Désormais, certains écrivains n'hésitent pas à donner un joli coup de pied dans la fourmilière des clichés historiques. Je me rappelle d'un roman qui m'avait impressionné par sa puissance, par sa fureur. Il s'agissait du roman Les Bienveillantes de Jonathan Little qui nous racontait l'horrible odyssée d'un soldat nazi et, notamment, de ses exactions durant la solution finale. Entre le sérieux de la recherche et la démesure de la folie nazie, Littel avait écrit un impressionnant roman historique à des lieux des figures habituelles de résistants et collaborateurs.
Plus tard, j'ai lu le premier volet des enquêtes de Sadorski , série de romans policiers dont le héros n'est autre qu'un inspecteur des renseignements généraux chargé notamment de trouver des juifs.
Un anti-héros, un parfait salaud, mais
Slocombe a le mérite de présenter une figure de "salaud honorable" déterminé à retrouver l'assassin d'une jeune femme.
Autant le dire, j'aime ces titres qui n'ont pas peur de nuancer leurs propos plutôt que de nous obligés à suivre les habituels figures de guerres. Certes, de temps en temps, nous avons besoin de nous souvenir de bravoure et de braves, c'est normal. Après tout, il est bon de se souvenir des héros et des actes positifs pour ne pas se figer dans un dangereux cynisme. Cependant, je suis de ceux qui pensent que tout n'était pas noir ou blanc, que le héros d'hier peut devenir le salaud de demain. C'est tout aussi important d'en tenir compte. Et dans cette lignée de fictions historiques nuancées , j'ai tout simplement aimé
Trouble de Jerry Olyslagens.
Moins furieux que Les Bienveillantes, moins policier que les romans de
Slocombe,
Trouble a le mérite d'être plus fin, moins "physique" mais plus psychologique. Sa subtilité en fait un roman profondément impressionnant sur le climat de la Seconde Guerre Mondiale et sur les rôles du collabo et du résistant.
Dans ce roman, nous suivons la confession de Wilfred Wills à son arrière petit-fils. Wills lui raconte sans détour dans un monologue au style direct ce qu'il a vécu , ce qu'il a fait durant la seconde guerre mondiale en tant que policier d'Anvers. Wills, c'est un peu l'incarnation de la banalité civile en temps de guerre. C'est un personnage lambda qui exerce la profession de gendarme à Anvers et qui de ce fait va se retrouver mêlé à différents rafles de juifs. Wills va collaborer mais en même temps, il aidera un ami résistant. Bref, c'est un comédien qui jouera sur tous les fronts pour survivre. L'auteur ne cherche pas à juger ce personnage. Ce que j'ai beaucoup aimé, c'est justement cet empathie autour de Wills même si certains actes de ce dernier seront toujours condamnables.
Trouble est un titre fascinant car c'est vraiment dans des eaux troublantes que l'écrivain plonge ses lecteurs. La confession de Wills est sans tabou, sans censure, que ce soit des quelques scènes de rafles, dans les soirées dans les bars aux cotés de soldats et officiers allemands jusqu'aux scènes de sexe. Rien n'est caché. de plus, la vieillesse du personnage donne à ce récit l'allure d'une confession maudite mais sincère.
Trouble mêle une écriture intimiste, la confession d'un pauvre hère qui s'appelle Wilfred Wills à l'écriture du vécu , du témoignage historique.
De plus,
Trouble ne perd pas de temps en digressions trop historiques. L'auteur reste focus sur cette confession directe, avançant au gré des années d'occupation sans compter la ligne du moment présent dans laquelle un Wilfred Wills vit avec ses regrets et ses démons.
C'est un roman très amer duquel une certaine tristesse émerge. Certes, le personnage principal a commis certains actes radicaux. mais j'ai trouvé que l'auteur met aussi en valeur le fait que ce soit cette époque qui l'a écrasé et forcé à faire des choix pas vraiment moraux. D'un coté, il y avait un fort antisémitisme, de l'autre , un certain aveuglement due à l'immédiateté de la situation. Personne ne pouvait prévoir à quel point les choses tourneraient mal. Et dans ce tsunami, il y a Willfred Wills tentant de s'accrocher comme il peut au milieu des ravages des vagues.
N'oublions pas les personnages secondaires, tous très bien écrits comme Barbiche teigneuse, l'antisémite convaincu qui est féru de poésie française, Nicole la rebelle, ambitieuse chanteuse, Lode le résistant amoureux ,etc... Tous les personnages possèdent une sorte d'ambivalence qui les rendent tous attachant.
Enfin, notons le final de
Trouble qui contribue justement à cette atmosphère des plus troublantes. Un final qui joue avec le lecteur...De quoi conclure l'amertume d'une époque cruelle dont les survivants en furent aussi les victimes à certains égards...
Trouble est un roman historique fin et direct. Un roman qui questionne sans hésitation la véracité des figures héroïques et mauvaises dans une période tumultueuse. C'est un roman nécessaire par son besoin de refléter une vérité douloureuse sur le quotidien en des temps fortement
troublés.