gérard de Nerval a su se retirer humblement pour transmettre cette richesse symbolique sans vouloir faire croire qu'il en est le créateur.


On peut lire Aurélia pour son histoire mais celle-ci est tellement décousue (la deuxième partie est de reconstruction posthume) qu'il ne faut pas lui chercher beaucoup de cohérence factuelle. On peut lire Aurélia pour la beauté de la langue appliquée à la description d'épisodes qui se passent ailleurs –ni sur ce monde, ni sur un autre mais AILLEURS. On sera alors charmés juste ce qu'il faut pour ne pas jeter Gérard de Nerval aux oubliettes. Mais on peut aussi lire Aurélia dans l'espoir de trouver, transfigurée, une expérience de vision ou de rêve qu'on n'avait jusqu'alors pas su expliquer avec autant de simplicité et d'évidence que ne le fait ici Gérard de Nerval.
Lien : http://colimasson.blogspot.f..
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Les livres de G.Nerval, qui apparaissent comme des essais, revêtent surtout un aspect expérimental. Il est continuellement en quête d'un savoir qui se dérobe.
C'est ce qui explique, peut-être, la démarche qu'il utilise dans Aurélia : il s'agit pour lui de recueillir avec soin les différents éléments oniriques, de les analyser, et de les interpréter ensuite.
Quelle est donc la substantifique moelle de ce roman ?
Ici, le narrateur est en quête d'identité : Nerval tente de reconstruire l'unité de son moi fragmenté entre le passé et le présent, mais aussi, entre la réalité et le rêve dont il est (surtout) question dans ce livre.
Justement, dans cette oeuvre, Nerval véhicule une conception de la femme reposant sur l'absolu. de même qu'il tente de trouver son unité, il tente de réduire à l'unité les multiples visages de l'idéal (de son idéal) féminin.
Et ces deux unités sont, par voie de conséquence, complémentaires ! Elles constituent le couple « narrateur-destin ».
Dans Aurélia cette fusion est visible. L'étoile Aurélia est le « destin-narrateur ». Elle est la figure de l'image insaisissable d'un amour absolu. Tel Orphée, le poète tente d'arracher Aurélia à la mort en descendant aux Enfers.
C'est là la dernière étape et démarche de reconstruction de l'unité qui établit cette fois des liens entre la vie et l'au-delà.
Par extension, n'est-ce pas là une preuve de l'union intime entre l'oeuvre et la vie de Gérard de Nerval, entre la fiction et la réalité, ou encore entre le rêve et la vie ?
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En 1853 et 1854, Gérard de Nerval vit essentiellement à la clinique du Docteur Émile Blanche, en raison de ses troubles psychiques.
C'est à cette époque, dans ce « paradis » qu'il rédige une nouvelle, Aurélia, le rêve et la vie. La mort de la mystérieuse Aurélia, aimée du narrateur, déclenche une quête identitaire traversée de « visions ». Se voulant comme le récit d'un voyage spirituel, tantôt dantesque tantôt apuléen, cette nouvelle de Gérard de Nerval est avant tout un journal décrivant de façon clinique ses rêves éveillés lors de ces crises de folies.
Associant la folie au rêve, et la réalité à la raison, cette oeuvre est toute remplie de ce symbolisme romantique si cher aux dix-neuviémistes. Ici, le rêve a valeur initiatique, il dévoile les yeux de l'endormi et l'éveille à la réalité du monde. Angoissé par sa terrible inéluctabilité, la Mort apparaît comme la fin irrémédiable de toute chose. Une extinction définitive de la conscience. Mais, au hasard d'une crise (mystique-prophétique), l'auteur apprendra que l'immortalité est accessible, et qu'un bonheur éternel est possible.
Mais hélas, même si sa profession de foi est énoncée avec ferveur et pureté : « Le désespoir et le suicide sont le résultat de certaines situations fatales pour qui n'a pas foi dans l'immortalité, dans ses peines et dans ses joies », Nerval se suicide dans la nuit du 25 au 26 janvier 1855.
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Ce n'est pas facile de parler de ce livre (surtout après avoir lu la critique de Zohar), Nerval nous entraine dans son monde entre rêve et réalité, mais où est la limite.
Lre style a certe un peu vieilli mais c'est très beau et ça participe à nous entrainer dans cet autre époque.
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Un superbe roman de cet auteur au style caratéristique et à la prose splendide : à ne pas manquer car ce court récit vaut vraiment le détour !
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Que dire de plus... On assiste impuissant, à l'amour passionné, fou, violent, d'un homme pour celle qu'il aime.
Cette folie va l'emporter loin, très loin.... Il va la voir partout et sous d'autre traits.
Une passion magnifique.
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Ce texte est le dernier qu'écrivit Nerval avant de se pendre dans Paris même. Il y décrit ce qu'il voit, c'est-à-dire en confondant le rêve à la réalité. Un récit incroyable. En voici le début :
"Le rêve est une seconde vie. Je n'ai pu percer sans frémir ces portes d'ivoire ou de corne qui nous séparent du monde invisible. Les premiers instants du sommeil sont l'image de la mort; un engourdissement nébuleux saisit notre pensée, et nous ne pouvons déterminer l'instant précis ou le moi, sous une autre forme, continue l'oeuvre de l'existence."
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