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Citations sur Une histoire d'amour et de ténèbres (102)

Et avec une voix de ténèbres, tandis que sa main s'égarait dans mes cheveux (il n'avait pas l'habitude de me caresser), papa déclara sous ma couverture, à l'aube du 30 novembre 1947 : "Tu seras sans doute en butte à des garnements dans la rue ou à l'école. Peut-être parce que tu me ressembleras un peu. Mais désormais, du moment que nous avons un Etat à nous, on ne te malmènera plus jamais parce que tu es juif et parce que les Juifs sont comme ceci et comme cela. Plus jamais, non. A partir de maintenant, c'est fini. Pour toujours."
A moitié endormi, j'étendis le bras pour toucher son visage, juste au-dessous de son haut front, et soudain, à la place de ses lunettes, je sentis des larmes. De toute ma vie, ni avant ni après cette nuit, pas même à la mort de ma mère, je n'ai vu mon père pleurer. En fait, je ne l'avais pas vu cette nuit-là non plus. Il faisait trop sombre. Seule ma main gauche l'avait "vu".
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Il y avait chez nous une loi inflexible selon laquelle on ne devait acheter aucun article d'importation et privilégier la production locale. Mais quand on allait à l'épicerie de M. Auster, à l'angle de la rue Ovadiah et de la rue Amos, il fallait quand même choisir entre le fromage de la Tnouva, fabriqué au kibboutz, et le fromage arabe : le fromage arabe du village voisin de Lifta était-il un produit d'importation ou israélien ? Pas simple. Il faut dire que le fromage arabe était un chouïa moins cher. Mais en l'achetant, n'était-ce pas une légère trahison à l'égard du sionisme : quelque part, dans un kibboutz ou un mochav, dans la vallée de Jezréel ou les monts de Galilée, les yeux pleins de larmes, une pionnière exténuée avait peut-être emballé ce fromage hébreu à notre intention - comment pourrions-nous lui tourner le dos et acheter du fromage étranger ? En aurions-nous le cœur ? D'un autre côté, en boycottant les produits de nos voisins arabes, nous attiserions et perpétuerions la haine entre les deux peuples, et nous aurions le sang versé sur la conscience, le ciel nous en préserve ! Et puis le fellah, cet humble travailleur de la terre dont l'âme simple et honnête n'avait pas encore été corrompue par la pourriture des villes, n'était-il pas le frère basané du brave moujik généreux des récits de Tolstoï ? Et nous aurions la cruauté de nous détourner de son fromage artisanal ? Nous nous entêterions à le punir ? De quoi ? De ce que la perfide Albion et les effendis corrompus excitaient le fellah contre nous et notre entreprise ? Non. Cette fois, nous allions décidément acheter du fromage arabe qui, soit dit en passant, était un peu meilleur et moins cher que celui de la Tnouva. Par ailleurs, ce n'était peut-être pas très propre chez eux. Qui sait dans quel état étaient leurs laiteries ? Qu'arriverait-il si l'on apprenait, trop tard, que leur fromage grouillait de microbes ?
Les microbes étaient l'un de nos pires cauchemars. Comme l'antisémitisme : même si l'on ne s'était jamais retrouvé face à un antisémite ou à des microbes, on savait parfaitement qu'ils nous guettaient de partout, voyant tout sans être vus. (p.24-25)
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"Enfant, j'espérais devenir un livre quand je serais grand. Pas un écrivain, un livre : les hommes se font tuer comme des fourmis. Les écrivains aussi. Mais un livre, même si on le détruisait méthodiquement, il en subsisterait toujours quelque part un exemplaire qui ressusciterait sur une étagère, au fond d'un rayonnage dans quelque bibliothèque perdue, à Reykjavik, Valladolid ou Vancouver. "
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J’ai eu beau faire, les leçons d’Agnon se retrouvent évidemment dans mes livres.
Mais que m’a-t-il réellement appris ?
Peut-être ceci : à ne pas projeter qu’une ombre. A ne pas grappiller les raisins secs du gâteau. A réfréner et polir la souffrance. Et encore une chose que ma grand-mère formulait de manière plus percutante que lui : « Si vous n’avez plus de larmes pour pleurer, abstenez-vous donc. Riez plutôt. »
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A bord de l'Italia où ils effectuèrent la traversée Trieste-Haïfa, ils se firent photographier avec le capitaine dont le nom, inscrit en marge du cliché, était Benyamino Umberto Steindler. Ca ne s'invente pas.
Au port d'Haïfa, comme le rapporte la légende familiale, les attendait un médecin en blouse blanche (ou était-ce un infirmier?) qui, sur l'ordre du gouvernement mandataire britannique, aspergeait les arrivants de désinfectant. Quand vint son tour, dit-on, grand-père Alexandre, furieux, s'empara de l'ustensile et arrosa l'arroseur : voilà comment l'on traite un homme qui ose se comporter avec nous ici, dans notre patrie, comme si nous étions encore en diaspora. Pendant deux mille ans, nous nous sommes laissés conduire à l'abattoir comme un troupeau sans défense. Mais ici, dans notre pays, il n'y aura pas de nouvel exil, nous ne le permettrons pas. Notre honneur ne sera pas bafoué.
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Le plus beau jour de ma vie-je devais avoir six ans-fut celui où papa me fit un peu de place sur l'une des étagères pour y ranger mes livres. (...)
C'était un rite de passage, une cérémonie initiatique: celui dont les livres tiennent debout n'est plus un enfant, c'est déjà un homme. J'étais comme mon père. Mes livres tenaient droit. (p.44)
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L’oncle David était un paneuropéen fervent, spécialiste de littérature comparée et de littératures européennes, lesquelles étaient sa patrie spirituelle. Il ne voyait pas pourquoi il s’exilerait en Asie orientale, ce curieux pays qui lui était totalement étranger, juste pour satisfaire des antisémites exaltés et des crapules nationalistes bornées. Il resta donc à son poste, fidèle au progrès, à la culture, à l’art et à l’esprit sans frontières, jusqu’à l’arrivée des nazis à Vilna : les Juifs intelligents, cosmopolites et épris de culture n’étant pas à leur goût, ils assassinèrent David, Malka et mon cousin, le petit Daniel, que ses parents surnommaient « Danoush » ou « Danouneshek », à propos duquel ils écrivaient dans leur avant-dernière lettre, datée du 15 décembre 1940, « qu’il commençait à marcher....et qu’il avait une excellente mémoire ».
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On se trompe si l'on cherche le coeur de l'histoire dans l'interstice entre la création et son auteur : il vaut mieux le rechercher non pas dans l'écart entre l'écrit et l'écrivain, mais dans l'écrit et le lecteur.

p. 60
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Winseburg-en-Ohio me révéla le monde de Tchekhov bien avant que j'en apprenne l'existence : il n'était plus question de Dostoïvesski, Kafka, Knut Hamsun, Hemingway ou Yigal Mossensohn. Plus de femmes mystérieuses sur des ponts ou d'hommes au col relevé, dans des bars remplis de fumée.
Ce livre me fit l'effet d'une révolution de Copernic inversée. Alors que, contrairement à la croyance de l'époque, Copernic avait découvert que notre monde n'était pas le centre le l'univers, mais l'une des planètes du système solaire, Sherwood Anderson m'ouvrit les yeux et me poussa à écrire sur ce qui m'entourait. Grâce à lui, je compris brusquement que le monde de l'écrit ne tournait pas autour de Milan ou de Londres, mais autour de la main qui écrivait, là où elle était : le centre de l'univers est là où vous vous trouvez.
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Mais qu'est-ce que c'est que l'enfer? Et le paradis? Tout ça, ça se passe à l'intérieur. À la maison. L'enfer et le paradis, on les retrouve dans chaque pièce. Derrière chaque porte. Sous l'édredon conjugal. Voilà : un brin de méchanceté - et l'homme est n enfer pour l'homme. Un peu de compassion, de générosité - et l'homme est un paradis pour l'homme.
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