« le Château de ma mère » est, comme chacun sait, le deuxième des « Souvenirs d'enfance » de Marcel
Pagnol, juste après « La Gloire de mon père » et précédent « le Temps des secrets » et « le Temps des amours ». La tentation est grande de faire un copier-coller de la chronique concernant le premier tome : le décor est le même, les personnages aussi, le ton général fait de bonhomie, de tendresse, d'humour et de profonde humanité nous fait toujours fondre de bonheur… Mais il y a quelques différences qu'il convient de souligner.
« La Gloire de mon père » était comme le roman l'indique, le roman « du père » : Joseph
Pagnol, « hussard noir » de l'Education Nationale, vit tout entier dans les yeux de son fils qui en fait un émouvant portrait, débordant d'amour partagé (paternel et filial), portrait qui finit en apothéose avec l'épisode des bartavelles, où Joseph, pris en flagrant de vanité (touchante) éclate dans sa « gloire » de chasseur émérite, devant le regard des siens, à la fois émerveillés et gentiment moqueurs…
« le château de ma mère », est le roman d'Augustine
Pagnol, la mère de Marcel. Pourtant, elle n'est pas au centre de toutes les scènes, mais son fils n'oublie jamais de la mentionner, en arrière-plan, avec une infinie tendresse. L'action porte sur deux actes principaux, les fabuleuses aventures dans les collines avec Lili, et dès qu'ils peuvent louer la maison de la Treille, l'épopée du voyage hebdomadaire (et illicite) le long du canal. En point d'orgue, l'épisode du père humilié, pris en flagrant délit avec toute sa famille (mais tout s'arrange, rassurez-vous).
L'ensemble du roman est passionnant, pour les raisons déjà indiquées, qui avaient déjà fait le succès de l'ouvrage précédent. Mais pour moi, c'est le dernier chapitre (l'épilogue) qui est le plus bouleversant. On y voit bien des années après,
Marcel Pagnol, devenu cinéaste réputé, chercher un château dans les environs. Par hasard, il tombe sur le « château de sa mère » et refait à la fois physiquement et mentalement – sentimentalement – le chemin de son enfance. le roman se termine par une évocation bouleversante de la mort de sa mère, de son frère Paul, et de Lili :
« le temps passe, et il fait tourner la roue de la vie comme l'eau celle des moulins.
Cinq ans plus tard, je marchais derrière une voiture noire, dont les roues étaient si hautes que je voyais les sabots des chevaux. J'étais vêtu de noir, et la main du petit Paul serrait la mienne de toutes ses forces. On emportait notre mère pour toujours.
De cette terrible journée, je n'ai pas d'autre souvenir, comme si mes quinze ans avaient refusé d'admettre la force d'un chagrin qui pouvait me tuer. Pendant des années, jusqu'à l'âge d'homme, nous n'avons jamais eu le courage de parler d'elle.
Puis, le petit Paul est devenu très grand. Il me dépassait de toute la tête, et il portait une barbe en collier, une barbe de soie dorée. Dans les collines de l'Etoile, qu'il n'a jamais voulu quitter, il menait son troupeau de chèvres ; le soir il faisait des fromages dans des tamis de joncs tressés, puis sur le gravier des garrigues, il dormait, roulé dans son grand manteau : il fut le dernier chevrier de
Virgile. Mais à trente ans, dans une clinique, il mourut. Sur la table de nuit, il y avait son harmonica.
Mon cher Lili ne l'accompagna pas avec moi au petit cimetière de la Treille, car il l'y attendait depuis des années, sous un carré d'immortelles : en 1917, dans une noire forêt du Nord, une balle en plein front avait tranché sa jeune vie, et il était tombé sous la pluie, sur des touffes de plantes froides dont il ne savait pas les noms…
Telle est la vie des hommes. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins.
Il n'est pas nécessaire de le dire aux enfants. »
Ces quelques lignes suffisent à cerner l'immense humanité de Marcel
Pagnol. Un de nos plus grands écrivains – écrivains et cinéastes, et en même temps, un porteur de bonheurs, de ces bonheurs simples, où l'argent et le calcul n'ont aucune place, mais où règnent l'amitié et l'amour..