Répétez après moi dix fois et en allant de plus en plus vite : tu vas à
La Pêche au toc dans le Tôhoku ! tu vas à
La Pêche au toc dans le Tôhoku !
Bon, sinon, une petite partie de pêche, ça vous dit ? C'est ce que nous propose le jeune écrivain
Shinsuke Numata dans ce court roman bien étrange et qui lui a valu en 2017 le prestigieux prix
Akutagawa.
Ce texte raconte l'histoire d'Imano, jeune cadre d'une grande entreprise dans le domaine pharmaceutique, qui n'a toujours connu que la capitale et qui vient d'être muté dans le Japon central, au coeur d'une région reculée au nord de l'île d'Honshu, région de rivières et de forêts où il se sent tout de suite étranger.
D'une nature plutôt solitaire, Imano se lie difficilement avec ses collègues de travail, il passe beaucoup de temps à la pêche dans une petite rivière poissonneuse qu'il adore. Et dans quelle rivière va-t-il pêcher ? Et que va-t-il pêcher ? Je vous le donne en mille...
Cette nouvelle passion qu'il vient de découvrir vient enchanter son existence. Elle lui va donner l'occasion de faire la connaissance de Hiasa, un employé de son entreprise, qui passe aussi ses temps libres à l'exercice de cette passion. Ils deviennent rapidement amis, multiplient ensemble les parties de pêche, Hiasa ayant à coeur de faire découvrir à Imano la beauté de cette nature bucolique, mais aussi de lui délivrer quelques astuces liées à cette passion. Et puis, quel plaisir de pêcher en compagnie d'un ami toujours prêt à ouvrir une bouteille de saké !
Mais un jour Hiasa disparaît sans donner d'explications ni de nouvelles à son ami. Imano apprend quelques temps plus tard qu'il a démissionné et qu'il est devenu commercial pour une mutuelle où Il rencontre quelques difficultés pour vendre ses produits...
J'ai continué de suivre Imano dans ses parties de pêche redevenues solitaires, mais je devinais bien que l'absence de son ami Hiasa le tracassait. C'est comme si je le connaissais déjà un peu. C'est dans ses non-dits, dans l'absence d'un être qui lui était devenu cher, que j'ai reconnu la douleur sourde d'Imano alors qu'il ne l'exprimait jamais. Peut-être ai-je reconnu un sentiment qui m'était familier ?
Ce qu'Imano découvre alors l'amène à s'interroger sur ses rapports aux autres et aussi sur Hiasa.
Que sont les personnes qui nous touchent, disparaissent de nos vies, dont on s'aperçoit après coup qu'ils comptaient pour nous alors qu'on les connaissait bien mal ?
La nature, oscillant entre la lumière et l'ombre de sa violence, - le terrible tsunami du 11 mars 2011 s'invite ici en toile de fond, porte le récit de manière ténue.
Vous l'aurez compris,
Shinsuke Numata ne nous convie pas ici à une simple histoire de pêche et d'amitié. Amateurs de la pêche au lancer, rangez vos gaules et vos hameçons !
C'est un texte sobre, épuré, plus subtil qu'il n'y parait, qui cache en filigrane des thèmes plus profonds : la solitude, la difficulté de se faire des amis, la pression des entreprises sur leurs employés, l'homosexualité, la transsexualité, l'amitié.
C'est un texte qui dit la difficulté d'être au monde quand on se sent différent des autres.
C'est un texte qui dénonce aussi certains maux de la société japonaise.
Dans cette brève histoire, j'ai trouvé le style frais, léger, dépouillé, minimaliste, un style qui pourrait décontenancer ceux qui connaissent mal celui de la littérature japonaise.
Ce premier roman au ton impressionniste et désenchanté mérite le détour.