Tragique, émouvant, ce récit n'est pas un roman mais plutôt un témoignage, une biographie. Avec ses mots et ce qu'on lui a raconté,
Jeanine Ogor nous raconte ici l'enfance de sa mère dans la campagne bretonne au début du XXe siècle. Son récit a été enrichi des connaissances de
Jean Rohou, universaitaire ayant écrit plusieurs livres sur la Bretagne, la religion, les inégalités...
On a du mal à imaginer que la vie pouvait être si rude en France, il n'y a de cela pas si longtemps, et pourtant... La famille de Lise n'a pas beaucoup d'argent et sa mère, veuve, peine à s'en sortir, alors la fillette est envoyée chez un oncle, un riche fermier. Elle va vivre chez lui et gardera les vaches. Elle ne sera bien sûr pas payée pour son travail, mais elle aura un toit au-dessus de la tête et pourra manger à sa faim, ce qui à cette époque et dans cet endroit était déjà une chance. C'est dans cet endroit qu'elle va grandir, rencontrer de belles et de mauvaises personnes, découvrir la vie...
Les conditions de vie sont rudes et pourtant, il y a pire ailleurs nous dit-on. Lise nous décrit son quotidien. Ce regard d'enfant innocent porté sur les choses de la vie est touchant. Mais la pauvre petite ne récolte que des claques lorsqu'elle ose poser des questions. Alors, elle observe, essaie de comprendre le monde qui l'entoure mais constate des incohérences chez les adultes et les hommes d'église qui font eux-mêmes ce qu'ils condamnent chez les autres... On apprend avec elle la fin de la guerre, le retour des hommes mutilés. On s'attendrit de sa curiosité et de sa peur face à des choses qui lui semblent terrifiantes mais fascinantes : les trains, les avions...
On apprend beaucoup de choses sur les moeurs de l'époque : le folklore local, la peur du diable, les lits clos qui ressemblaient à des armoires et offraient un peu d'intimité à ceux qui dormaient dans la même pièce (je n'en avais jamais entendu parler avant), les enfants livrés à eux-mêmes et ne mangeant pas à leur faim, les épidémies qui déciment des villages entiers, les demandes en mariage orchestrées de A à Z pour ne pas tomber dans le déshonneur, les enfants qui récitent des prières apprises par coeur mais dont ils ne comprennent pas un mot, les amants illégitimes et les maîtres qui couchent avec les servantes, les filles-mères tombées amoureuses de beaux marins, les faiseuses d'anges et les matrones, les prostituées de la rue de Siam et les virées à Brest des hommes mariés. Quel tableau !
Mais ne vous y trompez-pas, tout n'est pas triste et sombre et la petite Lise est pleine de candeur et d'optimisme. Il y a les veillées au coin du feu, les repas de fêtes, les tartines de pain au beurre salé servies avec du bon lait frais, les histoires de korrigans, d'Ankou, de fantômes et de marins qui se transmettent de génération en génération, les descriptions de paysages et les mots bien particuliers qu'utilisent les bretons pour décrire la pluie et le vent. J'ai beaucoup aimé ce récit émouvant et instructif. Il est ponctué d'anecdotes, de notes intéressantes et précieuses, de mots en breton (traduits, bien sûr), d'illustrations en noir et blanc qui m'ont beaucoup plu et qui ont été réalisées par
David Cren, et même de recettes de cuisine ! Quelle bonne idée !
En quelques mots :
"
La Masure de ma mère" est un très beau livre. C'est un bel hommage que rend
Jeanine Ogor en racontant au monde l'enfance de sa maman dans la campagne bretonne du début du XXème siècle. Les anecdotes et informations apportées par
Jean Rohou sont précieuses et passionnantes et les illustrations de
David Cren nous transportent dans le temps. C'est tout un univers, une part de l'Histoire qu'on ne connaît malheureusement pas assez qui s'ouvre à nous. Une belle lecture, enrichissante et pleine d'émotions.
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