Fut une époque où tout le monde ou presque avait lu ce charmant petit livre plein de nostalgie. Aujourd'hui, bien qu'un peu passé de mode, il reste largement connu et étudié. Nerval y exprime toute sa douceur, sa nostalgie, ses regrets tardifs. Un soir, au sortir d'un théâtre, dans le tumulte et le bruit de Paris, une envie irrépressible le prend de revoir le pays de son enfance. Sur le champ il se met en route, quitte à voyager toute la nuit… Là-bas l'attendent Sylvie, son amie d'enfance, et également le souvenir d'Adrienne, son premier amour.
Nerval chante la beauté des campagnes, ignorant l'industrialisation naissante. Dans ses vieilles forêts moussues, ses paisibles villages, tout est beau, aimable et paisible. Et cependant il n'y est pas véritablement heureux. Il sent ce monde disparaître lentement, il se remémore son enfance, et il voit que tout change et vieillit autours de lui – sauf son âme.
Il est indiciblement lié à ces lieux. Son coeur est ici. Son amour pour lui se confond avec sa passion – romancée – pour Adrienne, et son attirance – réelle – pour Sylvie, avec qui il aurait pu couler des jours heureux, s'il avait pu comprendre à temps ses propres sentiments. C'est pour cela, peut-être, que le fait de les avoir perdues l'une comme l'autre ne lui pèse pas temps. Il les englobe dans son amour d'enfant pour ce pays qu'il est en train de perdre lui aussi, mais lentement, bribe par bribe.
Il est dur d'aimer passionnément un endroit loin duquel on est contraint de vivre. A chaque retour se mélange la joie de retrouver les lieux, et la tristesse de voir ses souvenirs d'enfants s'y diluer, ses paysages changer, ses villages mourir, les gens qu'on y a connu disparaître... Nerval, du haut de son immense culture et de son raffinement, ne peut dépasser cette nostalgie, et reste piégé dans ses souvenirs. Malheur à celui qui a trop aimé le pays de son enfance...
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Je n’avais encore rien lu de Gérard de Nerval. c’est chose faite avec Sylvie !
Ce très court ouvrage nous permet d’apprécier la belle plume de cet écrivain : il y a une poésie, une résonance à la lecture des mots, si bien choisis, que rien que pour cela, c’est un régal. Voilà pour la forme.
En ce qui concerne le fond, je n'ai pas accroché plus que cela. Je ne sais pourquoi, mais, à le lire, c'était comme si je ne savais plus m’investir avec un œil neuf, une insouciance et une envie de découverte, face à cette histoire classique, qui en rappelle tant d'autres. c’est terrible. Et je le regrette. Mais les états d’âme de ce jeune parisien, dilapidant la fortune familiale, « aux tavernes et aux filles », qui, un soir de grand désœuvrement (parce que, pour lui aussi, « la vie c’est pas du gâteau ! »), réalise qu’il a laissé filé son (ses) amour(s) de jeunesse, et qui se précipite, de nuit, à leur rencontre pour essayer de sauver des eaux ce qui pourrait éventuellement l’être, m’ont laissé de marbre.
Heureusement, cela n’a entamé en rien le plaisir ressentit face à cette beauté enivrante des mots, qui suspendent le temps et se déroulent en douceur dans une lecture fluide et agréable, et qui vaut à elle seule, le temps passé à s’attarder entre les pages de ce court récit.
J'ai beaucoup aimé par contre, le dernier chapitre et ses réflexions sur la poésie qui émane des chansons et histoires populaires des temps anciens, qui égale tout autant celle plus classique qui tient salon mais qui malheureusement tombe dans l'oubli ou l'indifférence, faute de préciosité.
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Vouant un culte au XIXème et aux romantiques, cela faisait de longues années que je devais lire Gérard de Nerval. Depuis un cours impressionnant sur son oeuvre, ses obsessions, sa folie, Aurélia, la maison de santé, le suicide mystérieux... Je teste enfin avec Sylvie, et mon impression est mitigée, mon attente est trompée, même s'il ne s'agit peut-être pas d'un écrit absolument représentatif de la production de l'auteur.
Nerval, un peu comme Rimbaud, fait partie de ces auteurs qui ont tellement l'étiquette du marginal qu'ils sont lus par n'importe quel ado rebelle qui s'identifie à leur ostracisme. Mais avec tout le mythe autour de son culte d'Aurélia et de sa mort, je m'attendais à un hyper-romantisme, une exaltation de tous les instants. On ne peut pas dire que Sylvie nous offre ça. Très court récit pastoral, où le narrateur, désormais à Paris, retourne dans la campagne valoise de son enfance et vers son premier amour, ce texte nous livre quelque chose qu'on attendait pas... Du Proust, soixante ans avant l'heure!! Car oui, Nerval et Sylvie sont une influence majeure de Marcel pour sa saga légendaire, et le phénomène de remémoration soudaine au gré d'une lecture ou d'un voyage, est le coeur de la première moitié de Sylvie! L'énumération de pâtelins aux noms bien franchouillards provoque aussi un écho aux lieux récurrents et chers à Marcel.
On est donc un peu dérouté, ballotant entre Rousseau et Proust, et pas vraiment dans la lecture d'un texte passionné du XIXème. Rousseau, très présent, finit par être dézingué lorsque le narrateur perd ses illusions, réalisant que la campagne n'est que restes d'un passé disparu, infidèle aux souvenirs et à l'idéalisation, et surtout avec le personnage du Père Dodu qui ridiculise Jean-Jacques. L'écriture elle-même est datée. Malgré quelques visions fulgurantes du narrateur, on est loin des transports propres à cette époque et à ce courant, sur le plan littéraire.
Je lirai Aurélia un jour, pour vérifier mon ressenti, mais pour l'instant, je ne fais pas partie des inconditionnels de Gérard de Nerval (même si j'ai adoré sa traduction de Faust!), mais c'est une histoire de goût. Tout au long de la lecture, on est vraiment plus du côté de l'idôle adoptée par Proust, et d'un bilan en demi-teinte sur Rousseau lors d'un retour à la campagne, que du côté du romantisme enflammé d'Hugo, Baudelaire (qui ne s'y associait pourtant pas!), Musset, Vigny... Et j'ai appris à respecter Marcel, mais reste que ce n'est pas ma tasse de thé ni quelque chose que je lis avec passion.
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La tante de Sylvie habitait une petite chaumière bâtie en pierres de grès inégales que revêtaient des treillages de houblon et de vigne vierge ; elle vivait seule de quelques carrés de terre que les gens du village cultivaient pour elle depuis la mort de son mari. Sa nièce arrivant, c’était le feu dans la maison. « Bonjour, la tante ! Voici vos enfants ! dit Sylvie ; nous avons bien faim ! » Elle l’embrassa tendrement, lui mit dans les bras la botte de fleurs, puis songea enfin à me présenter, en disant : « C’est mon amoureux ! » J’embrassai à mon tour la tante, qui dit : « Il est gentil… C’est donc un blond !... - Il a de jolis cheveux fins, dit Sylvie. – Cela ne dure pas, dit la tante ; mais vous avez du temps devant vous, et toi qui es brune, cela t’assortit bien
Il ne nous restait pour asile que cette tour d'ivoire des poètes, où nous montions toujours plus haut pour nous isoler de la foule. A ces points élevés où nous guidaient nos maîtres, nous respirions enfin l'air pur des solitudes, nous buvions l'oubli dans la coupe d'or des légendes, nous étions ivres de poésie et d'amour.
J'étais le seul garçon dans cette ronde, où j'avais amené ma compagne toute jeune encore, Sylvie, une petite fille du hameau voisin, si vive et si fraîche, avec ses yeux noirs, son profil régulier et sa peau légèrement hâlée !... Je n'aimais qu'elle, je ne voyais qu'elle, − jusque-là ! A peine avais-je remarqué, dans la ronde où nous dansions, une blonde, grande et belle, qu'on appelait Adrienne. Tout d'un coup, suivant les règles de la danse, Adrienne se trouva placée seule avec moi au milieu du cercle. Nos tailles étaient pareilles. On nous dit de nous embrasser, et la danse et le chœur tournaient plus vivement que jamais. En lui donnant ce baiser, je ne pus m'empêcher de lui presser la main. Les longs anneaux roulés de ses cheveux d'or effleuraient mes joues. De ce moment, un trouble inconnu s'empara de moi. − La belle devait chanter pour avoir le droit de rentrer dans la danse. On s'assit autour d'elle, et aussitôt, d'une voix fraîche et pénétrante, légèrement voilée, comme celle des filles de ce pays brumeux, elle chanta une de ces anciennes romances pleines de mélancolie et d'amour, qui racontent toujours les malheurs d'une princesse enfermée dans sa tour par la volonté d'un père qui la punit d'avoir aimé. La mélodie se terminait à chaque stance par ces trilles chevrotants que font valoir si bien les voix jeunes, quand elles imitent par un frisson modulé la voix tremblante des aïeules.
Les femmes sentent-elles vraiment que telle ou telle parole passe sur les lèvres sans sortir du cœur ? On ne le croirait pas, à les voir si facilement abusées, à se rendre compte des choix qu'elles font le plus souvent : il y a des hommes qui jouent si bien la comédie de l'amour !
"[...] il y a des hommes qui jouent si bien la comédie de l'amour ! Je n'ai jamais pu m'y faire, quoique sachant que certaines acceptent sciemment d'être trompées. D'ailleurs un amour qui remonte à l'enfance est quelque chose de sacré..."
Poésie - Une femme est l'amour - Gérard de NERVAL