La morale, c'est un grand plat de viande. Il était bien garni quand il est arrivé sur la table. Il a circulé dans l'ordre des préséances et, comme d'habitude, les premiers se sont trop servis. Quand le plat est arrivé au bout de la table, il était vide. Alors, furieux, les convives lésés ont mangé la maîtresse de maison.
- Oh, moi, j'adorais les pitreries et j'en remplissais mes bouquins à longueur de pages.
- et cependant j'espère, oh oui, j'espère qu'il viendra, ce jour dernier où l'on daignera s'apercevoir que ces millinéaires de cauchemar étaient des mensonges, que ces successions d'horreur étaient purs fabulations d'esprits malades et qu'au fond rien ne s'est passé, rien n'a eu lieu, rien n'a existé, à l'exception de rares et microscopiques parenthèses de beauté
Cela fait plaisir d'entendre qu'au 26e siècle, l'adolescence existe encore.
- Vous avez tort. Si je lisais vos bouquins, ils perdraient le seul attrait qu'ils puissent exercer sur moi: leur mystère.
- Mettez-vous à ma place !
- Il me semble que j'ai mieux à faire.
- Du lait ? Puis-je savoir comment l'on procède pour traire une baleine ?
- Comme avec une vache, mais avec un grand seau et un grand tabouret.
- Je ne comprends pas.
- Vous n'osez pas comprendre.
- Auriez-vous l'amabilité d'oser à ma place ?
Ca confirme ce que je pensais des paroles malheureuses : elles ont un pouvoir terrifiant. Combien de fois n'ai-je pas vécu cette situation : une parole sans importance, dite par moi ou par un autre, qui provoquait des catastrophes dont les effets pourraient durer des années. Aucune réalité humaine n'exprime aussi bien l'idée du destin que les paroles malheureuses et leurs conséquences inexpiables.
Depuis les découvertes d'Einstein, le voyage à travers les siècles n'est plus qu'une histoire de temps. Ce sera l'affaire du prochain millénaire. Quelle tentation, pour les scientifiques de l'avenir, de modifier le cours du passé.