Un passeport au nom de Violet Lee, Eliza ignore tout de celle dont elle porte désormais le nom. A-t-elle fini poignardée dans une ruelle ou étranglée par un amant de fortune ? Elle est peut-être morte de froid sur un banc ou d'une dose de trop. Désormais, elle doit oublier jusqu'à son prénom. Elle a fui Chicago et a trouvé refuge à Paris dans un hôtel minable qui transpire la crasse et l'avarice. Ceux qui sont à ses trousses ne penseront pas à l'y chercher. de son passé, il ne lui reste que la photo de son fils et son appareil photo accroché à son cou.
En refermant ce roman de Gaëlle Nohant, j'ai eu l'impression d'avoir lu deux romans bien différents. La première partie ressemble à un Polar, le lecteur se demande bien quelle menace a bien pu conduire une jeune femme à abandonner son fils et à fuir Chicago. Gaëlle Nohant nous entraîne dans le Paris des années 50 celui de Saint-Germain-des-Prés et de ses caves voûtées où résonne le Jazz. L'auteur nous parle aussi de la passion d'Eliza pour la photo. Depuis le jour où elle a pris sa première photo, elle ne peut plus s'en passer. Elle cherche à attraper les images, à retenir ce qui va mourir. Ses amis l'ont baptisée « Kodak Girl ». Elle parcourt les petites rues de Paris à la recherche d'un visage singulier, d'une scène à capturer sur le vif, des prostituées que la police est en train d'embarquer. Des clochards qui dorment sous un pont, des couples d'un soir qui s'embrassent, des petites gens, des ouvriers, des vieilles au sourire édenté. Ces passages m'ont rappelé l'histoire de
Vivian Maier photographe de génie complètement ignorée, dont
Gaëlle Josse a tracé un magnifique portrait dans « une femme à contre-jour ».
Mais voici Eliza de retour à Chicago 18 ans après,
« L'exil est un poison tenace, tu le sais mieux que moi. J'avais rendez-vous avec les lambeaux de ma vie. »
Commence alors dans cette deuxième partie un récit totalement différent. Gaëlle Nohant nous plonge dans l'Amérique de la discrimination, par avidité, on rase des quartiers pauvres pour construire des ensembles luxueux, repousser les Noirs en périphérie. Après les assassinats de
Martin Luther King et de Robert Kennedy, nous suivons de l'intérieur les manifestations contre la guerre du Vietnam. L'écriture de l'auteur se fait précise et le lecteur devient acteur de la révolte de la jeunesse contre cette société où la prospérité repose sur l'injustice, nous voilà au milieu des émeutes et de la sauvagerie de la répression policière.
Dans ce roman captivant et très bien écrit, Gaëlle Nohant nous offre deux portraits de femmes magnifiques Rosa la prostituée au grand coeur, humiliée à la fin de la guerre, le corsage déchiré, les crachats, les insultes, une bête marquée, exposée en place publique pour avoir aimé Hans. ; et puis Eliza, élevée par un père dans le souci permanent de la justice et qui se retrouvé bafouée par un mari qui a perdu toute moralité. Une femme prête à tout pour retrouver son fils. Mais aussi l'auteur nous plonge dans deux grandes villes à deux époques différentes, l'insouciance de Paris après-guerre et la violence de Chicago fin des années 60.
Une fois de plus Gaëlle Nohant réussit, avec sa plume réaliste, à restituer les événements en mettant en scène des personnages forts et attachants.